Comme toujours, les vignerons qui ont osé le pari du vin de glace sont peu nombreux. Le domaine Alice-Hartmann (Wormeldange) est de ceux-là et il ne le regrette pas !
Décidément, la deuxième moitié de l’année 2016 ressemble à du pain bénit pour les vignerons! Après une vendange finalement très correcte compte tenu de l’horrible printemps, voilà que les températures sont suffisamment tombées cette semaine pour que quelques vignerons puissent aller couper des raisins glacés, assez tôt pendant l’hiver, qui plus est. Dans la nuit de mardi à mercredi, à Wormeldange, le thermomètre a en effet marqué -7 °C, la température limite pour avoir le droit de produire le vin de glace, une gourmandise des plus rares.
Le domaine Alice-Hartmann (Wormeldange) a donc ressorti les sécateurs du placard en pleine nuit. « Nous avions gardé des raisins sur Les Terrasses », se félicite André Klein. Situées au cœur du village, au pied de la Koeppchen, les vignes de ce terroir exceptionnel s’étagent sur de nombreux niveaux matérialisés par des murs de pierres sèches. Ici, on ne peut même pas palisser les sarments, les vignes sont taillées en guyot simple à un long bois.
Une fraîcheur exceptionnelle
Grâce à une météo bienveillante, les raisins étaient en pleine santé et la qualité de la récolte est remarquable. « Il n’y a rien à redire, s’enthousiasme-t-il. Comme il n’y a pas eu de botrytis (NDLR : la pourriture noble) , les raisins ont donné un jus très frais. » Avec 140° Oechsle, le taux de sucre est largement suffisant pour obtenir l’appellation vin de glace (120° Oechsle sont nécessaires), mais pas excessif non plus. Cela permettra très certainement au vin de conserver la minéralité propre au riesling de ce terroir très qualitatif.
« Nous avons rarement vendangé d’aussi belles grappes pour le vin de glace, assure André Klein. Je rapproche ce millésime de 2008, qui avait été une année extraordinaire. » Contrairement à l’an passé où les raisins n’avaient pu être mis en cave qu’à la fin du mois de janvier, cette récolte a lieu tôt dans la saison, d’autant que les vendanges classiques ont été assez tardives. Cette précocité garantit des raisins encore juteux, qui n’ont pas souffert des intempéries.
Doucement écrasés dans un petit pressoir – le domaine en dispose aussi de deux grands –, le moût est ensuite parti dans une petite cuve en inox où il fermentera. Il ne passera jamais en barrique, « pour préserver sa fraîcheur ». La production est confidentielle, puisque au final, le millésime ne comptera qu’entre 100 et 120 litres.
Et encore, tous ne seront pas promis à la vente ! « Nous utilisons le vin de glace dans la composition de la liqueur d’expédition de tous nos crémants. » Cette liqueur est celle que l’on ajoute pour remplacer le vin qui s’est échappé lors du dégorgement. Elle donnera une dernière touche au crémant. Chaque domaine a sa propre recette et celle-ci ne se partage pas! Si la composition de la liqueur d’expédition reste un secret bien gardé, chez Alice-Hartmann, du vin de glace est utilisé chaque année. « Nous ne vendons pas de vin de glace chaque année, car nous gardons d’abord la quantité dont nous avons besoin pour nous, explique André Klein. C’était le cas l’an passé, par exemple. »
Erwan Nonet
Pourquoi est-il si cher ?
L’axiome «tout ce qui est rare est cher» ne se vérifie pas toujours, mais il s’applique bel et bien au vin de glace. Et, au final, il n’y a pas à hurler à l’injustice.
Au Luxembourg, vous ne trouverez jamais une bouteille de cette spécialité (vendue sous le format de fillette de 37,5 cl, la moitié d’un flacon classique) à moins de 30 ou 35 euros. Et cela s’explique sans peine. D’une part, on ne peut pas en produire tous les ans. Les vignerons sont constamment soumis aux caprices de la météo, et c’est particulièrement vrai pour le vin de glace. La plupart d’entre eux ne prennent donc pas le risque de gâcher une partie de leur récolte pour une hypothétique vendange hivernale : mettre une vendange en cave, c’est déjà placer ses économies au chaud.
Et ceux qui ont réussi leur pari ne récoltent qu’une quantité nécessairement très limitée de vin. D’une part, parce que les parcelles réservées sont petites et, d’autre part, parce que c’est la méthode qui veut cela. Les grappes coupées sont en surmaturité, puisqu’elles restent sur le cep bien après que la vigne s’est endormie (les feuilles sont tombées depuis longtemps). On estime que chaque grain a ainsi perdu la moitié de son jus. Et puis, lorsque le raisin passe au pressoir, l’eau congelée dans les baies est mise de côté, ce qui réduit encore davantage le rendement. Une récolte de vin de glace correspond grosso modo à 10 ou 15 % d’une récolte classique.