Michel Sinner et Lilia Thomaschchuk figurent parmi les premiers Luxembourgeois à avoir accueilli des réfugiés ukrainiens à Mersch. Il s’agit des parents et de la grand-mère de la jeune femme. Ils nous racontent leur périple.
La télévision tourne en continu depuis plusieurs jours, dans cette petite maison de Mersch où flotte un drapeau bleu et jaune au balcon. Tous les yeux sont rivés sur l’écran, qui voit défiler des images saisissantes venues tout droit d’Ukraine.
La guerre y fait rage depuis plus de dix jours maintenant et le quotidien des Ukrainiens encore sur place est rythmé par les sirènes qui résonnent aux quatre coins du pays, sous l’invasion russe.
Devant cette télévision se trouvent Michel Sinner, sa compagne Lilia Thomaschchuk, ses parents et sa grand-mère. Ces derniers viennent justement d’Ukraine, de la ville de Kharkiv plus précisément, deuxième plus grande ville d’Ukraine, qui a subi des bombardements dévastateurs il y a quelques jours.
Sur ces images, c’est toute leur vie qui défile, leurs amis, leur quartier. Ce dernier a déjà subi des dommages : leur immeuble tient encore debout, mais toutes les fenêtres ont été soufflées par des explosions et incendies.
Eux ont réussi à fuir rapidement, grâce à Lilia et Michel, qui ont tout fait pour les mettre à l’abri du danger. «Nous avions vu les mouvements militaires tout autour de l’Ukraine et pas uniquement dans la région du Donbass : nous étions convaincus qu’une invasion massive allait avoir lieu», explique le Luxembourgeois.
Trois semaines avant l’invasion de l’ogre russe, ils décident donc de prévenir leur famille à Kharkiv, pour les convaincre de rejoindre une ville plus à l’ouest du pays. Le temps de voir comment évolue la situation.
Des négociations difficiles : les parents de Lilia ne comprennent pas la peur de la jeune femme et minimisent les faits. «Des amis nous riaient au nez : pourquoi vous voulez partir? Arrêtez de regarder les infos», détaille la grand-mère de Lilia.
17 heures de voiture jusqu’en Slovaquie
Il faut dire que la guerre fait partie du quotidien des Ukrainiens depuis de nombreuses années déjà. «Elle n’a pas commencé le 24 février dernier. Elle est là depuis longtemps et malheureusement, ils se sont habitués à tout cela. Ils n’ont pas vu la menace, ils se disaient que c’était impossible», explique la jeune Ukrainienne, qui s’est installée au Luxembourg il y a un peu plus de deux ans.
À force de discussion, elle réussit toutefois à convaincre ses parents et sa grand-mère de se rendre dans un appartement loué sur Airbnb, dans la ville de Moukatchevo, tout à l’ouest de l’Ukraine, à plus de 15 heures de route de leur domicile.
L’avantage de cette ville, c’est qu’elle se situe derrière le massif des Carpates, une chaîne de montagnes qui couvre l’Europe centrale et de l’Est sur 1 500 km. «Ils étaient protégés d’une potentielle invasion et surtout, à l’embrasure de trois pays frontaliers dans lesquels fuir en cas d’attaque», précise Michel. Un coup d’avance qui leur a sauvé la vie, à peine quelques semaines plus tard.
Car le 24 février dernier, l’Ukraine se réveille en guerre. Un sentiment d’horreur emplit Lilia et Michel, qui n’hésitent pas une seule seconde : ils contactent leur famille et préviennent leurs employeurs qu’ils ne viendront pas travailler pour quelque temps. Ils vont les évacuer eux-mêmes.
«Ils ne parlent aucune langue à part le russe et l’ukrainien. La grand-mère est aveugle… C’était impossible de les récupérer par un autre moyen : nous avons sauté dans la voiture, direction la Slovaquie», relate Michel.
Durant le trajet de plus de 17 heures, ils restent en contact permanent avec eux, louent deux chambres d’hôtels à Košice, (Cassovie), en Slovaquie, et ne s’arrêtent que pour les besoins de première nécessité et pour remettre de l’essence dans leur véhicule. Ils n’ont qu’une seule hâte : retrouver leur famille et fuir l’Est le plus vite possible.
À peine arrivés à Košice, ils repartent immédiatement pour le Luxembourg : ils seront parmi les premiers Ukrainiens à fouler le sol luxembourgeois le dimanche 27 février.
Malheureusement, tous les membres de la famille Thomaschchuk n’auront pas eu cette chance : la petite sœur de Lilia, elle, a refusé de quitter l’Ukraine et demeure encore maintenant à Kharkiv. Une source d’angoisse permanente pour toute la famille, qui tente de maintenir le contact avec elle chaque jour.
«Elle ne croyait pas à la guerre. Maintenant c’est trop tard, c’est trop dangereux pour elle et mon beau-frère de quitter la région. Ils descendent chaque jour dans un bunker pour se mettre à l’abri et disent avoir encore suffisamment de nourriture et d’eau, ainsi que du bois pour se chauffer», détaille Lilia, les larmes aux yeux.
«Merci au Luxembourg»
«Toutes nos vies ont changé en l’espace de 48 heures», souligne son compagnon, l’air grave. «Nous vivons désormais à cinq ici, au jour le jour. Je vais aller les déclarer pour qu’ils puissent bénéficier de la protection spéciale accordée aux réfugiés ukrainiens et puis la suite… on verra», précise-t-il.
Face au désarroi et à la peur, un sentiment domine toutefois : la gratitude. Nombreux sont les Luxembourgeois à se mobiliser depuis plusieurs semaines pour aider les Ukrainiens : des dons qui touchent particulièrement la famille de Lilia, qui n’avait jamais vu une telle vague de solidarité auparavant.
«Nous avons reçu des habits, des affaires à donner à mes parents et ma grand-mère, qui n’ont pris que le strict nécessaire en partant. Ils étaient persuadés qu’ils partaient uniquement quelques semaines pour des vacances. Nous sommes très reconnaissants de cette aide bienvenue», remercie Lilia.
Michel et elle s’engagent d’ailleurs également chaque jour au sein de l’association LUkraine et ont lancé un appel aux dons en ligne pour aider les prochains réfugiés en route pour le Luxembourg.
Selon le consul honoraire d’Ukraine dans le pays, jusqu’à 3 000 Ukrainiens sont attendus dans le pays ces prochaines semaines. Et à l’image de Michel et Lilia, 500 familles se sont déjà proposées pour les héberger.
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