La gentrification guette de plus en plus le Pfaffenthal au détriment des couches populaires qui y vivent. Un projet immobilier en particulier a fait bondir déi Lénk.
«ICN a étudié l’un des premiers projets sans voiture du Luxembourg, un style de vie branché contemporain sur les rives de l’Alzette, mêlant une architecture luxembourgeoise traditionnelle et un quartier d’un design avant-gardiste, bénéficiant d’une vue magnifique sur le centre-ville historique. Les plans en ont été soumis aux autorités. Ils présentent un bon équilibre d’appartements et de lofts originaux», écrit la société belge de promotion immobilière sur son site Internet à propos de son projet immobilier dans l’ancienne blanchisserie Voelker-Schumann au Pfaffenthal.
L’ancienne blanchisserie teinturerie de gants qui faisait également office de bains-douches pour la population avait été ouverte en 1886 par Jenny Schumann et avait cessé son activité en 1979. Le projet a de quoi séduire et l’entreprise a su saisir l’opportunité de ce bâtiment inoccupé depuis des années. Si ce n’est qu’il soulève également la question de la gentrification ou de l’embourgeoisement de ce quartier en particulier et des quartiers populaires de la capitale en général.
Un phénomène qui inquiète beaucoup déi Lénk qui, dans un communiqué de presse, a rappelé mercredi qu’«ICN est le promoteur qui, avec TRALUX et BESIX RED, a racheté les terrains de Villeroy&Boch et qui a rénové de manière luxueuse le « Fënsterschlass » dans la rue des Bains». L’entreprise a l’œil pour repérer les beaux projets et le fait remarquer en se vantant de réaliser «des projets exceptionnels sur des sites remarquables» et de découvrir «trésors cachés» et «sites à fort potentiel pour en tirer le meilleur parti».
Ne pas laisser la ville aux mains des promoteurs
Très bien, si ce n’est que pour le parti de gauche, «il semble que la majorité DP-CSV de la Ville de Luxembourg continue de laisser le champ libre aux promoteurs privés pour créer, très souvent avec des capitaux internationaux, des logements d’un niveau de prix inabordable pour le commun des mortels». Car, pour rappel, le logement est un enjeu politique majeur au Grand-Duché et «les logements sociaux ne représentent que 2 % du parc locatif de la capitale», alors que les besoins sont bien supérieurs. Les listes d’attente pour en obtenir un seraient de trois ans.
L’enjeu est triple pour déi Lénk qui, indignée, ne peut que constater et dénoncer les faits, car le parti politique est pieds et poings liés en la matière, regrette Guy Foetz, conseiller communal déi Lénk à Luxembourg. «La Ville devrait reprendre des bâtiments comme celui de la blanchisserie pour éviter qu’ils ne tombent entre les mains des promoteurs», estime-t-il. «Le Pfaffenthal est un quartier populaire et la gentrification y fait son apparition. La construction de l’ascenseur y a largement contribué. Sans lui, beaucoup de gens n’auraient pas eu envie d’y vivre.»
La Ville de Luxembourg tente toutefois d’équilibrer les choses en jouant les promoteurs et en intégrant des logements à des prix abordables à ses grands projets comme celui du quartier Stade, par exemple. Mais cela reste insuffisant et, selon le conseiller communal, «le droit de préemption de la commune est remis en question depuis le dernier pacte logement».
«La solution se trouve dans les urnes»
Pour le parti, les logements locatifs abordables qui font cruellement défaut devraient être une priorité de l’administration communale «aussi bien pour rendre la ville attractive pour les générations futures que pour éviter une exclusion progressive de ses habitants actuels du fait d’une gentrification qui gagne du terrain à vue d’œil». Malheureusement, Guy Foetz est persuadé que l’administration communale préfère ne pas «avoir beaucoup de gens à faibles revenus en ville». La mixité sociale aurait bon dos.
«Actuellement, la construction de logements est devenue le meilleur moyen d’investir sans se fatiguer. On n’achète plus un bien pour y vivre, mais pour en faire de l’argent et spéculer. Cela rapporte plus qu’un compte épargne», poursuit le conseiller. «Si la commune ou l’État ne prennent pas les choses en main en matière de logement abordable, personne ne le fera. La commune ne peut pas lutter contre le marché, mais elle peut prospecter et tenter de trouver des terrains et des bâtiments avant les promoteurs.»
Il faut éviter que les couches sociales les plus faibles ne puissent plus se loger dans une capitale qui deviendrait une sorte de Monaco. Pour Guy Foetz, si la Ville ne prend pas les choses en main, «la solution au problème se trouve dans les urnes».
Sophie Kieffer
«L’âme du quartier ne doit pas disparaître»
La gentrification est redoutée au Pfaffenthal depuis le premier coup de pelle du chantier de l’ascenseur et encore plus depuis la création de la gare périphérique et du funiculaire. Petit à petit, les premiers effets de la gentrification se font sentir et pour les habitants de ce quartier historique, ils sont loin d’être tous positifs. «Je constate juste que les gens qui ont les moyens d’acheter les logements chers ne participent pas à la vie du quartier avec les petites gens comme nous», déplore Chantal. «C’est à peine si certains nous rendent nos bonjours quand on les croise dans la rue ou l’ascenseur.» «Nos jeunes doivent aller vivre en Allemagne, on promet des logements abordables, mais on continue tout de même à construire des appartements de luxe! On est un quartier populaire ici et on aimerait le rester», lance un papy. Les réactions des habitants sont sans appel.
En dix ans, le prix des appartements dans le quartier a plus que doublé, ce qui amène une toute nouvelle catégorie d’habitants au cœur de ce quartier plutôt ouvrier et habitué à être enfermé sur lui-même. «Dans mon immeuble, je suis la dernière Luxembourgeoise. Je ne connais plus personne et je ne parle pas avec mes voisins. D’ailleurs, tout le monde s’évite. Avant, on s’inquiétait les uns des autres», regrette Maggy, une sexagénaire originaire du Grund et déplacée au Pfaffenthal par la gentrification de son quartier, il y a quelques années.
Certains habitants se demandent s’il ne faudrait pas raviver la mauvaise réputation du quartier et de ses habitants pour faire fuir les promoteurs. Et puis, ils se ravisent : ces logements chics sont occupés par des étrangers qui ne connaissent pas l’histoire du quartier et de son socle social. Les habitants redoutent qu’«il n’y ait un jour plus de vrais Pfaffenthalois» en raison de la gentrification et de la hausse des prix de l’immobilier. Les vieux meurent et les jeunes vont habiter ailleurs. «Un pan de la culture luxembourgeoise s’efface, l’âme du quartier ne doit pas disparaître», constate une dame âgée.
Sonia, quant à elle, s’interroge : «On veut introduire de la mixité sociale, mais les différences sociales, intellectuelles et culturelles sont tout simplement trop grandes et trop nombreuses ou trop difficiles à appréhender pour les uns et les autres.» En effet, les habitants vivant au minimum social et sans cartes de crédit sont nombreux. Ils vivent en face ou à côté des superbes appartements planifiés dans l’ancienne laverie. Qui dit mixité sociale dit contrastes et différences. Tant qu’elles sont conciliables.
Sophie Kieffer