Niels Toase (34 ans), meilleur sommelier du Luxembourg en 2014, est désormais enseignant. Depuis 2019, il est aussi vigneron en Allemagne et il démarre très fort !
Comment un jeune homme irlando-allemand s’est-il retrouvé l’année dernière à représenter le Grand-Duché au Concours du meilleur sommelier du monde qui avait lieu à Anvers, en Belgique ? C’est toute la magie du vin, qui ne connaît pas de frontières. Et il avait visiblement encore un peu de ressource pour qu’on lui propose de former les élèves de l’École d’hôtellerie et de tourisme du Luxembourg à Diekirch.
Niels Toase, qui a notamment travaillé au Luxembourg à l’Albert 1er, au Bouquet Garni ou chez Bernard Massard, a bu les meilleurs vins. Il a appris à les connaître et à les servir à la perfection mais, quelque part, il lui manquait encore quelque chose : produire ses propres bouteilles. Et puis, l’occasion est venue. «Stephan Weber (NDLR : de la Weingut Weber Brüder, à Wiltingen sur la Sarre allemande, mais aussi maître de chai du domaine Henri Ruppert, à Schengen) a proposé que l’on s’associe pour travailler une belle vigne de Wiltingen, explique-t-il. C’est un superbe terroir situé dans le prolongement du Scharzhoberg.» Ce lieu-dit posé sur le schiste est le berceau des plus beaux rieslings du monde, notamment ceux d’Egon Muller, dont les prix dépassent l’entendement ! Alors, une occasion comme celle-là, ça ne se refuse pas.
Ce travail à quatre mains s’est montré passionnant puisque chacun avait sa sphère de compétence et que les deux se sont finalement rejointes dans le contenu de la bouteille. «Nous avons échangé nos idées. J’avais en tête l’idée du vin que je voulais et Stephan savait comment on pouvait le faire et, surtout, ce que l’on pouvait faire, ce dont je n’avais pas toujours conscience», reconnaît le sommelier.
Les ceps, plantés dans les années 1960, sont situés sur un coteau en pente très bien exposé. Stephan Weber l’avait récupéré il y a trois ans de cela dans un état, disons, pas extraordinaire. Mais à force de travail, lui et son frère sont parvenus à leur offrir une nouvelle jeunesse. Des rieslings âgés d’un demi-siècle sur un coteau aussi prestigieux, si l’on en prend soin, cela ne peut pas amener de mauvaises surprises !
Bien que jeune, ce riesling est déjà très grand
Dès la fin des vendanges, le coup apparaît prometteur. «J’ai goûté le moût… il y avait une telle tension,une telle puissance… Nous nous sommes dit : « C’est parti! ».» Dès le départ, les objectifs sont très clairs : la recherche d’une qualité irréprochable avec le souci de laisser au maximum travailler la nature. Les levures, par exemple, sont indigènes. C’est-à-dire que le jus a fermenté sans levure ajoutée. Seules celles présentes naturellement sur les raisins et dans l’air ambiant ont fait le travail. Dans ces conditions, il n’y a pas d’autres solutions que de faire confiance, puisque l’on accepte de ne pas tout maîtriser. De fait, les levures n’étaient pas pressées! «Nous avons décidé d’arrêter la fermentation à Noël 2019, précise-t-il. Pour un millésime 2018, c’est long!» Le vin, ensuite, a été légèrement filtré pour le stabiliser sans le brusquer.
Par la force des choses, ce riesling a gardé 26 grammes de sucre résiduels, ce qui semble beaucoup. Surtout lorsque l’on regarde les livres de cave luxembourgeois. Mais avec un tel vin, cela ne pose aucun problème. «Nous avons gardé une belle acidité et il est malgré tout très équilibré, détaille Niels Toase. J’aime ces vins de la Sarre qui mêlent la légèreté et la puissance que leur donne ce terroir schisteux. Mon ambition était de faire un vin qui se place dans la grande tradition des rieslings de la Sarre. Même si la mode est aux rieslings plus secs, j’aime cette touche de douceur qui donne de l’étoffe et une grande capacité de vieillissement.»
Alors qu’il est encore très jeune et qu’il est bâti pour une garde qui se comptera en dizaines d’années, ce riesling est déjà très grand. Le sucre est là, certes, mais pas la sucrosité. Cette gourmandise est extrêmement digeste car la trame d’acidité emmène l’ensemble sur un terrain finalement aérien, frais, rafraîchissant et sans aucune lourdeur. C’est bien simple, ne boire qu’un seul verre tiendrait de l’exploit (ou de la torture!) tant la dernière goutte appelle à s’en verser un nouveau !
Les 750 bouteilles sont déjà vendues
Compte tenu du profil de Niels Toase, il serait impardonnable de ne pas lui demander avec quels plats il servirait ce vin. Voilà ce qu’il conseille : «Avec sa fraîcheur et sa gourmandise, il passerait très bien à l’apéritif. À table, je le servirai par exemple avec un carpaccio de Saint-Jacques relevé d’une marinade acidulée au wasabi. Il serait également très bien avec de la cuisine asiatique, par exemple thaï. Le sucre adoucirait le feu des épices. En dessert, il faudrait choisir un plat peu sucré, un ananas flambé qui rappellerait ses arômes serait parfait.» C’est ce qui s’appelle mettre l’eau à la bouche.
Malheureusement, et ce n’est pas vraiment une surprise, les 750 bouteilles bouchées en mars sont déjà vendues. «Je savais qu’il était bon, mais je ne pensais pas qu’il plairait autan t!», sourit le néo-vigneron. Il fait le modeste parce que, grâce aux concours internationaux de sommellerie auxquels il a participé, il a pu remplir son carnet d’adresses des coordonnées de ses collègues les plus illustres. Et, après leur avoir fait goûter, tous les retours ont été élogieux.
«Pour moi, c’était un challenge extrêmement enrichissant et j’ai beaucoup aimé travailler avec Stephan, reconnaît-il. Finalement, en tant que sommelier, c’est facile de critiquer le vin des autres. Dorénavant, c’est moi qui me mets en position d’être critiqué par les sommeliers!» Jusqu’à présent, il n’a pas eu à s’en plaindre et s’il continue sur ces bases-là, il n’y a aucune raison que ça change. On ne baptise pas son vin du nom de sa fille par hasard… Les Vignes de Beth sont terriblement bien nées!
Erwan Nonet
Niels Toase a suivi une formation hôtelière classique en Allemagne et, au fur et à mesure, son intérêt s’est porté sur la restauration, la sommellerie et la mixologie (l’art d’élaborer les cocktails). À l’issue de sa scolarité, il est reparti en Irlande – pays d’origine de son père – pour œuvrer dans un établissement membre des Relais&Châteaux. Il a débuté en tant que chef de rang avant de prendre la responsabilité du restaurant de 200 couverts seulement deux ans plus tard, à 22 ans.
Après la naissance de son premier enfant survient la crise en Irlande. Avec son épouse, qui est française, il décide de partir s’installer en Bretagne, à Dinard, pour se spécialiser en sommellerie. Ses diplômes en poche, il travaille non loin de là, à Cancale d’abord, puis à Jersey où il est maître d’hôtel d’un restaurant étoilé. Une expérience intéressante, toutefois : «Jersey est beau… mais très petit !»
Il saisit alors l’opportunité de rejoindre le Luxembourg où une place s’est libérée à l’Hôtel Albert 1er (Belair). Il entre ensuite notamment au Bouquet Garni avant de rejoindre Antoine Clasen chez Bernard Massard. «J’y ai passé six très belles années, c’était une chouette expérience.» Il en a profité pour passer ses diplômes d’œnologie par le WSET (une prestigieuse organisation), y compris sur les sakés. Depuis, il n’a plus quitté le Grand-Duché. Il est même devenu l’année dernière le nouveau président de l’Association luxembourgeoise des sommeliers.
E. N.