Aide pratique mais aussi soutien moral voire vecteur d’insertion sociale, les chiens d’assistance apportent de nombreux bénéfices aux personnes en situation de handicap. L’ASBL Rahna sert d’intermédiaire entre les centres d’éducation et le futur maître.
Cela fait plus de sept ans que Gana, un labrador chocolat de 10 ans, est entré dans la vie d’Andrée Biltgen afin de l’aider dans son quotidien. Car cette référente pastorale de 54 ans souffre depuis sa naissance de spina bifida, une malformation congénitale de la colonne vertébrale qui la contraint aujourd’hui à se déplacer essentiellement en fauteuil roulant. «Mon chien peut m’apporter aussi bien une bouteille d’eau de 1,5 litre qu’une petite pièce de monnaie, mon téléphone ou mes lunettes», explique avec fierté sa maîtresse.
Mais bien au-delà de la seule aide technique, c’est aussi un véritable soutien moral qu’Andrée Biltgen a trouvé dans son chien d’assistance. «C’est bien simple, avoir un chien d’assistance change totalement la vie !, assure-t-elle. Il peut ramasser ce qui tombe et ouvrir les portes, mais avoir un chien rend aussi plus actif et facilite grandement le contact avec les autres.»
Comme elle l’explique, avant d’avoir un chien d’assistance, Andrée Biltgen rentrait de son travail le vendredi soir et ne ressortait de chez elle que le lundi matin pour retourner travailler. «Avec un chien, cela n’arrive plus !» Surtout, elle n’est désormais plus perçue comme «la personne handicapée» mais «la femme avec un chien» : «Comme le dit l’association française Handi’chiens, le chien cache le fauteuil. Sans le chien, les gens dans la rue se posent mille questions qu’ils n’osent pas nous poser (on le voit pourtant !). Le chien permet d’engager la conversation, d’amener petit à petit le sujet du handicap. Alors oui, le chien peut être marqueur du handicap, puisqu’il est reconnaissable à la cape qu’il a sur le dos, mais ce n’est pas du tout comparable au fait d’être dépendant d’une personne.»
«Pas suffisamment handicapée»
C’est en 2003, année internationale du Handicap, qu’Andrée Biltgen, très active dans la sensibilisation au handicap, fait la connaissance de l’ASBL Rahna, fondée l’année précédente, et qui sert d’intermédiaire entre les centres d’éducation de chiens d’assistance et les personnes en demande au Luxembourg. «Au début, comme beaucoup d’autres, je ne m’estimais pas suffisamment handicapée pour avoir un chien. J’ai compris plus tard qu’on ne prenait pas le chien de quelqu’un, chaque chien correspond à une personne. Il n’y a pas besoin d’être en fauteuil roulant pour en avoir un.»
Elle aura son premier chien d’assistance, un golden, en 2006. Comme nous l’explique Andrée Biltgen, qui préside aujourd’hui l’ASBL Rahna, les labradors et les goldens sont des chiens particulièrement adaptés à l’assistance : «Ce sont des retrievers, ils possèdent de grandes qualités, sont dociles et intelligents et ont été sélectionnés pour “rapporter”.»
Une nouvelle race fait toutefois son apparition parmi les chiens d’assistance, signale la présidente de Rahna : le caniche royal. «C’est un chien très intelligent capable de détecter le diabète ou l’épilepsie. De plus, les allergies vis-à-vis des caniches sont plus rares que pour les autres chiens.»
Ces chiens dits d’alerte peuvent en effet être formés pour réagir lorsque leur maître fait une crise, en appuyant sur une alarme ou en apportant téléphone, médicaments ou aliment sucré, mais aussi parfois sentir quand le propriétaire va faire une crise ou lorsque le taux de sucre est trop élevé ou trop bas avant même que celui-ci ne s’en rende compte !
Des familles bénévoles
Les chiens avec lesquels travaillent Rahna sont formés dans deux centres : Handi’chiens, en France, et Os’mose, en Belgique. Une formation basée sur une méthode standardisée venue des États-Unis et qui s’étend sur deux ans. Ils sont sélectionnés directement chez les éleveurs, après des premiers tests destinés à connaître leur caractère et évaluer le potentiel de l’animal en tant que chien d’assistance. Car tous ne sont pas faits pour ce métier !
Après huit à neuf semaines, le chiot est placé dans une famille d’accueil pour être «pré-éduqué» et socialisé durant 16 à 18 mois. «Les familles l’habituent à toutes sortes de situations : prendre le bus ou l’avion, se retrouver dans une foule sans paniquer, ne pas avoir peur des bruits, rester tranquille dans un restaurant sans quémander ou agacer les autres clients, aller au magasin sans faire le fou dans le rayon viande !», explique Andrée Biltgen. Les familles sont bénévoles, mais la nourriture et les frais de vétérinaires sont pris en charge par l’association. Elles se retrouvent toutes les deux semaines pour évaluer le comportement du chien et vérifier ce qu’il est nécessaire de renforcer. Un apprentissage, on s’en doute, sérieusement mis à mal par la crise sanitaire.
Après leur passage en famille, les chiens connaissent déjà une trentaine de commandes sur les 50 qu’ils devront posséder à la fin de leur apprentissage. La France et la Belgique se différencient alors : «En Belgique, le chien est alors habitué peu à peu à sa future famille d’accueil, qui doit venir le voir toutes les semaines. En France, il est encore formé durant six mois avec un entraînement spécifique. Le maître ne le découvrira qu’à la fin, et devra suivre un stage de deux semaines.»
Si le chien est pris en charge par Rahna (y compris certaines prestations vétérinaires et médicaments sur demande), le stage est par contre à la charge du futur propriétaire. «Et il est difficile !, précise Andrée Biltgen. On doit connaître les commandes, mais aussi les maladies canines, apprendre à réagir en cas de morsures de tiques, faire des exercices pratiques.»
Deux ans de délai
À noter toutefois que les centres d’éducation demeurent les véritables propriétaires du chien, qu’ils peuvent récupérer en cas de maltraitance. «Une éducatrice vient tous les ans pour un ministage et des vérifications», précise Andrée Biltgen, qui attend elle aussi prochainement une telle visite.
Les chiens peuvent être «réformés» après leur formation s’ils ne répondent pas à tous les critères. «S’il tire trop par exemple, cela peut être dangereux, donc soit il restera dans la famille d’accueil qui l’a éduqué, soit il sera adopté par une autre famille, comme simple animal de compagnie.»
Lorsqu’une personne en situation de handicap (moteur ou mental) au Luxembourg contacte Rahna, le comité de l’ASBL, qui compte une dizaine de personnes, se réunit pour évaluer la demande, avant une visite à domicile accompagnée d’un chien pour voir la réaction du demandeur, de son entourage et des autres animaux présents. «Le fait d’avoir un autre animal n’est pas incompatible avec un chien d’assistance, explique Andrée Biltgen, mais il faut s’assurer que la cohabitation pourra bien se passer. Durant ces rendez-vous, on discute, on observe, on demande comment la personne s’imagine avec un chien, et si elle travaille, si elle en a parlé à son patron.»
Son patron de l’époque était d’ailleurs la première à qui Andrée Biltgen a parlé de son projet d’adoption. S’il s’est montré très ouvert, tous ne sont aussi compréhensifs, essentiellement du fait d’un manque d’information auquel l’ASBL Rahna compte bien remédier.
Deux ans peuvent s’écouler entre la demande et l’obtention du chien. Un délai long qu’il faut prendre en compte. Depuis la création il y a bientôt 20 ans, Rahna a fourni entre 40 et 50 chiens à des personnes en situation de handicap au Luxembourg.
Tatiana Salvan
Contacts : info@rahna.org; tél. : 621 63 66 61 ; Facebook : Rahna Muppen ; site internet : www.rahna.lu.
Bientôt une carte d’identité
Le Luxembourg prévoit de fournir des papiers d’identité aux chiens d’assistance, ce qui, espère-t-il, leur permettra d’être autorisés dans certains établissements à l’étranger.
Depuis la loi de 2008 relative à l’accessibilité des lieux ouverts au public aux personnes handicapées accompagnées de chiens d’assistance et le règlement grand-ducal qui a suivi, tous les chiens d’assistance, et non plus seulement les chiens guides d’aveugles, doivent être autorisés à entrer dans les lieux ouverts au public au Luxembourg. Avec cette loi, les personnes en situation de handicap sont en droit de prévenir la police si on leur refuse l’accès avec leur chien. «Mais on essaie surtout de parler et d’expliquer la situation aux gens», prévient Andrée Biltgen, présidente de l’association Rahna.
Même si le signe le plus reconnaissable demeure la cape qu’ils portent sur le dos, c’est la médaille fixée au collier ou au harnais de l’animal qui sert officiellement de «signe ostensible distinctif».
Problèmes à l’étranger
Malheureusement, cette médaille n’est pas toujours reconnue à l’étranger. Si Andrée Biltgen n’a jamais rencontré de problèmes en France ou en Belgique, où une loi similaire à la loi luxembourgeoise existe, cela n’a pas été le cas en Italie ou en Allemagne. De fait, l’ASBL Rahna travaille de concert avec le ministère de la Famille pour que les animaux obtiennent de véritables papiers d’identité prouvant que ce sont des chiens d’assistance, en espérant que ces papiers seront plus reconnus que la médaille en dehors du Grand-Duché.
«Certains envisageaient d’inscrire le chien sur la carte d’invalidité, mais tout le monde n’en possède pas une, comme les diabétiques par exemple. Du coup, nous avons opté pour une carte d’identité. Les premières devraient être distribuées cette année», annonce Andrée Biltgen.
T. S.