Attaquée par des champignons, la Villa Baldauff va être totalement rénovée et transformée en un hôtel cinq étoiles, à coups de dizaines de millions, par la compagnie financière La Luxembourgeoise.
La belle endormie surplombe la vallée de la Pétrusse. Construite en 1881/1882, cela fait une dizaine d’années que la villa cossue située au numéro 1 du boulevard Marie-Thérèse à Luxembourg n’est plus habitée et se dégrade. Surnommée la Villa Baldauff, du nom de la famille qui l’a habitée sur trois générations, son nouvel avenir a enfin été révélé lundi. Rebaptisée Villa Pétrusse, un nom plus neutre, elle devrait devenir d’ici 2022 un hôtel cinq étoiles.
C’est la compagnie financière La Luxembourgeoise qui a racheté l’édifice. «Nous sommes devenus centenaires ce week-end et nous nous demandions sous quelle forme fêter cet anniversaire et comment remercier ce pays», explique Pit Hentgen, administrateur délégué de la compagnie. C’est cette acquisition qui leur a permis de répondre à leur question, en rénovant la villa et en «l’ouvrant au public», du moins aux futurs clients de l’hôtel et du café-restaurant qui devrait y être intégré.
Mauvaise surprise : la mérule attaque la maison
«C’est un très beau patrimoine», qui devrait retrouver de sa splendeur grâce à l’architecte Jim Clemes. «Tous les services de l’hôtel seront intégrés dans un volume enterré sous le parvis arrière, juste avant le jardin», indique l’architecte. «De cette manière, l’aspect final de la maison ne diffèrera pas de l’original.» Seule modification visible, l’annexe, où l’orangerie sera agrandie.
Ce travail de longue haleine a débuté il y a deux ans déjà par des analyses et recherches historiques très détaillées, que ce soit pour le bâti ou pour le jardin imaginé par le célèbre paysagiste français Édouard André (1840-1911), également à l’origine du parc de la ville ou de celui de Mondorf-les-Bains.
Six chambres seront construites dans la partie enterrée et bénéficieront de la vue sur le parc et quinze autres seront réparties entre la villa et l’annexe. «Vingt et une chambres, c’est peu, mais elles bénéficieront d’une ambiance très spécifique grâce aux décors de ce lieu» qui respecteront à la lettre les peintures, tapisseries ou encore moulures originales. Pour cela, des sondages ont été effectués pour retrouver la décoration initiale de chaque mur. Notamment dans le hall d’entrée où les tournages de différents films avaient laissé des traces à chaque fois. Des sondages qui ont aussi révélé d’importants problèmes, le plus grave étant la présence de la mérule, un champignon qui ronge le bois et même la pierre.
«À l’intérieur même de la villa, le problème va pouvoir être résolu avec des techniques éprouvées», note l’architecte. Certains planchers à l’étage supérieur devront toutefois être changés. «Mais dans l’annexe le problème est plus grave et les champignons mettent en danger la solidité même du bâtiment», poursuit Jim Clemes.
En accord avec l’Institut national du patrimoine architectural (NDLR : Service des sites et monuments nationaux), il a été décidé de démonter l’annexe et de la remonter en gardant les éléments qui n’ont pas été attaqués par la mérule. L’extension se fera au-dessus du garage.
«De grands travaux de démantèlement sont déjà en cours à l’extérieur de la villa et sont visibles par les passants», souligne l’architecte. Après une longue préparation en amont, chaque élément a été répertorié et les pierres sont démontées une à une pour être restaurées en atelier puis reposées de façon parfaitement identique. Une partie de l’escalier arrière a déjà disparu.
30 millions d’euros d’investissement
La bourgmestre de Luxembourg et la ministre de la Culture étaient lundi aux côtés de l’architecte et du représentant de la compagnie au rez-de-chaussée de la villa, seule partie qui peut être visitée en toute sécurité. Par leur présence, elles veulent montrer le soutien qu’accordent la Ville et l’État à cette réhabilitation.
«Ce projet a mis tous les experts d’accord», insiste Sam Tanson. «Cette maison était vide depuis trop longtemps. Il a été nécessaire de trouver un compromis entre les différentes parties, non pas dans l’intérêt du propriétaire, mais en raison de l’état des bâtiments.» Cette rénovation est «un cadeau à notre patrimoine», ajoute Lydie Polfer. Un cadeau très cher, Pit Hentgen donne le prix d’achat du bout des lèvres : 10 millions d’euros. Un tarif auquel il faut ajouter le prix des travaux : 20 millions d’euros. Ce chiffre a gonflé avec la découverte de la mérule.
Pour le moment, La Luxembourgeoise n’a pas fait de demande d’aide, dont le montant maximum s’élèverait à 15 000 euros, à la Ville. «Je n’ose pas proposer cette somme en entendant le prix du coût total des travaux», sourit la bourgmestre. Le ministère de la Culture a quant à lui fait une promesse d’aide de 500 000 euros la semaine dernière puisqu’il s’agit d’un monument classé.
Les prix des chambres ne sont pas encore connus, mais le représentant de La Luxembourgeoise, qui exploitera l’établissement, assure que le prix sera «acceptable» malgré le standing de l’hôtel et le coût du chantier.
Audrey Libiez
Deux projets avortés et dix ans sans occupants
Cette villa est le symbole d’une ville qui s’ouvre après le démantèlement militaire. Il était d’autant plus dommage de voir ce patrimoine se déliter pendant une décennie.
Cette maison bâtie dans les années 1881/1882 par Pierre Kemp, également à l’origine du Casino de Luxembourg (avec Pierre Funck) et de la Fondation Pescatore, est un excellent exemple du renouvellement de la ville. Elle est réalisée dans un style néo-Renaissance», indique Jim Clemes, l’architecte qui mène ce projet de réhabilitation.
Cette maison cossue a été construite pour l’industriel Eugène Kerckhoff. Elle a ensuite appartenu à Hubert Baldauff, d’où son nom actuel, puis à ses descendants. Le parc a également beaucoup d’importance puisqu’il a été réalisé par le célèbre paysagiste français Édouard André, à qui l’on doit notamment le parc des Buttes-Chaumont à Paris.
Le boulevard Marie-Thérèse est né, comme beaucoup d’autres dans la capitale, grâce au démantèlement de la forteresse militaire (de 1867 à 1883) qui a permis d’aérer la ville qui était jusque-là étriquée entre les remparts. Ces grands boulevards ont permis à la ville de se moderniser et de s’ouvrir.
«L’histoire de la capitale»
«Cette villa est l’une des trois survivantes (avec la maison Delvaux et la Villa Vauban) des demeures construites après le démantèlement de la forteresse. Peut-être que certains se souviennent de l’ambassade de Belgique, moi je l’ai encore vue quand j’étais toute petite. Tout le boulevard devait être constitué de maisons imposantes autour du parc de la ville. Cette maison rappelle l’histoire de la capitale», raconte la bourgmestre. «S’il y a des édifices pour lesquels on discute de l’intérêt d’un classement, là il n’y a pas de discussion à avoir», ajoute Lydie Polfer avant de rappeler que deux projets auraient dû se concrétiser ces dix dernières années dans la villa mais ont été avortés, ce qui explique pourquoi elle a été vide si longtemps.
La Ville de Luxembourg avait accordé en 2009 à la banque privée Edmond de Rothschild, l’ancien propriétaire, un permis de construire pour sa rénovation. Elle voulait notamment en faire son siège principal. «Pour des raisons inhérentes à leur politique, cela ne s’est pas fait», explique la bourgmestre qui dit préférer ce nouveau projet, plus adapté à l’histoire de la villa.
Celle-ci a été vendue à la compagnie financière La Luxembourgeoise, maison mère des sociétés d’assurances Lalux en 2017. La Villa Baldauff est à l’inventaire supplémentaire des monuments classés depuis le 11 novembre 1986 et a été classée monument national le 20 juillet 2018.