Le confinement imposé aux «vieux», c’est une gifle donnée à la longévité qui entraîne une remise en question de la place du grand âge dans notre société occidentale, estime Lucien, pensionnaire octogénaire.
Il ne se laisse pas abattre. Pensionnaires d’une maison de retraite depuis deux ans et demi à Mondorf-les-Bains, Lucien et son épouse Colette profitent des libertés accordées sous un soleil printanier. «Nous avons le droit de nous promener autour de la résidence, en pleine nature, mais dans un périmètre déterminé», nous explique Lucien qui sort marcher tous les jours.
Avant le confinement, il se rendait chaque matin au centre de la Cité thermale pour y acheter sa presse quotidienne. «Je me suis abonné depuis à trois journaux, puisque je ne peux plus me les procurer moi-même», dit-il. C’est un lecteur passionné. Rien ne lui échappe et il suit toutes les conférences de presse du gouvernement Bettel depuis le début de l’épidémie. Il envoie d’ailleurs régulièrement des e-mails aux ministres pour leur faire part de la situation des personnes âgées pendant cette crise sanitaire et leur donner des pistes de réflexion.
«On se bat beaucoup, mais tant qu’on se bat, on reste positif», lance Lucien, heureux d’avoir finalement entendu la ministre Corinne Cahen annoncer un début de déconfinement pour les personnes âgées en maison de retraite. La semaine dernière, il a été testé comme les autres pensionnaires de sa résidence. Mais pas tous, il le sait. «Je pense que le test doit être obligatoire, c’est une question de solidarité, on ne peut pas refuser de se faire tester dans une maison de retraite pour quelques raisons que ce soit», estime-t-il.
«J’ai peur du déconfinement»
Visiblement, il n’y a pas de problème. «Tout est clean, nous dit-on», précise Lucien qui ignore le nombre de pensionnaires qui ont refusé de subir le test «pour des raisons diverses et variées».
Pas de distanciation dans la résidence. Ici, les pensionnaires prennent place dans la salle à manger comme dans un restaurant. «Votre voisin assis en face vous postillonne dans la soupe !», s’amuse à décrire Lucien. Mais personne ne quitte les alentours immédiats de la résidence. «Depuis six semaines, tout le monde est très discipliné et je n’ai pas envie de me faire coller si je fais un écart», plaisante-t-il. D’autres sont ultraconfinés et ne sortent pas de leur chambre. Les plus fragiles, surtout, qui souffrent de ne plus recevoir de visites.
La situation va se détendre. «Il faut aménager des espaces pour recevoir des visites en toute sécurité et prendre exemple sur ce qui se fait dans d’autres pays», plaide-t-il. Par exemple, il a beaucoup aimé l’initiative de cette maison de retraite en France, dans le Doubs, où 73 agents de l’Ehpad de Blamont se sont volontairement confinés dans l’établissement avec les résidents.
Lucien admet avoir peur du déconfinement, en ce sens qu’il craint que «les vieux» soient oubliés. «J’ai du mal à accepter l’enfermement, d’un point de vue spirituel et philosophique», reconnaît-il. «Nous allons déconfiner les écoles, puis l’économie et en dernier lieu les vieux, les 85 ans comme moi», prédit-il.
Il ne cache pas son désir de faire partie d’une de ces task forces dédiées à la crise du coronavirus. «Je crois qu’on y trouve toutes sortes d’experts, des scientifiques, mais alors qu’il est question de protéger les personnes vulnérables, et en grande partie des personnes âgées, nous devrions être tout simplement représentés», juge-t-il.
Geneviève Montaigu
Lucie, 79 ans, se languit de son coiffeur
Un jour comme celui-là, Lucie serait d’abord passée chez son coiffeur, puis serait allée acheter ses géraniums. Elle songe à sortir du confinement, tout doucement.
Bon pied, bon œil, Lucie rythme sa vie par ses visites chez le coiffeur, ses petites courses tous les jours sauf le dimanche, l’entretien de sa belle terrasse et surtout la conversation avec ses fleurs à la belle saison. «Je me méfie des saints de glace, j’attends toujours qu’ils passent avant de faire mes jardinières», nous confie-t-elle.
Le Covid-19 a mis fin de façon abrupte à ses sorties quotidiennes. Son mari Jean, 85 ans, confiné dans sa bibliothèque comme il a toujours aimé l’être, vit cette période sans grande difficulté particulière. Mais Lucie, elle, aimerait revivre les grandes tablées avec enfants et petits-enfants qui raffolent de sa cuisine. «Il faudra attendre un peu, mais pas trop longtemps quand même parce que parler à ses petits-enfants par la fenêtre ne peut pas devenir une habitude, sinon très passagère», poursuit-elle.
Avec son mari, sa fille et son gendre
Lucie vit chez elle, avec son mari et leurs deux chiens. Elle a récupéré une de ses filles et son gendre sous son toit dès l’annonce du confinement. Ils ont investi un étage de l’imposante maison, pensant séjourner deux semaines, voire un mois, avec les parents, histoire de ne pas les laisser traverser seuls cette crise sanitaire. Lucie a réduit ses grandes tablées à quatre couverts et se sent privilégiée par rapport à d’autres personnes âgées isolées dans leur chambre en maison de retraite ou seules chez elles.
«Ma fille et mon gendre vivant sous le même toit qu’un couple d’octogénaires déclarés vulnérables, ils doivent eux-mêmes respecter un confinement assez strict», explique Lucie. Personne ne sort, sauf pour les deux promenades quotidiennes des chiens, avec masques et aux heures les plus creuses.
Pour les courses, Lucie a fait appel aux services communaux qui lui apportent ses sacs devant la porte. «Les personnels de la commune font ça très bien et ils maintiennent le contact avec l’extérieur, mais cela ne peut remplacer mes sorties à long terme», prévient-elle néanmoins. Elle aimerait surtout aller acheter ses fleurs elle-même très bientôt.
Dans l’idéal, elle passerait bien d’abord chez le coiffeur pour sa mise en plis, mais ne sait toujours pas quand elle pourra revoir un salon. «J’espère avant Noël, mais rien n’est moins sûr. Quant à moi, j’envisage de retourner faire mes courses en respectant les gestes barrières, pourvu que je puisse retrouver mes habitudes et discuter un peu avec toutes les personnes que je croise tous les jours dans les rayons de mon supermarché local», conclut-elle. Pour elle, le confinement absolu a assez duré.
G. M.