Accueil | Luxembourg | Luxembourg : reportage sur «l’une des plus belles foires vinyles d’Europe»

Luxembourg : reportage sur «l’une des plus belles foires vinyles d’Europe»


La foire aux vinyles des Rotondes, qui se tenait dimanche, serait l'une des plus belles d'Europe (Photo : Julien Garroy).

Le temps d’un dimanche pluvieux, les Rotondes ont accueilli dans leur galerie des dizaines de milliers de vinyles. De quoi faire tourner la tête des collectionneurs et amateurs d’un son «plus chaud» que celui proposé par les ordinateurs.

Médéric Keble peut enfin souffler. Un verre de blanc à la main, le gérant de La Face Cachée – le disquaire et label indépendant messin qu’on ne présente plus – et à qui l’on doit l’organisation de cette foire aux disques, peut désormais déambuler entre les allées des disquaires qui ont envahi la galerie des Rotondes.
Il était à pied d’œuvre depuis 6 h 30 «pour accueillir les marchands». «L’arrivée de trente véhicules, ça demande un peu de gestion! Déjà la veille, on a installé 80 tables. C’était du boulot!», ajoute-t-il.
Une quarantaine de disquaires ont en effet répondu présents pour cette 20e édition (il y en a deux par an). «C’est un peu moins que d’habitude, car il y a beaucoup d’événements en ce moment», souligne Médéric Keble. Les bacs regorgent néanmoins de 100 000 à 150 000 vinyles! De quoi ravir les amateurs de bon son et les collectionneurs.

(Photo Julien Garroy).

(Photo Julien Garroy).

«On attend entre 1 500 et 2 000 personnes. Au Luxembourg, les gens viennent surtout l’après-midi. À Metz, c’est tout le contraire», constate Médéric Keble, qui précise : «C’est une bonne foire ici, c’est l’une des plus belles en Europe. Dans d’autres foires, comme à Lyon, qui est pourtant une grosse ville, on compte entre 500 et 800 visiteurs seulement.»
Ce n’est pas Claude, venu spécialement de Diekirch, qui dira le contraire. Ce fan de Pink Floyd s’est fixé un budget de 500 euros pour la foire de Luxembourg, et a déjà quelques albums sous le bras, notamment un pressage japonais de Dark Side of the Moon. «Le pressage japonais est extrêmement qualitatif. Son son est presque toujours supérieur au pressage hollandais, allemand ou français. Et puis, c’est un pressage que je n’avais pas encore!»
S’il possède tout de même une dizaine de pressages différents de Dark Side of the Moon, hors de question de tous les acheter! «Je ne vais pas avoir 500 fois le même disque, car il y a environ 500 pressages différents! Pas seulement provenant de différents pays, mais aussi des pressages différents dans les pays eux-mêmes. Il y en a par exemple eu pour le 35e anniversaire de l’album, le 40e… Ça n’en finit jamais!»

«Visuellement, c’est de l’art»

Claude collectionne surtout les vinyles des années 70. Une passion qui remonte précisément à 1973, lorsqu’à 14 ans il s’est offert son premier disque, l’album Queen du groupe éponyme. Âgé aujourd’hui de 60 ans, il possède une collection de quelque… 8 000 pièces! «C’est déjà une petite collection, oui!», reconnaît-il dans un éclat de rire.
«Il faut dire que déjà, visuellement, un disque, c’est de l’art», explique Claude en montrant une pochette de Steve Hillage. «Dans les années 70, il y avait même des créateurs qui ne faisaient que des pochettes d’album. Ce n’est pas comparable avec un CD!»

(Photo Julien Garroy).

(Photo Julien Garroy).

Sans parler du son… «Le CD est plus pressé. Le vinyle donne un charme, un son plus ouvert qui se projette partout dans la pièce.»
À condition d’avoir le matériel adéquat toutefois. «Un tourne-disque à 100 euros, ça ne sert à rien. 250 euros, c’est le minimum», prévient-il.
Une injonction que ne contredirait sans doute pas Julien, qui se reconnaît mélomane. «J’ai l’impression que l’avancée de la technologie, pour une fois, s’est faite au détriment de la qualité du son. Aujourd’hui, tout est plus petit, les gens écoutent de la musique sur leur téléphone ou leur ordinateur, avec des mini-enceintes», déplore le jeune homme.
Un propos nuancé par Joaquim, disquaire itinérant et amateur de pièces rares (lire encadré) : «Le son s’est amélioré, mais il faut avoir les moyens pour profiter d’une bonne technologie!»
L’entrée de la foire est en tout cas libre, ce qui permet d’attirer une foule hétéroclite, «pas seulement des spécialistes», ce qu’apprécie Udo, disquaire ambulant dans le métier depuis les années 80 et venu tout droit de la Sarre.
Aux Rotondes, on trouve des vinyles de tous les styles, de la variété au metal en passant par le rock psychédélique. Côté budget, il y en a pour toutes les bourses, d’un euro à plusieurs centaines pour les pièces exceptionnelles.
Du coup, les trentenaires et rockeurs au long cours côtoient les plus jeunes, qui viennent de se découvrir une nouvelle passion, à l’instar d’Océane, 20 ans.
La jeune fille est assise à l’entrée de la galerie, un vinyle qu’elle vient de dénicher de Peggy Gou, la DJ sud-coréenne, posé à côté d’elle. «J’attends mon petit ami, qui est plutôt branché jazz. Moi, je suis plutôt techno.»
Le jeune couple a investi il y a un mois seulement dans un tourne-disque. «On trouve ça plus original, ça a plus de charme. Et puis, on apprécie plus la musique, car un disque c’est plus rare, plus cher. On investit dedans. D’ailleurs, j’ai déjà acheté pour 150 euros de disques en un mois seulement et je crois que ça ne va pas s’arrêter!», sait déjà Océane. «On a pris les cartes de certains disquaires ici, et on compte bien profiter de nos voyages à Bruxelles ou Paris pour participer à des foires et chercher des vinyles.»

«La faute aux majors»

Un peu plus loin, Thierry, venu de Lorraine, plonge dans les bacs à la recherche de musique «black», type «Earth, Wind and Fire, pour ce qui est le plus connu». Collectionneur et amateur de bon son, c’est la première fois qu’il vient à la foire de Luxembourg, mais il reste pour l’instant un peu sur sa faim, ses recherches étant encore infructueuses. «Il n’y a peut-être pas les stands qui proposent ce que je recherche», avoue-t-il.

(Photo Julien Garroy).

(Photo Julien Garroy).

Peut-être n’est-il pas encore allé du côté du stand d’Udo, qui a amené avec lui 3 000 vinyles et autant de CD. «Vous ajoutez un zéro et vous avez le nombre de disques que je possède dans ma collection!», annonce celui qui tenait jusqu’en 2006 une boutique à Sarrebruck. «J’ai eu de la chance, je les garde depuis toujours».
Dans ses bacs, «il y a de tout : d’Abba à ZZ Top, des neufs et des occasions». Mais pour sa collection personnelle, lui n’achète pas les nouveaux vinyles, dans la mesure où il possède généralement les originaux.
Pour ce fan absolu de Zappa, «le Maestro», dont il arbore le t-shirt, l’accaparement de la manne par les majors nuit à la tendance du vinyle, revenu en force il y a quelques années et qui semble désormais «dépassée». «L’industrie du disque est en train de détruire tout cela. Certaines majors sortent de bons vinyles, mais d’autres font clairement de la m…», s’emporte Udo.
Un constat partagé pour partie au moins par Médéric Keble, qui reconnaît que «la passion du vinyle stagne un peu, la faute aux majors. Il y a une saturation.»
Quant aux CD (on trouvait quelques bacs dimanche), «la bataille est perdue d’avance. Ils meurent à petit feu», estime Udo.

Une atmosphère particulière

Pas de ralentissement en vue en tout cas pour les nouveaux passionnés. Ann est de ceux-là. La jeune femme, originaire d’Inde et qui vit à Luxembourg, vient pour la deuxième fois à la foire aux disques organisée aux Rotondes, avec une recherche bien spécifique en tête : «Je cherche de la vieille musique française, des années 50, 60, comme Gainsbourg par exemple. C’est le genre de musique que mon père écoutait déjà sur vinyle quand j’étais petite en Inde, et en plus je suis en train d’apprendre le français.»

20191103. Luxembourg, Rotondes. Foire aux Disques. Photo Julien Garroy / Editpress

20191103. Luxembourg, Rotondes.
Foire aux Disques.
Photo Julien Garroy / Editpress

La passion les a repris elle et son mari il y a un an environ. Ils ont alors décidé d’investir dans un tourne-disque. Depuis, ils ont déjà accumulé près d’une centaine de vinyles. «Et la collection va assurément s’agrandir!» D’autant que le couple fait toutes les foires aux disques possibles.
«On écoute nos disques le dimanche en général, confortablement installés à la maison. C’est toute une atmosphère qu’on aime se créer.» Parfait pour un dimanche pluvieux.

Tatiana Salvan