La députée-maire Lydie Polfer évoque «des vies détruites» et explique attendre «avec impatience» les conclusions du groupe de travail interministériel, à la suite du meurtre perpétré mardi dernier dans le quartier de Bonnevoie.
Quelle a été votre réaction après l’homicide perpétré mardi dernier dans le quartier de Bonnevoie ?
Lydie Polfer : C’est une tragédie ! J’ai vraiment été choquée par ce qui est arrivé à ce jeune garçon de 18 ans dont la famille habite à Bonnevoie et qui a encore trois sœurs. Je me suis rendu jeudi à l’endroit où cela s’est passé. L’une de ses sœurs se trouvait également là. Nous étions évidemment dans un état de tristesse et de désespoir, comme l’est la famille de la victime. Beaucoup d’amis de la victime étaient présents et ils ont exprimé les mêmes sentiments de profonde émotion et de tristesse. Je ne peux évidemment pas commenter l’enquête judiciaire en cours et, à ce stade, on ne connaît que l’issue certaine de ce qui s’est produit : une personne y a laissé sa vie et les auteurs, mineurs d’âge, ont été appréhendés par la police. L’enquête devra maintenant déterminer ce qui s’est produit lors de cette terrible bagarre entre jeunes.
Êtes-vous touchée personnellement ?
Mais bien entendu. Comment cela pourrait-il ne pas me toucher lorsqu’un jeune perd la vie dans ces conditions… J’ai d’ailleurs encore la photo de la victime dans mon smartphone. C’est terrible de voir une jeune vie être anéantie comme cela. De manière générale, ce sont des vies détruites, aussi bien pour la victime que pour sa famille et ses proches, mais aussi pour les auteurs.
Confrontés à une disponibilité à l’emploi de moyens mortels
Constatez-vous une réelle montée de la violence dans le quartier Gare et à Bonnevoie ?
Évidemment, et cela fait longtemps que nous sommes attentifs à cette situation. J’en ai même parlé avec la vingtaine de jeunes qui étaient sur les lieux du drame. Nous avons en effet discuté de cette disponibilité à la montée de la violence entre jeunes, que j’ai envie de qualifier de gratuite. Cela dit, beaucoup d’institutions sont interpellées, car cette situation fait craindre pour les jeunes. Certes, les bagarres entre jeunes ont toujours existé, mais là nous sommes confrontés à une disponibilité à l’emploi de moyens mortels. Car un couteau est une arme mortelle. L’issue s’est avérée fatale. Il faut traiter cette question en profondeur, avec tous les acteurs concernés. Car si la police constate, il y a beaucoup d’institutions qui doivent essayer de traiter ce phénomène de société, qui est très inquiétant. Car j’ai été interpellée par des parents d’amis de ce pauvre garçon qui est décédé, lesquels sont très inquiets.
À la lumière de ce fait divers tragique, que pensez-vous de la polémique déclenchée par le fait que la Ville de Luxembourg a engagé des agents de sécurité pour patrouiller dans les rues ? Tant l’opposition au conseil communal que le ministère de la Sécurité intérieure ont critiqué cette initiative.
Il s’agit d’une politique non constructive ! Évidemment, le recours à une société de gardiennage ne va pas changer la situation tout de suite, mais il s’agissait, pour le collège échevinal, de montrer que nous sommes plus que conscients de la situation. D’ailleurs, les deux derniers mois ont montré que cette démarche a amélioré le sentiment de sécurité des riverains. En fait, il n’y a pas un jour sans que l’on ait des échos positifs de la part de citoyens. Concernant la police grand-ducale, je rappelle qu’elle dispose de prérogatives publiques qui n’appartiennent qu’à elle et à personne d’autre afin d’offrir une présence aux citoyens. Je parle ici surtout du quartier Gare, où les gens ont parfois peur de sortir et craignent des incivilités, où les gens dorment dans les entrées de résidence et où les riverains ne peuvent même plus entrer chez eux. Cette situation n’est pas acceptable ! Le dialogue avec les habitants a permis de résoudre plusieurs situations conflictuelles : la police l’a confirmé au niveau du comité de prévention communal que nous avons tout récemment tenu. En clair : je ne souhaite plus du tout continuer avec cette polémique stérile et non constructive du bien-fondé et de la légitimité. Nous faisons ce que nous pouvons ! Nous ne pouvons pas changer le monde, mais le recours au gardiennage apporte une présence qui est quand même la bienvenue au niveau du quartier Gare.
Vous attendez les conclusions d’un groupe de travail interministériel qui s’est penché sur les problèmes liés à la criminalité dans le quartier Gare.
En effet. Ce groupe de travail a été instauré à la suite d’une discussion tenue durant l’été à la Chambre des députés. À cette occasion (NDLR : en tant que députée), j’ai à nouveau souligné que la préoccupation était très importante et qu’il fallait vraiment entamer des réformes. Et la police a acquiescé mais souligné qu’elle ne devait pas être la seule à faire front. D’où la formation de ce groupe de travail, qui avait pour programme de trouver une solution d’ensemble pour tous les problèmes, dans lequel est présent le ministère de la Sécurité intérieure, donc la police, mais aussi les ministères de la Justice, de la Santé et des Affaires étrangères et européennes, pour ce qui relève des problèmes liés à l’immigration. Au mois de novembre dernier, j’ai demandé où en étaient les travaux de ce groupe interministériel et, le 9 décembre, les ministres Kox, Tanson et Asselborn ont évoqué une note détaillée qui dresse un inventaire de la situation concernant la criminalité, ses liens avec la drogue ainsi que les différents points de vue des parties prenantes au comité. Une fois finalisée, cette note sera ensuite présentée en Conseil de gouvernement, puis fera l’objet d’un débat à la Chambre. Le ministre de la Sécurité intérieure, Henri Kox, a laissé entendre que ce rapport interministériel était sur le point d’être finalisé… Eh bien, on l’attend avec impatience !
Il faut agir ensemble et non l’un contre l’autre !
Et ce rapport sera ensuite discuté avec les habitants du quartier ?
Je rappelle que tout a débuté en octobre 2019 lorsque près de 800 personnes ont pris part à une réunion publique, rue de Strasbourg, pour évoquer la situation du quartier. Les riverains ont alors très clairement demandé l’installation de caméras de vidéosurveillance et davantage de présence policière. Les gens étaient extrêmement remontés. Au vu de ce grand mécontentement et de cette frustration, l’ancien ministère de la Sécurité intérieure, François Bausch, avait promis un renforcement de la présence policière dans le quartier. Et c’est ce qui avait été fait : la situation s’est alors améliorée. On s’était aussi dit qu’il fallait demander aux gens ce qu’ils veulent, notamment en ce qui concerne la société de gardiennage. À l’heure actuelle, la situation sanitaire ne nous permet pas de réorganiser une réunion de plusieurs centaines de personnes. Dès que ce sera possible, nous tiendrons une réunion publique où seront invités les ministres concernés pour qu’ils viennent discuter avec les citoyens de la Gare. Et je crois que leur message sera extrêmement clair…
Plus généralement, quel message souhaiteriez-vous adresser à vos administrés, aux frontaliers et aux visiteurs de la capitale ?
Un message de grande solidarité : nous sommes bien conscients que la situation est difficile. Nous sommes aux côtés des citoyens, il faut vraiment des actions sur plusieurs niveaux et nous ferons tout pour qu’elles soient mises en place dans les meilleurs délais. Le sujet est tellement important que je ne veux surtout pas faire de polémique ! Si nous voulons une société moins violente, tout le monde doit y mettre du sien. Nous devons coopérer ensemble et non se jeter la faute. Police, justice et services sociaux de la Ville font tout ce qu’ils peuvent et ce n’est que de cette façon que nous pourrons avancer. Tous ensemble et non les uns contre les autres !
Entretien avec notre journaliste Claude Damiani