A 62 ans, Milly Hellers est la première femme prédicatrice de l’Octave, qui démarre ce samedi. Un honneur pour cette assistante pastorale au parcours atypique.
1982. Alors qu’elle vient de boucler ses études secondaires, cette jeune femme décroche un poste dans le secteur bancaire qui a le vent en poupe. Une carrière prometteuse lui tend les bras. Sans doute bientôt un mari, des enfants. A 23 ans, la vie de Milly Hellers semble déjà toute tracée : sauf que rien ne va se passer comme prévu. A quelques heures de l’ouverture solennelle de l’Octave, la première femme choisie par l’archevêque de Luxembourg pour la prédication, se confie sur sa foi et les rencontres déterminantes qui ont jalonné sa vie.
Une prédicatrice et non un prédicateur : doit-on y voir la volonté de l’Église de s’ouvrir davantage ?
Le cardinal Jean-Claude Hollerich a fait preuve d’un grand courage en ouvrant pour moi la porte de ce bastion réservé au clergé. Certaines personnes doivent grincer des dents ! (rires) Personnellement, je ne vois pas pourquoi une femme ne pourrait pas endosser ce rôle, et cela aurait pu être le cas bien plus tôt.
L’archevêque appelle et vous annonce que ce sera vous, c’est aussi simple que ça ?
C’est une proposition qu’on est libre d’accepter ou pas. L’été dernier, je participais à un pèlerinage de ma paroisse, Kordall Sainte Barbe Pétange-Bascharage, vers un lieu marial. Alors qu’un membre du groupe donnait quelques explications historiques sur cette statue de la Vierge, mon téléphone a sonné. C’était le cardinal Hollerich. J’étais tellement sous le choc que je l’ai d’abord pris pour sa secrétaire, vu le numéro qui s’affichait sur mon écran. (rires)
Vous avez paniqué ?
Un peu, j’étais tellement surprise par sa demande ! Je lui ai demandé quelques jours de réflexion et j’en ai immédiatement parlé avec mon accompagnateur spirituel. C’est un jésuite, une personne de référence pour moi, quelqu’un à qui je peux tout dire, et auprès de qui je suis moi, sans armure. Il m’a posé les bonnes questions et assez vite, c’était clair : je ne pouvais pas dire non.
Petite, je me demandais où était le Bon Dieu
Quelles ont été les réactions à votre nomination ?
J’ai reçu une vague d’appels, de messages et de mails : tous me félicitaient et m’apportaient leur soutien. Rien que des échos positifs. Bien sûr, j’imagine qu’il y a quelques mécontents, du fait que je sois une femme, mais c’est ça le changement : il y a toujours des résistances.
Vous, le changement ne vous fait pas peur : c’est précisément un virage à 180 degrés qui marque le début de votre engagement.
Oui. J’aurais pu me tromper de chemin, si je n’avais pas fait des rencontres déterminantes… Mon enfance a été marquée par le décès prématuré de mon papa qui était cultivateur. Ma mère s’est retrouvée veuve à 36 ans, avec mes frères et moi, et une ferme à gérer toute seule, alors qu’elle était malade. C’était très dur. Moi, j’avais dix ans et à l’école, j’entendais le prêtre nous répéter que le Bon Dieu faisait le bien pour chacun d’entre-nous. Alors je me demandais, dans ma tête de petite fille : «Mais il est où pour nous ? Pourquoi il ne fait rien ?» Ça m’a poussée à prendre mes distances avec la religion.
Diplômée, vous entrez dans le monde du travail et démarrez votre vie, mais la foi vous rattrape. Littéralement.
Oui, c’est un prêtre qui m’a abordée, un jour, à la gare : il venait de s’installer au village (Oetrange) et cherchait des jeunes pour animer la paroisse. J’ai accepté, je ne sais pas pourquoi. Et cette rencontre avec d’autres jeunes de 20 ans, comme moi, a tout changé : j’ai eu comme une révélation. En les voyant prier ensemble un soir, je me suis dit : «Soit ils sont fous, soit c’est moi qui suis sur la mauvaise voie.» Trois ans plus tard, on m’a conseillé de faire une retraite ignacienne, c’est-à-dire une semaine dans le silence total, avec différents temps de prière. Je ne savais pas du tout à quoi m’attendre mais je me suis lancée ! Et ça a bouleversé ma vie.
Prédicatrice, c’est un service, une mission
Qui vous avait conseillé ça ?
Denise Collard, une dame bien connue au Luxembourg. Elle avait 20 ans de plus que moi, elle était veuve et accueillait chez elles des jeunes femmes. On formait ainsi une «communauté sauvage» ! (rires) Denise a fait partie des piliers importants de ma vie.
C’est après cette retraite que vous décidez de tout plaquer ?
Oui, j’avais compris que la banque, c’était fini pour moi. Je me suis inscrite dans un cursus de théologie pastorale à Fribourg. Ça a fait des remous dans la famille : mes proches n’ont pas compris ce choix alors que j’avais un bon emploi. A mon retour, j’ai obtenu un poste à l’école de Diekirch, j’assurais les cours de religion. Et puis, une nouvelle retraite spirituelle, plus longue, m’a aidé à comprendre que le travail avec des enfants n’était pas pour moi. J’avais 30 ans, j’étais à nouveau face à moi-même. J’ai ressenti un appel très fort pour le célibat et aussi la vie communautaire. Alors je suis repartie ! Plusieurs années de formation entre Bruxelles, Rome, Madrid et Cordoue. Et à l’issue de tout ça, j’ai intégré l’équipe pastorale de Wiltz.
Devenir prédicatrice, c’est un aboutissement ?
Pour moi, c’est avant tout un service, une mission. Et je dis tous les jours au Seigneur: «Je fais ce que je peux, tu dois faire le reste» ! (rires)
Quels souvenirs vous lient à l’Octave ?
Quand j’étais enfant, on n’allait en Ville que deux fois par an : pour l’Octave et pour la Schueberfouer ! Je me rappelle bien de ces pèlerinages, depuis notre village, douze kilomètres à pied… J’ai aussi cette image, qui me revient, de ma mère qui prie en pleurant : l’Octave était pour elle un lieu de consolation.
Vous prononcerez onze homélies durant cette quinzaine. Peut-on parler d’un rôle de guide ?
Je ne dirais pas cela. Je parlerais plutôt d’un message à transmettre, à réveiller ou à confirmer : cette foi en Jésus qui nous accompagne partout et qui évolue au fil des étapes de la vie. On ne croit pas de la même manière à 20, 30 ou 60 ans. La foi est une relation mouvante, comme les relations humaines ! A travers le thème «Soudain, tout a changé» que j’ai choisi, je propose un retour à la Bible et aux Évangiles.
Ce titre fait forcément penser à la pandémie mondiale. C’est volontaire ?
Non, c’est plutôt une référence aux rencontres qui chamboulent une vie et, au niveau biblique, à la façon dont tout a changé pour ces personnes qui ont rencontré Jésus. Cela ne désignait donc pas le Covid au départ, mais finalement, on peut y voir un lien avec l’épidémie. N’oublions pas que l’Octave prend sa source alors que la peste ravage l’Europe…
Comment vous êtes-vous préparée ?
Travail, réflexion, lecture, approfondissement : j’ai passé toutes mes périodes de congé chez les Sœurs franciscaines à Luxembourg – avec un test négatif ! (rires) C’était un cadre nécessaire pour moi. Cela m’a demandé énormément de travail mais c’est une chance : la première bénéficiaire, c’est moi !
A quelques heures de l’ouverture, vous sentez-vous prête ?
Oui, je suis sereine. Conduire les gens en quête de sens et de foi vers Jésus : c’est ça mon souhait, ma prière, mon désir.
Entretien avec Christelle Brucker
Télé et site web pour ne rien manquer
A cause de la crise sanitaire, l’Octave se déroulera du 24 avril au 9 mai de manière limitée : seulement 100 fidèles auront accès, sur inscription préalable, aux différents services religieux. Des retransmissions quotidiennes sont prévues :
– La chaîne de télévision .dok (Lëtzebuerger Kanal) diffusera l’ouverture solennelle ce samedi, ainsi que les Saluts pontificaux chaque jour à 16 heures en direct, puis à 18 et 23 heures.
– Le Salut marial pour les malades, les personnes à besoins spécifiques et les victimes de la pandémie (1er mai à 15 heures) et le Pèlerinage des personnes âgées (8 mai à 15 heures) seront diffusés en direct par .dok, puis à 18 et 23 heures.
– Ce dimanche, la messe télévisée sera diffusée depuis la caserne d’Herrenberg, et les deux dimanches suivants, depuis la cathédrale, à 10h30 (.dok, RTL Zwee et cathol.lu).
Sur le site cathol.lu, un stream en direct de la cathédrale sera disponible toute la journée, et les fidèles y trouveront aussi le programme complet et les homélies de la prédicatrice traduites en français.
Une tradition qui remonte au 17e siècle
La toute première procession en l’honneur de la Vierge Marie au Luxembourg a eu lieu le 8 décembre 1624 : ce jour-là, un jésuite, le père Jacques Brocquart, mène ses étudiants hors de la forteresse de la capitale, où se trouve aujourd’hui le Glacis. Ils érigent ensemble une statue de la Sainte Vierge dans l’espoir de mettre fin à la peste, la famine et la guerre. Leur geste est aussi politique puisqu’à l’époque, la foi catholique est menacée par la réforme protestante portée par les Pays-Bas espagnols dont fait partie le pays.
En 1628, la Consolatrice des affligés est mise à l’abri dans une chapelle spécialement construite pour elle : il s’agit de l’actuelle chapelle du Glacis, dont un des vitraux rend d’ailleurs hommage au père Brocquart. De nombreux pèlerins viennent l’adorer régulièrement. Face à cet afflux, la statue est amenée une fois par an à l’église du collège des jésuites, à l’intérieur de la forteresse, pendant huit jours, d’où le terme «octave». A partir de 1678, la statue ne quittera plus cet endroit qui deviendra bien plus tard la cathédrale de Luxembourg.
La durée du pèlerinage de l’Octave fut allongée à 15 jours dès 1922, pour permettre à toutes les paroisses du pays d’y participer. De nos jours, plus de 90 000 personnes participent chaque année à l’Octave.
C.B