Des fêtes de quartier pour remplacer la Schueberfouer : sur papier, l’idée était bonne. En pratique, en revanche, c’est plus compliqué.
Si les gens persistent à ne pas venir, je vais devoir y aller de ma poche, indique Stéphanie (nom d’emprunt), une foraine. Je passe mes journées à attendre les clients. Les riverains nous plaignent, mais ils n’achèteraient pas une confiserie pour nous aider. C’est difficile !» Habituée des fêtes foraines, Stéphanie est à bout. «Je ne prépare même plus de confiserie en avance, cela ne sert à rien. Regardez, il n’y a personne. C’est comme ça toute la journée. Cela fait un mois que ça dure et cela va durer encore un mois.»
Tous les commerçants le savent, l’emplacement fait la différence. La preuve avec la pêche aux canards de Shirley, place de la Constitution. Mardi, en début d’après-midi, la jeune fille, dernière génération d’une famille de forains luxembourgeois, ne savait plus où donner de la canne à pêche. «Cela fonctionne très bien pour moi. Il y a pas mal de monde, surtout des touristes, qui passe par ici, glisse-t-elle. J’ai une autre pêche aux canards dans le parc de Merl et cela fonctionne bien aussi. Tout dépend de l’endroit qui nous a été attribué par la Ville de Luxembourg. Le fait d’être entouré de food trucks aide aussi à attirer du monde. Ma famille a un carrousel stationné seul dans le parc de la Villa Vauban et personne ne s’y rend.»
À la pêche aux canards du parc Laval, en revanche, c’est la mer d’huile, le calme plat. Pas un coup de feu ne retentit dans le stand de tir à la carabine juste à côté. Le manège ne tourne pas beaucoup non plus. Les bons jours, des enfants s’amusent sur la plaine de jeux qui fait face aux baraques et des cyclistes pressés klaxonnent par réflexe pour que les rares promeneurs de chiens leur ouvrent le passage.
Les forains sont déçus et fatigués de rester plantés des heures durant à attendre un chaland qui ne vient (presque) jamais. «Les forains qui ont des manèges se moquent qu’il y ait du monde ou pas. Les tours sont gratuits. Nous pas, souligne Eliane. Pour jouer et gagner un lot, les gens doivent payer.»
«La Fouer aurait dû commencer vendredi»
Même son de cloche du côté de Stéphanie qui explique que la Ville de Luxembourg rétribuerait davantage les propriétaires de manèges car leurs tours sont gratuits alors que les autres forains proposent des services payants. De là serait née une forme d’injustice liée à l’emplacement des différents forains. «Si je ne vends rien, je ne gagne rien et je dois tout de même payer ma marchandise et mon personnel parce que je ne peux pas rester seule 7 jours sur 7 de 11 h à 20 h. Au début, c’était même jusqu’à 22 h», note-t-elle.
Pour rappel, la Schueberfouer ayant été annulée en raison de la pandémie de Covid-19, la Ville de Luxembourg a souhaité aider les forains, en organisant durant tout l’été des sortes de petites kermesses dans différents quartiers de la capitale jusqu’au 13 septembre. Une aide d’autant plus bienvenue que les forains n’avaient pas encore pu travailler cette année, toutes les kermesses ayant été annulées, et que l’incertitude règne quant à la tournure que vont prendre les choses d’ici la fin de l’année. Le marché de Noël de la capitale serait, lui aussi, sur la sellette. Pourtant, ces fêtes de quartier «avaient bien commencé», selon Charles Hary, le président des forains luxembourgeois, installé avec sa confiserie sur la place de la Constitution. «Les deux premières semaines, les gens sont venus en nombre et puis cela c’est essoufflé. Vous le voyez, il n’y a pas beaucoup de monde. Les carrousels qui sont gratuits fonctionnent bien, mais nous n’avons pas de clients pour nos confiseries.»
Bonnevoie, Cessange, Limpertsberg et centre-ville, même combat finalement ? Le succès ne résiderait-il pas que dans l’emplacement ? «Aucun forain n’a pour le moment demandé à en changer. La commune nous paye un prix fixe. Nous devons essayer de tirer le meilleur de la situation. Vendredi, la Schueberfouer aurait dû commencer et nous préférerions y être plutôt qu’ici», poursuit Charel Hary.
« Les auto-tamponneuses sont devenues la nouvelle garderie du quartier »
Sauf que du côté du Glacis, le champ de foire où la Schueberfouer a lieu depuis des centaines d’années, les habitants soufflent d’aise. «Pas de musique assourdissante venant du « Stall » jusqu’à pas d’heure et de jeunes qui vomissent devant les portes d’entrée», se réjouit Gilles, un très proche riverain. Les habitants du Limpertsberg sont heureux de pouvoir passer une fin d’été sans les habituelles nuisances occasionnées par la fête foraine et tiennent à leur calme.
«Certains ont déjà râlé à cause de la musique des auto-tamponneuses à côté de l’église, avance une dame croisée devant le lycée des garçons, alors qu’elle achetait des cacahouètes grillées. Peu importe l’heure à laquelle vous passez, il n’y a jamais personne devant les attractions. Sauf devant les auto-tamponneuses qui sont devenues la nouvelle garderie du quartier. Certains enfants passent des après-midi entiers à y faire des tours parce que c’est gratuit. Les parents les déposent.»
«Au départ, il était prévu que les forains puissent tourner et changer d’emplacement régulièrement, affirme Stéphanie.Cela aurait été plus juste et puis on en a plus entendu parler. Ce qui nous console, c’est qu’il n’y a de monde nulle part si ce n’est place de la Constitution.» La foraine cherche des explications à l’absence de public. Pour elle, le Covid à lui tout seul ne peut avoir un effet aussi répulsif.
Comme les autres forains, Stéphanie s’inquiète pour l’avenir du métier qu’elle exerce depuis plus de 30 ans : «Les forains n’existeront bientôt plus si cela continue. Nous allons tous devenir les ennemis les uns des autres au lieu de rester unis et de nous battre tous ensemble pour le maintien de notre profession. Cette expérience le prouve, nous n’intéressons plus les gens.»
Sophie Kieffer
Manèges, canards, pommes d’amour et barbes à papa attendent plus que jamais les visiteurs tous les jours jusqu’au 13 septembre aux endroits suivants : place Jeanne-d’Arc à Bonnevoie, parc Laval à proximité des quartiers de Dommeldange, Eich, Pfaffenthal et Weimerskirch, parc de Merl, place de Roedgen à Cessange, rue de Strasbourg dans le quartier de la Gare, place Thorn à Merl et place Auguste-Laurent au Limpertsberg.
Des attractions sont également installées place de la Constitution ainsi qu’un «village gastronomique».