Faty s’est lancé comme défi en 2013 de lancer une marque de vêtements africaine. Wawaw est né de son amour pour l’art porté par les civilisations de tout un continent.
Il a le continent africain chevillé au corps. Pas étonnant que Faty Mamadou Bakari le porte aussi sur lui. Habillé de la tête au pied de ses créations contemporaines, aux antipodes des costumes traditionnels, c’est pourtant l’histoire de son Afrique de cœur qu’il raconte, que ce soit dans sa gamme de vêtements, dans ses tableaux en art filaire ou dans ses photographies. Un artiste multidisciplinaire qui peut raconter des heures durant la riche histoire des civilisations africaines qu’il transmet à travers ses œuvres.
Cette histoire commence en l’an I et s’arrête pour lui en 1885, année de la balkanisation de l’Afrique à la conférence de Berlin. «Qu’avait fait l’Afrique jusque-là ? Beaucoup d’art et je ne remonte pas jusqu’aux peintures rupestres et aux arts premiers», précise Faty.
Le designer sénégalais de 42 ans qui a débarqué au Grand-Duché en 2003 n’a pas résisté à ce besoin viscéral de retourner en Afrique, là où sa vocation est née, dans cette Africa Street à Thiès, où tous les corps de métier cohabitent. Là où il observait ses oncles, couturier, menuisier et illustrateur. «Le fait d’avoir baigné là-dedans, ça m’a construit», confie-t-il.
Avant de retrouver sa terre natale, il fera un crochet par Nancy pour décrocher un DESS en communication des entreprises qui lui a permis de toucher à la création alors qu’il avait déjà réalisé des identités visuelles pour différentes sociétés. Puis un jour, il s’est lancé un défi aussi grand que noble et légitime aussi. En 2013, il fonde une marque de prêt-à-porter, Wawaw, parce qu’il n’y a pas de raison que l’Afrique ne dispose pas elle aussi d’une marque de streetwear.
Le royaume d’Edo
«L’Afrique a de grands couturiers, de grands créateurs, mais ils font des habits d’apparat, de luxe. L’Afrique contemporaine est urbaine et les gens ont besoin de vêtements confortables pour se déplacer, pour faire du sport», explique-t-il. C’est son fils qui lui a donné l’idée de la marque. Quand le père lui a demandé s’il croyait possible de relever le défi, il a simplement répondu «wawaw» qui signifie «oui, oui». La marque était née et Faty s’est lancé corps et âme dans le dessin d’abord, puis dans la fabrication, surtout pour sa gamme «street couture».
Quand il raconte ses créations, c’est l’histoire du royaume d’Edo, l’actuel Benin City au Nigeria, qui se prolonge. Il ouvre une parenthèse sur Mansa Moussa, le roi des rois de l’empire du Mali «représenté dans l’Atlas catalan de 1375 pour montrer aux navigateurs la route de l’or». Faty est un artiste-griot, détenteur de l’histoire, de la mémoire du peuple comme on définit cet artisan du verbe. «J’aime bien parler de l’Afrique qui montrait sa culture», dit-il en avouant un faible pour la civilisation des Nok, découverte au début du XXe siècle sur le plateau de Jos au Nigeria. «C’est la plus belle pour moi», dit-il en évoquant les sculptures en terre cuite sur lesquelles on peut admirer «la magnificence des bijoux dans les plus prestigieux musées du monde».
La beauté de l’étoffe tissée
Ses tableaux qui symbolisent l’histoire des civilisations africaines sont les modèles qu’il reproduit sur ses vêtements. Il monte sa première boutique à Thiès en montrant par la même occasion qu’il peut faire aussi du «retail design» (architecture et aménagement des points de vente). Et il vend en ligne. «On retrouve sur Instagram mes tableaux sur artforartefacts et les vêtements sur wawawbrand. Sur Facebook, nous avons 12 000 fans», se réjouit-il en espérant secrètement qu’ils adhèrent tous à son univers. Et à sa philosophie.
«Le monde entier découvrira un jour l’Afrique à travers les yeux des Africains», assure Faty. En contant une de ces anecdotes historiques dont il a le secret, il rappellera au passage que les chutes Victoria se sont toujours appelées «les nuages qui grondent» pour les Africains qui les ont toujours connues. «C’est plus poétique, je trouve», lâche-t-il.
Il parle de son continent avec passion, celui qui a vu naître la charte du Mandé de Soundiata Keïta en 1236, considérée comme l’une des plus anciennes références concernant les droits fondamentaux. Mais c’est aussi le continent qui a un savoir-faire ancestral en matière d’étoffe tissée.
«On ne se réveille pas un beau matin en se disant « tiens, aujourd’hui je vais tisser 200 fils croisés tirés sur 10 mètres ». Il faut accorder sa tête, ses mains et ses pieds et gérer la technicité des fils», explique Faty. Les maîtres tisserands, il en parle avec admiration aussi. L’artiste réalise d’ailleurs des tableaux, car ils lui permettent de montrer la technique et le savoir-faire avant de reproduire les modèles sur ses gammes de vêtements. C’est pour mettre en avant les étoffes tissées qu’il a créé la gamme «street couture» qui met à l’honneur les maîtres tisserands des différentes ethnies du Sénégal et de l’Afrique de l’Ouest en général.
«Je l’ai appelé le lion du Grund»
Le lion est l’animal fétiche de Wawaw. «C’est une icône, comme la girafe ou le léopard. Ce sont les seules marques qu’on connaît de l’Afrique, à part Mandela et Youssou N’Dour», dit-il. Le lion de Faty porte souvent un casque, comme les générations actuelles qui se déroulent leur playlist en marchant dans les rues.
Faty a même réalisé un tableau en l’honneur du Lion rouge emblème du Grand-Duché. «Je l’ai appelé le lion du Grund.»
S’il n’a pas oublié ses quelques années au Luxembourg, c’est dans son Sénégal de cœur qu’il veut vivre et travailler. «Si l’Afrique veut se développer, l’implication des gens sur place serait une bonne chose. Ici il y a des choses à créer, ici il faut aller de l’avant et ici on en a plus besoin qu’ailleurs. Il faut montrer les belles choses de l’Afrique.»
Pour en avoir un aperçu, visitez ses comptes sur les réseaux sociaux. Artforartefacts et wawawbrand vous attendent.
Geneviève Montaigu