Ils ont repris le chemin des chantiers le 20 avril, mais les salariés du secteur du bâtiment s’aperçoivent combien il est difficile de se conformer aux règles de sécurité et de les faire respecter.
Les salariés de retour sur les chantiers depuis le 20 avril ont eu de gros doutes pour certains, pas du tout pour d’autres, enclins à plus d’insouciance. De quoi contribuer à créer des tensions sur le lieu de travail en pleine pandémie. La reprise de l’activité s’accompagnait d’une série de recommandations afin de rester vigilant face à la propagation du virus. Des consignes claires relayées par la Fédération des artisans à ses membres répondaient aux exigences émises par le gouvernement pour encadrer le déconfinement.
Chaque jour, cependant, des témoignages soulignent la difficulté de faire respecter les gestes barrières et surtout le port obligatoire du masque. Thierry, salarié dans une menuiserie, est occupé actuellement sur un gros chantier à Esch-Belval qu’il a retrouvé il y a dix jours. Jeune papa, il craint par-dessus tout de ramener le virus à la maison et de contaminer sa compagne et son bébé de quelques mois.
Il fait partie de ceux qui craignaient cette reprise, la jugeant prématurée et voyant difficilement comment reprendre une vie sur un chantier après un arrêt brutal dû à l’épidémie. «On nous dit de rester chez nous confinés et, du jour au lendemain, toute une catégorie de personnes sont autorisées à reprendre la vie comme avant», observe-t-il.
Pas tout à fait quand même, il y a de nouveaux comportements à adopter pour cohabiter avec le virus. «Oui, mais le port du masque n’est pas respecté. Les gens le portent autour du cou, sur la bouche, mais pas sur le nez, et ceux qui sont persuadés de rester à moins de deux mètres ne le portent pas du tout», a pu constater Thierry qui, lui, ne se sépare jamais de son masque, prudent comme jamais.
«Tout le monde se prend la tête avec le masque», témoigne-t-il. Beaucoup ne le supporte pas surtout pendant l’effort physique. «Ils n’arrêtent pas de le mettre et de l’enlever, de le mettre au fond de la poche, de le ressortir quand ils voient passer quelqu’un qui ressemble de près ou de loin à un contrôleur», rapporte Thierry.
«On sert de cobayes»
Il est agacé par ces comportements qu’ils jugent «irresponsables», et sur les chantiers, ceux qui sont à cheval sur les règles s’affrontent avec ceux qui les transgressent allégrement. «Un jour, il y aura une bagarre, je le sens, parce qu’il y a vraiment des gens qui s’en fichent complètement alors qu’on sert de phase test de ce déconfinement», se plaint le menuisier.
Il ne veut pas être une victime de la deuxième vague après avoir évité la première en restant confiné dans son petit village de Moselle, à quelques kilomètres de la frontière luxembourgeoise. La deuxième vague? «Elle est inévitable», nous dit Manuelo. Peintre en bâtiment ayant créé sa petite entreprise, il n’a pas fini de faire les comptes de ses pertes ni même de répertorier toutes les mesures prises par le gouvernement pour l’accompagner dans cette période trouble. Il était juste heureux de pouvoir reprendre son activité et de rappeler sa petite vingtaine de salariés.
«On sert de cobayes, c’est sûr!», envoie-t-il quand on lui demande ce qu’il pense de cette reprise dix jours après. «Quand je vois ce que je vois sur les chantiers, je me dis qu’il est vraiment difficile de se tenir aux règles. Moi, j’ai placé un seul de mes salariés par étage sur les échafaudages, ça leur permet de travailler à l’aise, sans forcément mettre le masque», explique-t-il.
Il a fourni à ses employés du gel désinfectant pour les mains et des masques bien sûr. «Il faut se tenir aux mesures de sécurité si on veut savoir ce que ce déconfinement nous réserve. Sinon, on n’aurait jamais dû arrêter l’activité comme on nous a ordonné de le faire par crainte d’une propagation dramatique du virus. Maintenant il faut apprendre à vivre avec le virus et à travailler autrement», conclut Manuelo.
Ce sera tout un apprentissage. «J’étouffe sous mon masque déjà maintenant, alors qu’est-ce que ce sera en été quand on connaîtra des fortes chaleurs?», interroge encore Thierry.
Aujourd’hui, les salariés doivent rattraper comme ils peuvent le retard pris sur les chantiers.
«Le travail physique avec un masque, c’est l’horreur, et on devrait avoir le droit de faire des pauses supplémentaires pour l’enlever et respirer un peu à l’air frais, mais je sens que ce n’est vraiment pas le moment de venir avec ce genre de revendication», reconnaît Thierry. D’autant qu’il admet volontiers que son patron, qui emploie quelque 80 salariés, a bien fait les choses avec séance d’information et équipement adéquat. «Chez nous, les salariés ont bien été sensibilisés et les consignes sont respectées, mais ce n’est pas le cas chez tout le monde», regrette-t-il.
Geneviève Montaigu