C’est une vague d’opposition qui s’abat sur le projet gigantesque de la place de l’Étoile, prévu par un Fonds d’investissement d’Abu Dhabi.
En présentant le nouveau projet place de l’Étoile, Lydie Polfer, la bourgmestre de Luxembourg, s’attendait à des recours et elle ne s’est pas trompée. Près d’une centaine d’habitants du quartier s’opposent de façon conjointe au projet. D’autres l’ont fait de manière individuelle et trois résidences ont fait part de leur mécontentement au travers d’un avocat. Il faut dire que le projet est pharaonique : avec 102 745 m2 de locaux et des immeubles pouvant aller jusqu’à 15 étages, certains riverains ont eu le vertige.
«Notre opposition est surtout liée à la taille du projet et à la hauteur des tours d’habitation. Il y avait eu un projet en 2010 qui fixait les immeubles à six étages. Pourtant, déjà là, l’ampleur des constructions était contestée», souligne Jo Wagener, à la tête du collectif des habitants, qui ne comprend pas pourquoi le quartier ne s’est pas développé «pas à pas» au fil de la dernière décennie. «Cela aurait permis des constructions moins volumineuses et plus adaptées au quartier», assure l’homme qui connaît bien l’endroit pour y être né et y vivre encore plus de quarante ans après.
La place de l’Étoile est l’un des carrefours phares de la capitale et une de ses portes d’entrée. Cette vitrine potentielle de la ville ne brille pas, au regret des politiciens et habitants qui regardent, impuissants, depuis des années cet enchevêtrement de constructions et de friches tout juste entretenues. 75 % des terrains en question ont été patiemment rachetés par un puissant investisseur des Émirats arabes unis, Abu Dhabi Investment Authority. Ses projets n’avaient jusqu’ici pas trouvé l’assentiment de la Ville, qui aujourd’hui se réjouit à la perspective de voir enfin cette friche urbaine prendre forme.
Une densité trop importante
Pour les habitants qui s’opposent au projet, la volonté du fonds d’investissement de rentabiliser ses achats en y créant un maximum de mètres carrés colle mal avec une qualité de vie satisfaisante. «Nous n’avons rien contre l’urbanisation du quartier, mais il faut que le projet épouse l’intérêt général», clame le porte-parole du collectif des résidents. «Ils ne peuvent pas nous flanquer un taux d’habitations qu’on ne voit nulle part ailleurs dans les entrées de Luxembourg.» Représenté par les SARL Silver Étoile C 2007 et Silver Goethe D 2015, le fonds d’investissement souverain d’Abu Dhabi est «le même fonds ayant investi dans le projet Royal Hamilius en ville», note le collectif dans sa lettre d’opposition, qui ajoute : «ces sociétés se sont vu accorder en exclusivité le plus haut taux de coefficient d’utilisation du sol (CUS) et de densité de logements (DL) dans toute la ville». Le collectif se livre à une comparaison : le CUS s’élève place de l’Étoile à 4,4 et aux alentours de 5,5 au Royal Hamilius, contre environ 1,75 porte de Hollerich et entre 1,47 et 1,96 à Gasperich. La DL (logements/hectare) est de 400 dans le projet place de l’Étoile, il atteint un taux de 500 sur l’une des parcelles du Royal Hamilius pour ne pas dépasser les 160 porte de Hollerich et à Gasperich. Des différences de chiffres qui étonnent et interrogent les habitants. Pour Jo Wagener, c’est là la preuve que «le ministre de la Mobilité et des Travaux publics et la Ville défendent exclusivement les intérêts des sociétés Silver (…) au détriment des résidents». Il se demande quel type d’accord a pu être passé entre les responsables politiques et ces sociétés.
Prêts à aller jusqu’au bout
Les habitants espèrent que le promoteur et les autorités de la Ville se tourneront vers un projet «modeste et approprié». «La construction en terrasses est une très bonne idée, mais avec des immeubles de pas plus de six étages de haut. Et pour qu’ils révisent leurs plans, nous sommes prêts à aller jusque-là où il faudra», insiste Jo Wagener, qui entrevoit déjà des procédures judiciaires.
En dehors de la taille «étouffante» des futures constructions, c’est aussi la disparition de la verdure existante, notamment une dernière platebande refuge de renards ou d’oiseaux, qui fâche. Pourtant, le film promotionnel présentant la future place de l’Étoile fait la part belle aux plantations à venir. Pas de quoi convaincre les riverains… «Contrairement à nos politiques, nous nous promenons encore les pieds par terre, au niveau du sol. Alors les pelouses au quinzième étage, cela nous fait une belle jambe.» Le collectif souhaite qu’une expertise indépendante réalise une évaluation environnementale.
Ce qui met particulièrement les habitants en colère, c’est de ne pas avoir été intégrés aux discussions : «Il y a eu un refus catégorique de nous faire participer et quand on a découvert le projet, on a compris pourquoi.» Jo Wagener est allé lui-même à l’hôtel de ville le 9 février pour déposer la lettre d’opposition au projet d’aménagement particulier (PAP) et au projet d’aménagement général (PAG) Place de l’Étoile. À ce jour, le collectif de résidents n’a reçu aucun retour. «Nous ne sommes qu’au début de l’histoire», conclut le porte-parole du collectif, qui souligne que «les résidents du quartier sont une majorité à se mobiliser». La lettre d’opposition a été signée par 97 % d’entre eux, estime-t-il.
Audrey Libiez