Ahoua Eve Bakayoko a quitté le monde de la finance pour se lancer dans l’autoentrepreneuriat. Elle a créé Miss Bak, une ligne de cosmétiques naturelle et éthique.
C’est au cœur d’une ancienne menuiserie transformée en incubateur alternatif dédié à l’économie circulaire et solidaire, le Facilitec à Esch-sur-Alzette, qu’Ahoua Eve Bakayoko nous reçoit. Tout en élégance, la peau resplendissante (ça a son importance !), la jeune femme de 38 ans, originaire de Côte d’Ivoire, a quitté il y a peu le monde de la finance et un salaire confortable pour se lancer dans l’aventure de l’autoentrepreneuriat.
Son créneau ? La cosmétique naturelle, éthique et de haute qualité. Ahoua Eve Bakayoko est en effet la créatrice de Miss Bak, marque qui propose des produits tels que du beurre de karité, du beurre de cacao ou de l’huile de coco, élaborés au sein de deux coopératives en Côte d’Ivoire qui permettent aux femmes de gagner en autonomie. L’aspect social et éthique était en effet un point essentiel et non négociable lorsque Ahoua Eve Bakayoko a décidé de monter son entreprise.
«Quand j’ai commencé à rechercher des producteurs, on m’a proposé des beurres de karité du Burkina Faso voisin (NDLR : deuxième pays producteur mondial d’amandes de karité), avec des produits déjà certifiés. Mais non seulement, le Burkina Faso se fournit aussi parfois en amandes de Côte d’Ivoire, mais, surtout, l’aspect social est extrêmement important pour moi. Je voulais mettre en valeur ces femmes qui se lèvent à l’aube et prennent des risques pour aller chercher des amandes», explique la créatrice.
Vers un mode de vie plus minimaliste
Si les produits Miss Bak ne sont effectivement pas encore officiellement certifiés «bio» (la certification coûte cher), ils n’en demeurent pas moins «bruts, non raffinés, sans additifs, d’excellente qualité», assure la jeune femme.
C’est en 2017 qu’Ahoua Eve Bakayoko mûrit l’idée de monter sa propre entreprise. Son fils, âgé de 10 ans aujourd’hui, atteint de troubles du spectre autistique, avait commencé quelques années auparavant à développer de nombreuses et fortes allergies. «Un symptôme assez courant dans l’autisme», précise-t-elle.
Ahoua Eve Bakayoko s’est alors penchée sur ce qu’ils ingéraient et sur les produits qu’ils utilisaient pour leur peau. «Je me suis mise à décoder toutes les étiquettes. C’est vraiment à partir de là que j’ai commencé ma vie de militante.»
Peu à peu, elle entreprend de réduire sa consommation, de se tourner vers un mode de vie plus minimaliste et d’utiliser des produits plus naturels. «Lorsque la liste d’ingrédients est trop longue, je repose systématiquement le produit.» Elle constate rapidement une grande différence.
«Les allergies de mon fils ont énormément diminué. Quant à moi, je me sens beaucoup mieux et je le vois sur ma peau. Aujourd’hui, je me maquille très peu et, surtout, je n’applique que du beurre de karité ! Cette prise de conscience de ma surconsommation a été un véritable choc. On se rend compte qu’on oublie les choses de base, ce que nos parents, nos ancêtres nous ont transmis.»
La marque Miss Bak déposée en avril 2019
C’est d’ailleurs sa grand-mère, âgée de près de 80 printemps, sa première fan, elle aussi prénommée Ahoua et d’une coquetterie à toute épreuve, qui lui a transmis cette passion pour la cosmétique, mais aussi sa force de caractère. Un véritable modèle pour Ahoua Eve Bakayoko. «Elle s’est retrouvée seule très tôt avec neuf enfants à charge, après que mon grand-père est décédé dans un accident de la circulation… Elle a tout pris en main, en plus de son travail de secrétaire. C’est la boss! Tout le monde l’écoute quand elle parle, un vrai leader. Et elle reste la personne la plus coquette que je connaisse. Chaque matin, elle passe une heure dans la salle de bains, un véritable rituel ! Elle choisit toujours avec soin son maquillage, ses tenues, ses bijoux.»
Outre cette prise de conscience et son goût pour la cosmétique, son travail très prenant dans le secteur financier devenait problématique pour cette maman solo dont le fils a des besoins spécifiques et à qui elle voulait assurer un avenir en créant sa propre entreprise.
«J’ai commencé à ne plus m’investir comme avant dans mon travail, puis je suis passée au temps partiel. J’ai ensuite été sélectionnée pour suivre le parcours Impulse qui accompagne les nouveaux entrepreneurs et, en avril 2019, la marque Miss Bak a été officiellement déposée. Je n’ai pas eu peur de tout quitter, j’étais en fait très enthousiaste.»
Évidemment, c’était compter sans la pandémie, qui a mis un sérieux coup de frein à son entreprise, Ahoua Eve Bakayoko participant à de nombreux salons pour présenter ses produits, qui ont, de fait, été pour la plupart annulés. «Malheureusement, les professionnels rechignent à vendre des produits qui ne sont pas officiellement certifiés bio, quand bien même ils sont réellement bio», précise-t-elle.
«On n’arrive à rien tout seul»
Qu’à cela ne tienne ! Loin de se laisser abattre, Ahoua Eve Bakayoko a choisi de continuer à promouvoir la vente en ligne (sur missbak.com) et a décidé de diversifier son activité : elle propose donc également des lingettes démaquillantes ou des masques en wax, ce tissu africain très coloré. Elle organise aussi des webinaires ainsi que des ateliers pour apprendre à fabriquer ses propres cosmétiques naturels (voir encadré). «Je suis également une formation de préparatrice en cosmétique, qui me permettra d’étendre la gamme par la suite.»
Malgré les difficultés, notamment financières, l’autoentrepreneuse ne regrette pas son choix. Elle assure avoir gagné en indépendance, en créativité, en découverte, en ouverture d’esprit… «Oui, je gagnais plus avant, mais je dépensais beaucoup plus aussi. Là, je gère mes horaires. Avoir son entreprise, c’est du stress, mais c’est différent, c’est mon stress, c’est un stress plus engageant. Et outre, en me domiciliant au Facilitec, avec la coopérative CoBees, j’ai trouvé un moyen de rompre la solitude parfois pesante de l’entrepreneuriat mais aussi d’obtenir de l’aide dans mon travail, ce qui me permet de me concentrer un peu plus sur ce qui me plaît vraiment, à savoir l’accompagnement des producteurs.»
Ahoua Eve Bakayoko se donne encore deux ans pour voir si elle peut vivre de son activité. En attendant, elle n’hésite pas à faire part de son expérience et à dispenser ses précieux conseils aux femmes qui veulent elles aussi se lancer dans l’entrepreneuriat, comme elle l’a fait lors du Peanut project, organisé par l’association féministe et antiraciste Lëtz Rise Up au début du mois dernier.
«C’est vrai qu’en tant qu’autoentrepreneur, on peut avoir tendance à vouloir tout faire tout seul. Mais j’ai appris qu’en fait on n’arrive à rien tout seul. Il ne faut pas hésiter à demander l’avis des autres et à utiliser le réseautage. Même si on a peur de se faire voler son idée. Car, finalement, même si quelqu’un fait la même chose que nous, ce ne sera jamais tout à fait pareil. Chacun apporte sa touche personnelle.»
Tatiana Salvan
Un atelier ce samedi
Outre un programme en ligne intitulé «peau parfaite» destiné à apprendre à identifier les besoins de sa peau, Ahoua Eve Bakayoko organise régulièrement des ateliers ouverts aux adultes mais aussi pour certains aux enfants afin d’apprendre à fabriquer ses propres cosmétiques naturels.
Ce samedi, de 14h à 15h, les participants pourront ainsi apprendre à faire leur propre gel douche à base de savon d’Alep (et, bien sûr, repartir avec leur produit à la fin !). Inscription via la page Facebook ou sur le site missbak.com, 10 personnes max, 25 euros.