Une petite centaine de manifestants ont défilé samedi à travers la capitale pour réclamer une meilleure protection du patrimoine bâti. Un nouveau texte de loi s’annonce pour le printemps 2021.
Le rendez-vous était fixé, sous la pluie, au lieu-dit «Um Piquet», situé au pied de l’hôtel des Postes. Le choix des organisateurs de la manifestation intitulée «Notre protection du patrimoine ne fonctionne pas» n’est pas anodin. Alors que l’ancien siège de la poste va rester en l’état en dépit de sa transformation en véritable hôtel, l’immense complexe du Royal-Hamilius se dresse juste devant le bâtiment historique. Et à quelques dizaines de mètres de là, sur le boulevard Royal, des villas urbaines ont déjà depuis longtemps été rasées pour faire place à des bâtiments modernes.
«Par rapport à d’autres pays, le Luxembourg compte relativement peu de bâtiments et monuments protégés dans le cadre de la conservation du patrimoine national. Au cours des dernières décennies, une partie substantielle du patrimoine bâti, architectural et industriel du pays a disparu, victime du marché immobilier en plein essor. Aujourd’hui, il ne subsiste que très peu de l’architecture historique du pays», constate amèrement l’ASBL Industriekultur-CNCI dans le communiqué préfaçant la manifestation de samedi. Ce sont 19 associations qui se sont mobilisées pour ce piquet de protestation. Des initiatives citoyennes locales, ententes et mouvements de tous les horizons se sont réunis pour réclamer au camp politique des «mesures urgentes en faveur de la protection du patrimoine bâti et industriel».
Le défilé de samedi à travers les rues de la capitale a été symboliquement organisé en clôture de l’édition 2020 des journées européennes du Patrimoine, dont le slogan «Patrimoine et éducation – Apprendre pour la vie» est venu mettre l’accent sur la jeunesse. «Toutefois, la question urgente qui se pose est la suivante : avec l’absence d’un cadre légal, si nous ne valorisons même pas notre propre patrimoine national bâti et ne garantissons pas la conservation de nos monuments historiques et industriels, comment pouvons-nous transmettre ces connaissances aux générations futures ?», s’interrogent les organisateurs de la manifestation.
Le grand public comme allié
Après s’être réunis au pied de l’hôtel des Postes, les manifestants ont mis le cap sur le parvis de la Chambre des députés. Derrière les murs du parlement se prépare actuellement la nouvelle version de la loi sur le patrimoine culturel. L’ancien texte date de 1983. Contactée par nos soins, la rapportrice du projet de loi Djuna Bernard (déi gréng) dit accueillir à bras ouverts la mobilisation de la société civile autour du sujet. Elle affirme même que les récents piquets de protestation «l’arrangent bien» : «La prise de conscience du public est primordiale. Toucher au patrimoine est toucher à notre histoire. Il nous faut donc changer d’approche et valoriser ce patrimoine.»
En attendant le texte de loi, les manifestants estiment que «la pelleteuse détruit notre histoire», comme on pouvait le lire sur une des nombreuses pancartes. Ils se sont mis à leur tour à sensibiliser le public en distribuant des cartes postales aux visiteurs du marché de la place Guillaume-II. C’est sur les marches de l’hôtel de ville de Luxembourg que la manifestation a pris fin.
«Le texte en lui-même ne pourra cependant pas résoudre tous les problèmes, prévient toutefois Djuna Bernard. Les communes devront se mobiliser au côté de l’État. L’établissement d’un inventaire national est important, mais sur le plan local, des bâtiments à protéger pour sauvegarder par exemple le cœur historique d’un village devront aussi être classés.» L’établissement de l’inventaire va prendre dix ans.
Le futur cadre légal va toutefois permettre de préciser les dispositions et procédures à respecter. Dans cet ordre d’idées, la loi ne devrait pas non plus venir freiner l’ambition de réaliser plus de logements, précise la députée.
Elle espère clôturer les travaux législatifs d’ici le printemps 2021 : «La commission parlementaire se réunit deux fois par semaine. On a 130 articles à examiner avec 4 à 5 qui passent par réunion. Pour l’instant, le travail est d’ordre technique avec le volet sur l’archéologie. Mais j’espère que les travaux pourront être clôturés dans les six mois.» Il faudra ensuite attendre l’avis du Conseil d’État avant de pouvoir faire voter la loi.
David Marques
Un débat public à la Chambre
La prochaine occasion de faire passer leur message ne va pas tarder pour les défenseurs du patrimoine. Le 21 octobre, les initiateurs de la pétition publique qui lance un «Appel urgent pour la protection du patrimoine architectural luxembourgeois» seront reçus à la Chambre pour débattre avec les députés. La ministre de la Culture, Sam Tanson, sera également présente lors de ces échanges retransmis en direct sur Chamber TV.
La pétition, qui a récolté 5 400 signatures entre le 26 juin et le 7 août, estime que «la démolition du patrimoine architectural du pays progresse de façon inexorable». «À l’instar de ce qui se fait dans d’autres pays, la protection du bâti ancien devrait être la règle, sa démolition l’exception», poursuivent les pétitionnaires. Plus concrètement, la pétition réclame que «tout bâtiment construit avant 1955 (soit) systématiquement protégé. Les permis de démolition de ces édifices ne devraient être accordés qu’à titre exceptionnel, après une évaluation minutieuse de leur valeur architecturale et historique, fondée sur des critères transparents et objectifs conformes aux normes internationales dans le domaine de la protection du patrimoine».
Djuna Bernard, la rapportrice du projet visant à réformer le cadre légal de la protection du patrimoine culturel, salue l’initiative, mais se voit obligée de freiner quelque peu les pétitionnaires. «Leur revendication de protéger d’office tous les bâtiments d’un certain âge a déjà fait l’objet de plusieurs initiatives législatives au fil de ces dernières années. À chaque reprise, le Conseil d’État a formulé son opposition», note la députée déi gréng.