Oleksandra et Julia ont toutes deux fui la guerre en Ukraine et sont réfugiées au Luxembourg. Elles témoignent.
Comment imaginer qu’une telle horreur puisse se passer en Europe au XXIe siècle ? Oleksandra et Julia ont d’emblée exprimé la même incompréhension lorsque nous les avons rencontrées la semaine passée. Toutes deux ont fui Kiev et ont trouvé refuge il y a quelques semaines au Luxembourg, pour un temps qu’elles espèrent le moins long possible, tant elles souhaitent retrouver leur pays et leurs proches restés en Ukraine.
Oleksandra, 34 ans, est arrivée début mars au Grand-Duché avec ses deux enfants, deux petits garçons âgés de 7 ans et un an, après être passée par la Roumanie. À Kiev, elle avait une vie bien établie, une belle carrière dans une entreprise internationale qui possède d’ailleurs des bureaux au Luxembourg. La guerre qui éclate le 24 février est venue tout bouleverser.
«Nous vivions au 12e étage d’un immeuble. À chaque fois que la sirène d’alerte retentissait – ce qui arrivait deux, trois fois par jour, mais aussi plusieurs fois dans la nuit – il fallait se réfugier dans le parking souterrain, en passant par les escaliers, comme le veut la règle. Là, nous devions attendre parfois deux heures, sans toilettes, dans le froid. C’était impossible de dormir et épuisant avec deux enfants de monter et descendre tous ces étages tout le temps», nous raconte Oleksandra.
Avec l’aide de son entreprise, elle part alors vers l’ouest du pays. Même si dans la ville où se trouve son hôtel la situation semble moins dangereuse, les sirènes y retentissent aussi en permanence. Avec les nuits constamment entrecoupées et le stress permanent, ses enfants tombent malades, commencent à avoir des maux de ventre. «Leur santé mentale était mise à l’épreuve.»
«La décision la plus difficile de ma vie»
Le quotidien insupportable la pousse à envisager de quitter son pays et son mari, obligé de rester en Ukraine, comme tous les hommes âgés de 18 à 60 ans. «On en a discuté ensemble. Cela a été extrêmement difficile, car nous n’avions jamais été séparés jusque-là. Partir a vraiment été la décision la plus difficile que j’aie eu à prendre de toute ma vie, même si je ne suis pas la plus à plaindre : je suis partie par « commodité » si l’on peut dire, pour mes enfants, car nous étions relativement en sécurité à l’Ouest, contrairement à d’autres restés dans l’est du pays…»
Dès lors, direction Bucarest, puis Luxembourg. «Je savais que nous risquions de devoir rester exilés pendant un temps assez long, je voulais donc aller dans un pays où l’on parle anglais afin que je puisse travailler», explique Oleksandra. La possibilité d’obtenir un poste dans son entreprise ici et une amie déjà installée au Luxembourg, chez qui elle vit aujourd’hui, achèvent de la convaincre de venir au Grand-Duché.
Le bluff de Poutine
Julia, 28 ans, a elle aussi quitté Kiev pour tenter de s’établir dans un premier temps dans l’ouest de l’Ukraine. «C’est mon beau-père qui nous a prévenus à cinq heures du matin que la guerre avait éclaté et qu’il fallait partir. On était encore à moitié endormis, mon mari et moi, on n’a pas tout de suite compris ce qui se passait. D’ailleurs encore aujourd’hui, je ne réalise pas vraiment…»
«Nous aurions peut-être dû nous préparer plus… Après l’invasion de la Crimée en 2014, beaucoup d’Ukrainiens avaient pris des cours de premiers secours.» Elle-même en avait suivi un. «Ce qu’il y a, c’est qu’au bout de huit ans, on s’était habitués à cette situation. Et jusqu’au bout, on pensait que Poutine bluffait.»
Son mari, blessé au combat en 2014, mais encore mobilisé aujourd’hui, lui a fourni quelques conseils à suivre en cas de danger, puis Julia, sa mère, le chat de celle-ci et son bouledogue français Kit sont partis vivre chez sa belle-sœur. «Ma belle-sœur et sa famille avaient improvisé un refuge dans le sous-sol de leur maison et calfeutré comme ils le pouvaient les fenêtres. Là-bas aussi, les sirènes retentissaient fréquemment. Les premières fois, on descendait au sous-sol avec des couvertures et de l’eau. Mais au bout de quinze jours, on en avait vraiment marre ! On avait juste envie de dormir !»
La mère de Julia, très apeurée, ne supporte plus tout le stress engendré. Sa tension monte, ses problèmes de cœur reprennent : elle supplie sa fille de partir avec elle pour l’étranger. Julia préfèrerait rester en Ukraine, auprès de son mari, mais sa mère insiste et finit par la convaincre. Ce sera le Luxembourg. «C’est une histoire assez rigolote !», prévient Julia.
Il se trouve en effet que la mère de Julia était depuis deux ans en discussion sur une application de rencontre avec un Luxembourgeois du nom d’Olivier. «Ma mère et Olivier n’avaient pas pu se rencontrer à cause du covid. Quand la guerre a éclaté, il a proposé de nous héberger.» Elles ont donc fait le trajet en voiture, ce qui leur a permis d’emmener avec elles leurs animaux de compagnie. Elles vivent maintenant chez Olivier depuis trois semaines.
Rentrée retardée
Oleksandra et Julia tentent désormais de trouver leurs marques au Luxembourg. Elles s’estiment particulièrement chanceuses d’être entourées de personnes prêtes à les héberger et à les aider. «Tout est beaucoup plus cher qu’en Ukraine, souligne Julia. Nous parvenons à nous en sortir grâce à l’aide de l’association LUkraine et à l’aide humanitaire.» Un refuge pour animaux lui a aussi fourni de la nourriture et un panier pour son chien Kit ainsi qu’un arbre à chat pour l’animal de sa mère. «On nous a également laissé voir gratuitement un vétérinaire !», ajoute Julia, touchée par tant de soutien.
Les démarches administratives pour obtenir un permis de travail prennent en effet plus de temps que ce à quoi Oleksandra et Julia s’attendaient. L’entrée à l’école de l’aîné d’Oleksandra, qu’elle espérait avoir lieu après les vacances de Pâques, est aussi retardée : «Nous avons visité sa future école, une école anglaise, et mon fils a réalisé tous les bilans médicaux permettant de prouver qu’il n’était pas un danger pour les autres enfants, mais maintenant le ministère de l’Éducation nous demande d’attendre…», nous confie-t-elle.
«Mon fils, il est OK…», répond-elle quand on l’interroge à ce sujet. «Mais il est frustré de ne pas pouvoir voir son père. Par contre, avec la guerre, il me pose des questions auxquelles je n’étais pas préparée : des questions sur les types d’arme par exemple ! Je passe donc mon temps sur Wikipédia pour pouvoir lui répondre !»
L’espoir d’un retour
«Tous mes collègues m’ont dit que ce serait facile et rapide d’obtenir tous les documents, mais ce n’est pas le cas !», déplore Oleksandra, impatiente de pouvoir travailler pour pouvoir ensuite louer son propre appartement.
Même son de cloche du côté de Julia, qui attend d’obtenir le permis pour pouvoir exercer son métier de photographe. «On m’a dit qu’il fallait compter deux mois.» En attendant, elle prépare une exposition photo afin de montrer «c’est quoi l’Ukraine» : «L’Ukraine est un beau pays, qui possède aussi une belle architecture. Nous y étions heureux. Je veux montrer ce pour quoi nous voulons nous battre.»
Oleksandra et Julia s’investissent toutes deux également dans la collecte de fonds pour venir en aide à leurs concitoyens restés sur place et participent aux différents rassemblements en faveur de l’Ukraine. Elles échangent aussi quotidiennement avec leurs proches, qui sont tous en sécurité pour l’instant.
Si elles sont extrêmement reconnaissantes de l’accueil qui leur a été fait et de l’aide qui leur est fournie, elles n’ont qu’une hâte : «retourner chez elles», même si elles sont conscientes que ce ne sera pas pour tout de suite.
«Je rentrerai aussitôt que mon mari me dira que la situation est fiable», annonce Julia. «Car Kiev, par exemple, est déclarée officiellement libre, mais des rumeurs disent que les Russes pourraient renforcer leurs positions. Il y a aussi des mines dans les forêts et les immeubles.»
«J’imagine que ça prendra plusieurs mois au minimum après l’annonce de la fin de la guerre avant que je rentre», déclare pour sa part Oleksandra. «Je ne rentrerai pas immédiatement pour la sécurité de mes enfants : il y aura encore trop d’objets dangereux partout. Mais je ne compte pas m’installer définitivement ici. Ma vie en Ukraine était parfaite, je veux y retourner. Je préférerais découvrir les autres pays d’Europe en voyageant !»