Malgré la vaccination, la vigilance reste de mise pour les résidents et le personnel des Hospices civils. Courage et endurance restent de rigueur, malgré la lassitude et l’absence de perspectives.
L’enjeu est grand pour les maisons de soins, de retraite ou de repos : empêcher le Covid-19 de contaminer leurs pensionnaires comme c’est actuellement le cas à la résidence pour seniors Sainte-Élisabeth am Park à Luxembourg. Depuis le mois de mars, les directeurs de ces établissements prennent des décisions parfois impopulaires pour sauver ces communautés de vie. L’arrivée du vaccin redonne de l’espoir, mais ne signifie pas le relâchement de la vigilance. Patricia Helbach, la directrice des Hospices civils de la Ville de Luxembourg, livre son expérience des derniers mois à protéger près de 300 pensionnaires fragilisés et 350 membres du personnel au bord de la rupture.
La maison de soins de Hamm, plus grande maison de soins de la capitale, a fait partie de la première session de vaccination, contrairement à l’hospice civil du Pfaffenthal, qui attend son tour. 94 % des résidents ont reçu le vaccin. «Certains n’ont pas pu être vaccinés en raison de leur état de santé – ils avaient de la fièvre ou étaient hospitalisés –, d’autres ont refusé parce qu’ils n’ont jamais été vaccinés de leur vie ou par peur. Certaines familles ont refusé de faire vacciner leurs proches», indique la directrice. Un choix qu’elle respecte, même si, pour elle, il ne va pas dans le sens de la vie en communauté. Avant d’être vacciné, chaque résident a été vu par un médecin qui a donné son accord préalable. Personne n’a été forcé à se faire vacciner. «Il s’agit de la même procédure qu’en cas de grippe saisonnière. Le médecin a vérifié qu’il n’existait pas de contre-indications à la vaccination.»
Les personnes qui n’ont pas pu ou voulu être vaccinées ne font pas l’objet d’un traitement spécial ni ne sont mises à l’écart. «Rien n’est encore joué. Les résidents ont reçu une deuxième injection mercredi. Il faudra encore une semaine avant que l’immunité ne s’installe. Cependant, on ne sait pas grand-chose sur les effets du vaccin sur le virus. On ne sait pas encore si une personne vaccinée peut ou ne peut pas le transmettre. Donc, les gestes barrières et les mesures sanitaires continueront d’être appliqués quoi qu’il arrive», note la directrice.
Si les résidents ont été vaccinés, la directrice ne sait pas ce qu’il en est des membres de son personnel. Patricia Helbach estime, après enquête, qu’à peu près un tiers de son personnel a reçu le vaccin et dit avoir constaté beaucoup de réticences. Rumeurs, informations contradictoires, théories tirées par les cheveux en ont découragé plus d’un(e). «Nous n’avions aucune emprise pour les motiver à se faire vacciner, regrette la directrice. Voir que les premières personnes vaccinées sont en bonne santé devrait les encourager à passer le pas. Le terme soignant englobe différents domaines de travail, tous n’ont pas des connaissances médicales. Le travail de sensibilisation est nécessaire. Le personnel doit comprendre qu’il n’y a pas d’autre alternative au vaccin si on veut avancer.»
«Le personnel n’en peut plus»
La situation devient pesante. Résidents et personnel aimeraient retrouver un semblant de normalité et de spontanéité. Car si les deux hospices n’ont jamais complètement été fermés sur l’extérieur depuis mars et qu’aucun pensionnaire n’a été enfermé dans sa chambre, des mesures sanitaires strictes sont observées pour protéger les résidents. «Au début, les faire respecter était difficile. Peu de gens mettaient le masque. Les cas d’infection que nous avons connus étaient dû au non-respect des mesures», note la directrice.
Patricia Helbach a des vies entre ses mains et si elle a parfois dû se montrer stricte, elle assure avoir trouvé «frustrant de voir un couple séparé». «Heureusement, chaque maison de soins a pu opter pour sa propre stratégie en fonction de sa taille, de sa population et de la disposition de ses locaux. Nous avons choisi de laisser les familles se rencontrer à condition que les mesures sanitaires soient respectées», indique-t-elle, pour soulager un personnel «fatigué physiquement et mentalement».
Manque de distractions, de moyens de décompresser, de nouvelles impulsions et de perspectives qui aident à tenir le choc, routine, conditions de travail difficiles, fatigue, noirceur de l’hiver… «C’est insoutenable !», lance la directrice, qui ne tarit pas d’éloges envers son personnel : «Il faut voir comment les équipes se sont données aux étages où il y avait des cas de Covid, à transpirer sous leurs combinaisons et leurs masques sans savoir comment la situation allait évoluer.» Patricia Helbach craint que la situation «n’évolue pas aussi rapidement qu’on ne le pense avec la vaccination». «Les gens commencent à en avoir marre. Nous travaillons avec un minimum de personnel qui veut donner le maximum et n’a plus le temps de se remettre d’une vague à l’autre. Ils ont besoin de changer d’air!»
«Un Noël différent, pas un Noël triste»
Pour garder le cap malgré les vagues, Patricia Helbach s’accroche aux points positifs, comme les liens qui se nouent, les échanges qui mettent du baume au cœur, le dévouement des équipes pour la communauté. Les deux hospices ont dû faire face à des foyers d’infection en novembre. «Le personnel n’a rien lâché et a continué à penser de manière positive et à transmettre cette attitude, précise la directrice. Tout le monde a changé sa manière de travailler et a fait preuve de flexibilité pour le bien-être des résidents en proposant des activités, en leur permettant de dialoguer à distance avec leurs familles, en faisant continuer la vie. La cohésion a été très importante. C’est ce qu’il faut retenir de cette situation.»
Après les foyers d’infection de novembre, les équipes ont dû se préparer aux risques de réapparition du virus après les fêtes de fin d’année et cela n’a pas manqué. «Les résidents ont pu passer Noël en famille, mais ils ont dû se soumettre à une quarantaine de sept jours et subir un test à leur retour. Cette mesure s’est avérée juste, puisqu’un certain nombre de résidents qui avaient passé Noël dans leurs familles ont été testés positifs à leur retour. Ils n’ont pas pu contaminer d’autres résidents parce qu’ils étaient en quarantaine», raconte la directrice. «D’autres ont préféré rester à l’hospice et profiter des visites de leurs familles. C’était un Noël différent, mais ce n’était pas un Noël triste. Les gens se sont tenus aux mesures sanitaires et nous n’avons pas eu de cas de Covid parmi ces personnes.»
Depuis le début de la crise, la directrice cherche à protéger les communauté de vie des deux hospices. «Il faut parfois faire des compromis et se dire qu’on risque de contaminer son parent et d’entraîner son décès prématuré. Il faut vivre avec après. Une protection à 100 % n’existe pas», indique-t-elle. Comme on l’a vu, protéger ne signifie pas enfermer ou contraindre, pour Patricia Helbach, mais responsabiliser. «Les personnes âgées ont le droit de choisir de ne pas se plier aux mesures sanitaires parce qu’elles ne correspondent pas à leurs aspirations de vie, conclut-elle, mais à partir du moment où l’on vit en communauté de vie, il faut aussi mesurer les conséquences de ses choix sur la communauté en question.»
Sophie Kieffer