Une centaine de manifestants se sont à nouveau rassemblés hier devant l’ambassade de Pologne pour protester contre les nouvelles restrictions du droit à l’avortement dans le pays.
La colère des Polonaises a grondé jusqu’au Luxembourg. Mardi soir, une centaine de manifestants (majoritairement des femmes, mais on comptait également quelques hommes) ont tenu à apporter leur soutien à leurs sœurs polonaises qui voient leur droit à l’avortement, déjà très restreint, être désormais quasiment interdit. Scandant «Mon corps, mon choix» en anglais et en polonais, les femmes ont crié pour la deuxième fois leur colère à l’ambassadeur de Pologne au Luxembourg, érigeant des pancartes sur lesquelles on pouvait lire «J’aurais aimé avorter de mon gouvernement», «Je ne laisserai pas ma vie se restreindre» ou encore «Casse-toi de ma chatte».
Depuis la décision du Tribunal constitutionnel polonais le 22 octobre dernier de durcir encore l’accès à l’IVG, le sexe prétendument faible se soulève en effet par milliers chaque soir à Varsovie contre une loi qui, si elle est publiée au journal officiel, enterrera pour de bon le droit à l’avortement dans ce pays à forte tradition catholique où la loi anti-avortement compte déjà parmi les plus restrictives d’Europe. Jusque-là, les femmes n’étaient en effet autorisées à avorter qu’en cas de danger de mort pour la mère, si celle-ci avait été victime de viol ou d’inceste ou en cas de malformation grave du fœtus.
C’est ce dernier point qui a mis le feu aux poudres, devenu désormais illégal d’après le Tribunal constitutionnel, à la suite d’une requête déposée par des députés du parti ultraconservateur au pouvoir, le PiS (Droit et justice), ainsi que du parti d’extrême droite Konfederacja, au motif que cela constituerait une forme d’eugénisme. «Ce n’est pas une vraie cour constitutionnelle. Le gouvernement a réformé le Tribunal afin de minimiser le pouvoir judiciaire et aujourd’hui les décisions sont prises en fonction d’influences politiques», s’insurge Agata Szymoniak, juriste, qui a organisé la manifestation. «Je savais que le PiS réduirait encore le droit à l’avortement, mais je ne pensais pas qu’il oserait le faire pendant la crise sanitaire. Pour moi, ils le font pour masquer leur mauvaise gestion du Covid», poursuit la jeune femme qui reconnaît que, parmi les manifestantes en Pologne, tout le monde n’est pas pour «le plein droit à l’avortement». «Mais moi je me battrai pour plus de droits! C’est à la femme de décider.»
L’état de droit en danger
«Cette décision est une catastrophe. Ils veulent faire de la Pologne une dictature. Et il n’y a pas que l’avortement, il y a aussi le problème de l’homophobie, du racisme, ce que ce gouvernement fait par rapport au climat…», s’élève également Jeroslav, venu manifester «parce qu’il a une fille».
«L’État de droit est en danger dans des pays comme la Pologne ou la Hongrie», affirme pour sa part l’eurodéputée Tilly Metz (déi gréng), venue apporter son soutien aux manifestantes. «Le PiS fait encore partie du PPE (Parti populaire européen)! Il est temps d’envoyer des signes clairs! Il faut que l’UE prenne ses responsabilités et applique de vraies sanctions contre ces pays qui ne respectent pas le droit des femmes», ne décolère pas la députée, qui rappelle au passage : «On sait bien que rendre l’avortement illégal ne le rend pas moins fréquent. Comme au Moyen Âge, les femmes auront recours à des faiseuses d’anges. Mais ce sont les moins favorisées qui en payeront le prix le plus lourd.»
D’après les données officielles, moins de 2 000 avortements légaux sont pratiqués chaque année en Pologne. Un chiffre loin de refléter la réalité de la pratique : les organisations féministes estiment en effet pour leur part que plus de 200 000 IVG sont réalisées illégalement ou effectuées à l’étranger chaque année.
Tatiana Salvan
L’avortement au Luxembourg
Depuis 2014, l’IVG ne fait plus partie du code pénal luxembourgeois et la notion de «situation de détresse» a été retirée de la loi. Si la deuxième consultation psychosociale est désormais facultative pour les femmes majeures, elle reste obligatoire pour les mineures. Au Luxembourg, l’IVG est autorisée jusqu’à la 12e semaine de grossesse. Au-delà de ce délai, elle peut encore être pratiquée si deux médecins qualifiés attestent par écrit que la grossesse représente un danger pour la santé ou la vie de la femme enceinte ou de l’enfant à naître. Au Grand-Duché, l’IVG est entièrement prise en charge par la CNS.