Me Frank Rollinger est le conseiller juridique de l’ASBL Don’t forget us, qui défend les intérêts des exploitants de l’Horeca. Il se montre loin d’être satisfait des nouvelles annonces gouvernementales. Décryptage.
Il est l’avocat médiatique du moment. Dans sa difficile mission, et avec le mandat que plusieurs ténors de l’Horeca lui ont confié, il reste néanmoins confiant et entend bien faire plier le gouvernement par le biais de ses plaidoyers incisifs.
Jeudi dernier, sur la place d’Armes à Luxembourg, s’est tenue une manifestation de l’Horeca et de l’ASBL Don’t forget us, que vous représentez juridiquement. En parallèle à cette manifestation, un renforcement et un élargissement des aides financières pour le secteur que vous défendez ont été annoncés par le gouvernement. Considérez-vous avoir obtenu gain de cause ?
Me Frank Rollinger : Non ! Je ne considère absolument pas cela comme une victoire ! Les pancartes visibles à cette manifestation et le message qu’elles suggéraient se voulaient, en substance, explicites : « Vous fermez, vous payez ». Maintenant, après cette manifestation, il faut faire preuve de lucidité et resituer le débat, car nous en sommes en effet très loin. De facto, il y a une mauvaise compréhension des choses : les membres du secteur qui ont manifesté ne l’ont pas fait pour mendier des aides. C’est l’État qui a décidé de fermer les établissements et de leur retirer, de ce fait, les moyens leur permettant de subsister. La conséquence qui en découle est qu’il faut réparer le préjudice subi. Et je tiens à insister sur le fait que l’on ne parle pas d’une quelconque aumône dont le secteur devrait se montrer reconnaissant !
Dans quel sens évoquez-vous la demande d’une aumône ?
Car on parle toujours d’aides financières comme s’il s’agissait d’aumônes dont il faudrait être reconnaissant. Eh bien, non, ce n’est pas le cas ! Si l’on se base sur la communication de la Commission européenne, on constate immédiatement que l’État luxembourgeois n’a rien fait d’extraordinaire. Parce que Bruxelles a clairement reconnu l’étendue actuelle et future de cette pandémie. Que ce soit d’un point de vue économique ou sur le sujet de la survie et de l’existence des établissements concernés. De même, l’exécutif européen a également reconnu les conséquences dramatiques que cela implique au niveau des finances publiques des différents pays, si jamais ces établissements de l’Horeca ne devaient pas survivre. La Commission européenne a donc donné son feu vert pour l’octroi d’aides massives pour, justement, éviter cette situation critique. Par contre, entre ce que la Commission européenne autorise et ce que l’État applique concrètement sur le terrain, il y a un monde : on est en effet très loin du compte.
Il faut une rétroactivité des aides
Pourquoi estimez-vous qu’on est très loin du compte ?
Car nous sommes sur une question de coûts fixes à partir de mars 2020, pour lesquels l’UE dit que le Luxembourg est éligible. Si la Commission européenne indique que l’on est éligible (à ces aides), à partir d’une perte de 30%, l’État, lui, à travers la conférence de presse de lundi du ministre des Classes moyennes, Lex Delles, confirme que, pour sa part, il est suffisant d’indemniser les coûts fixes à partir du mois de novembre 2020… Or il reste sur les 40% d’exigence au niveau de la perte du chiffre d’affaires, au lieu d’aller sur les 30% que permet Bruxelles. Nous sommes donc très loin de ces choses-là ! Il faut une rétroactivité des aides.
Vous estimez notamment que la question de la rétroactivité des aides financières constitue un point central des revendications que vous exposez…
Quand le ministre Delles a été interpellé sur ce point à la Chambre des députés, je suis resté perplexe, car je m’attendais à un vrai raisonnement de sa part ! D’une part, il ne dit rien à ce sujet et puis il enchaîne en parlant du Fonds de solidarité. Cela n’a rien à voir ! Cette aide-là qui a été évoquée doit servir à rendre moins lourde la charge financière au niveau des finances publiques. Ce n’est donc pas comparable avec une aide destinée à couvrir les coûts fixes, les loyers ainsi que les autres charges incombant au secteur. On ne parle pas d’entreprises classiques et les pertes subies ne sont, à ce jour, aucunement dédommagées. De ce fait, il faut maintenant avoir réparation du préjudice subi pour que les entreprises du secteur ne connaissent pas de déconfiture dans le futur.
Qu’en disent vos clients, les membres de l’ASBL Don’t forget us ?
Ils estiment qu’il n’y a aucune réparation sérieuse du préjudice subi concernant la première partie du confinement. Mes clients sont d’avis que ce manquement est inacceptable !
En dernier recours, il faudra agir contre l’État
Quel est votre sentiment personnel face à cette situation qui apparaît inextricable ?
Je ne trouve pas normal que l’on n’assume pas ces actions prises par le gouvernement. On va dire que c’est utile de fermer le secteur Horeca et que c’est dans l’intérêt général, mais d’un autre côté, il faut en supporter les conséquences. Dans ce cadre, je me réfère notamment au droit du travail. Mais si on se met à limiter ce droit, il faut également, je me répète, en assumer les conséquences. Le slogan « Vous fermez, vous payez » résume bien ma pensée. Je persiste et signe : il faut qu’une rétroactivité des aides soit considérée et effective.
Après cette manifestation et les annonces d’aides supplémentaires pour le secteur de la part du gouvernement, quelle sera la suite de ce douloureux feuilleton pour les personnes concernées ?
Un courrier a été envoyé, le 13 janvier, au Premier ministre. Aucune réponse n’est parvenue depuis, ni de Xavier Bettel ni du ministre des Classes moyennes, Lex Delles. Nous avons ensuite introduit une autre demande au sujet de la transparence gouvernementale dans le cadre des mesures qu’il adopte. Et, pareil, aucune réponse de reçue… Il faudra donc agir autrement face à ce mur non disposé au dialogue. De manière générale, nous n’allons pas continuer à dire que la situation est injuste. Nous allons agir en justice, tout en espérant que la Chambre des députés, qui peut toujours adopter une législation plus cohérente, suivra notre démarche. Si ce n’est pas le cas, il faudra agir en matière de responsabilité contre l’État, et cela s’annonce déjà être la prochaine étape de notre combat !
Entretien avec Claude Damiani