L’ancien n’est guère rentable sur le marché de l’immobilier. Autant le détruire pour reconstruire plus grand. Une vision qui ne correspond pas à celle des défenseurs du patrimoine qui s’opposent aux destructions.
Détruire ou ne pas détruire, telle est la question qui divise. De vieilles bâtisses sont de plus en plus souvent victimes de la pénurie de logements au Luxembourg. Elles sont rasées au profit d’immeubles à appartements. Bien souvent au mépris de leur valeur patrimoniale, regrettent les défenseurs du patrimoine bâti luxembourgeois. C’est le cas de la ferme de 1861 située au 5, route d’Arlon à Mamer, témoin du passé agricole et rural de la commune, qui, bien que le ministère de la Culture l’ait jugée digne d’être protégée, va faire place à un projet immobilier de 25 logements et des commerces répartis dans trois bâtiments. Cette ferme aux embrasures de fenêtre en pierre de taille n’est pas le premier bâtiment ancien voué à destruction dans la commune, ni le dernier. Un corps de ferme où de la chaux était produite va être remplacé par six logements modernes dans la rue de la Libération. Un autre bâtiment datant de la fin du XIXe siècle attend de subir le même sort dans la rue de Dippach.
Ces trois exemples parmi d’autres sont la preuve, selon les défenseurs du patrimoine bâti luxembourgeois, que les mesures de protection existantes fonctionnent mal. Une poignée d’entre eux ont manifesté samedi devant la ferme en cours de démolition à l’entrée de la route d’Arlon pour sensibiliser à la question. Actuellement, les communes peuvent décider de protéger des bâtiments anciens à travers les plans d’aménagements généraux (PAG). Ils peuvent également être inscrits à l’inventaire de l’administration des Sites et Monuments. Or selon Karin Waringo du groupe Facebook «Luxembourg under destruction», à l’origine de ce piquet de protestation, le ministère de la Culture ferait preuve de trop d’inertie face à certaines communes un peu trop zélées dans la signature d’autorisations de démolition. Dans les deux cas, Karin Waringo pointe un non-respect du patrimoine luxembourgeois.
Pour les défenseurs du patrimoine bâti, le pouvoir de décider des bâtiments à protéger devrait uniquement reposer entre les mains du ministère la Culture. Les communes ne devraient plus avoir leur mot à dire en la matière.
Une question de valeur
«Nous avons constaté une augmentation des démolitions de bâtiments anciens dans la commune de Mamer et dans d’autres, indique Karin Waringo. Ces fermes font partie de l’histoire de la commune.» La mémoire n’est pas le seul argument avancé pour défendre la conservation des bâtiments anciens. La protection du climat et la durabilité devraient en être un autre. «Au Luxembourg, nous avons un énorme problème en ce qui concerne le dépôt des déchets de construction, poursuit Karin Waringo. En outre, nous ne devons pas oublier que démolir les bâtiments anciens équivaut à perdre de l’énergie grise. On peut se poser la question de la valeur des nouvelles constructions qui ont une durée de vie moyenne d’une soixantaine d’années. On détruit quelque chose d’existant pour construire des bâtiments passifs qui nécessitent, dans leur processus de construction, bien plus d’énergie qu’un bâtiment traditionnel.»
Dernier argument avancé, celui de la spéculation immobilière. Abattre ces fermes et densifier le bâti aurait, selon elle, pour résultat de faire grimper les prix de ces fermes au point de devenir inaccessibles pour la plupart des ménages et de laisser le champ libre aux promoteurs. «Il ne s’agit pas de régler le problème du logement, note-t-elle. Les bâtiments sont achetés par des promoteurs et ils restent inhabités pendant des années avant d’être abattus. Des terrains et des logements tout à fait habitables sont ainsi retirés du marché.» Les promoteurs feraient des réserves.
Tous les bâtiments anciens ne doivent pas être conservés, reconnaissent les défenseurs du patrimoine bâti luxembourgeois, «cependant tous ne doivent pas non plus être détruits». Les membres du groupe lancé en 2019 sur Facebook disent vouloir mettre un terme à la défiguration des villes et des villages luxembourgeois.
La commune a tranché
9, 15, 25, 52, 62, route d’Arlon, 2, rue du Millénaire, angle des rues du Millénaire et du Commerce ou 5, rue des Maximins : autant de bâtiments anciens détruits ces dernières années sur le territoire de la commune limitrophe de la «grande banlieue» de la capitale pour faire place à des constructions modernes. Si la commune de Mamer ne nie pas l’importance du patrimoine, elle indique à RTL que toutes les maisons anciennes ne peuvent être conservées et qu’il faut se mettre à la place de leurs propriétaires. «Nous vivons dans un état de droit, a indiqué le bourgmestre Gilles Roth à nos confrères. Il convient d’arbitrer entre le bien de la communauté et le patrimoine d’un propriétaire. Une grande majorité du conseil communal a tranché pour la solution appliquée actuellement.» Il ajoute que, ces dernières années, 96 bâtiments sur 113 ont été classés au patrimoine communal. Un résultat appréciable étant donné que ces bâtiments perdent en valeur sur le marché…
Sophie Kieffer
Une fédération pour mettre la pression
La nouvelle loi se faisant attendre, les défenseurs du patrimoine se sont regroupés en fédération pour faire avancer les choses.
Ferme Hackin à Boevange-sur-Attert, Wäissenhaf à Sandweiler, maison rue Jean-L’Aveugle à Luxembourg, ferme du XVIIe siècle à Steinsel, les exemples de destructions jugées scandaleuses s’accumulent. Il faut dire que de plus en plus de résidents s’intéressent à la cause du patrimoine architectural national. Au point que pour regrouper tout le monde, une fédération a récemment été créée. Son but : mettre la pression sur les responsables politiques qui ont le sort des bâtiments anciens entre leurs mains. Les défenseurs du patrimoine redoutent un manque de volonté de la part du gouvernement de protéger ces bâtiments, malgré la réforme en cours de la loi sur la protection du patrimoine.
Du côté de la fédération et des associations qu’elle regroupe, on attend cette nouvelle loi avec impatience. Actuellement, les communes et le ministère de la Culture sont compétents en matière de protection du patrimoine. «Certaines communes ne classent pas des bâtiments dignes de protection dans leur PAG et ils sont abattus, parfois même quand ils le sont, indiquait récemment Paul Ewen, président de la fédération. Communes et ministère se renvoient la responsabilité. Leurs intérêts ne sont pas les mêmes.» Certaines communes n’en auraient rien à faire de la protection du patrimoine bâti.
La nouvelle loi prévoit la création d’un inventaire national complet qui référencerait les bâtiments dignes d’être conservés et serait établi par des architectes et des historiens de l’art. Inventaire pour lequel l’État se donne dix ans. Pour accélérer les choses, des pétitionnaires ont proposé de placer sous protection automatique toutes les constructions d’avant 1955. Elles devront faire l’objet d’une expertise par le Service des sites et monuments nationaux avant toute envie de démolition. L’idée n’a pas fait mouche, le Conseil d’État avait avisé un précédent projet qui fixait cette date à 1912 et avait émis une opposition formelle justifiée par la difficulté de prouver légalement la date de construction de certains vieux édifices. La future loi ne le laisse pas indifférent puisqu’il a émis pas moins de 40 oppositions formelles.
Toujours est-il que près de 14 000 bâtiments sont protégés sur les quelque 17 600 repérés. Une centaine de bâtiments présentant un intérêt seraient détruits chaque année, estimait l’historien Denis Scuto dans le Tageblatt.