À l’heure où le gouvernement appelle chacun à rester chez soi, Médecins du monde continue d’assurer ses permanences au Luxembourg, et à prendre soin de ceux qui n’ont pas de chez eux.
Depuis le début de la crise, ils sont une dizaine à se présenter à chaque permanence de Médecins du monde. C’est moitié moins qu’à l’accoutumée, certains ayant peut-être pris peur, d’autres ne prenant plus la peine de se déplacer face aux services qui se réduisent et au vu des autres structures qui ferment petit à petit.
Mais la vie qui malmène déjà ces personnes en grande précarité ne s’est pas mise en suspens avec l’arrivée du coronavirus pour autant. Plus que jamais, les bénévoles des différentes associations du pays sont donc en première ligne pour continuer d’assurer la prise en charge de ces personnes qui n’ont pas les moyens de prendre soin de leur santé ou qui ne peuvent pas «rester à la maison» puisqu’elles n’en ont pas.
Mais pour répondre à ces besoins tout en limitant les risques de propagation du virus, comme d’autres, Médecins du monde a dû complètement revoir ses procédures. «Nous avons dû nous réorganiser totalement. Nous nous adaptons au fur et à mesure aux nouvelles restrictions», indique David Pereira, chargé des programmes nationaux de Médecins du monde Luxembourg.
En premier lieu, le nombre des permanences a été revu, qui est passé de six à quatre par semaine (à Esch et à Bonnevoie, voir encadré) – ce qui reste «formidable» étant donné le contexte, comme le fait remarquer David Pereira, qui souligne toutefois «être arrivé quasiment à bas seuil» (niveau où seules les prestations de première nécessité sont assurées).
L’ONG, qui compte habituellement une centaine de bénévoles, a en effet dû se séparer provisoirement des deux tiers d’entre eux. «Nous suivons les recommandations», explique David Pereira. «Aussi lorsque les personnes à risques ont été établies, nos bénévoles de plus de 65 ans ou diabétiques n’ont plus exercé. Nous avons aussi invité le personnel tel que les psychologues ou les assistantes sociales à quitter le terrain (nous allons d’ailleurs mettre en place très prochainement une permanence téléphonique pour ces services). Un médecin et un soignant restent toutefois présents à chaque permanence. Nous continuons aussi les soins de rue», détaille David Pereira.
Pour ceux qui restent (et pour les patients à risques), Médecins du monde dispose du matériel et des équipements de protection individuelle (masques, lunettes, gants) en nombre suffisant à ce jour : «Nous avons eu le réflexe d’anticiper un peu les choses et de nous préparer depuis le mois de décembre. Nous avions été attentifs à ce qui se passait alors en Chine.»
Locaux réaménagés
Les locaux eux-mêmes ont été réaménagés pour limiter les contacts. Les patients ne peuvent plus s’installer en salle d’attente mais doivent rester dehors, en respectant une distance suffisante entre eux. Finies les activités de dentisterie, mais aussi le café et le chargement du téléphone au sein des locaux de Médecins du monde. «On aimerait répondre positivement à ces demandes, déplore David Pereira, mais on ne veut pas d’attroupement. On réfléchit à ce qu’on peut mettre en place.»
Sur les portes des permanences, un numéro de téléphone est affiché que les patients doivent contacter une heure avant d’être pris en charge. Au bout du fil, un médecin en télétravail a pour tâche de répartir les cas, selon les demandes et les symptômes.
«Les maladies chroniques et les maladies classiques ne s’arrêtent pas pendant l’épidémie», rappelle David Pereira, et les quelque 30 % de malades chroniques dont s’occupe habituellement l’ONG continuent d’avoir besoin de leur traitement. «Le médecin contacte alors le deuxième médecin sur place qui prépare une poche avec les médicaments qu’on passe au patient par la fenêtre.»
Ceux qui ont des symptômes (vomissements, grippes ou angines classiques), sont invités à entrer dans une salle d’attente, individuellement, et à se désinfecter. Ceux qui présentent des symptômes susceptibles d’être liés au coronavirus, sont envoyés dans une autre salle et doivent se désinfecter et porter un masque.
Le logement, une question de santé publique
À ce jour, un seul cas suspect s’est présenté auprès de Médecins du monde, et encore, la personne, un mineur de la Wanteraktioun, «n’avait pas tous les symptômes», assure David Pereira. C’est donc le principe de précaution qui a été appliqué. Et son accompagnant, membre de l’Action hiver, a pris note des recommandations pour confiner le jeune au foyer.
Si Médecins du monde n’a pas à déplorer de consultations de cas véritablement infectés par le Covid-19, cela n’en diminue pas moins les risques d’infection et de transmission induits par les conditions de vie de ces personnes en très grande précarité, comme s’insurge David Pereira : «Déjà, ces personnes ont des systèmes immunitaires plus fragiles, du fait qu’elles dorment dans la rue ou qu’elles consomment de l’alcool. Elles sont quasiment condamnées si elles sont infectées, d’autant qu’elles ne bénéficient pas d’une couverture de santé pour se soigner. Mais en plus, ces personnes continuent d’être en contact avec le monde associatif et le personnel de santé, et comme elles n’ont pas de logement, elles ne peuvent pas rester confinées.»
«Rester à la maison», c’est en effet l’injonction, non dépourvue de bon sens, martelée par le Premier ministre Xavier Bettel pour endiguer l’épidémie de coronavirus qui a déjà fait cinq morts et infecté près de 500 personnes au Grand-Duché. Mais que faire quand on n’a pas de chez soi? Quand l’accès à l’information ou à la langue du pays est limité? Que les conditions de vie tiennent éloignées des campagnes de prévention les personnes parmi les plus à risques?
«Ce sont là des questions que l’on aurait pu se poser avant l’épidémie», tempête David Pereira. «On voit bien que le logement est un problème de santé publique – et le Luxembourg a les moyens de fournir des logements.»
Quatre-vingt-treize pour cent des patients de Médecins du monde vivent sous le seuil de pauvreté, 83 % n’ont pas de domicile fixe et 72 % n’ont aucune couverture de santé. En 2018, plus de 800 personnes sont venues consulter l’ONG. «Toutes ces personnes, vivant dans la précarité au Luxembourg, risquent d’être frappées encore plus durement par ce virus que le reste de la population», alerte Médecins du monde qui appelle «à la solidarité générale» et demande à ce que «les personnes sans abri puissent recevoir un accès non discriminatoire au dépistage et au traitement (…) et que les informations diffusées soient adaptées à leurs conditions de vie».
Tatiana Salvan
Quatre permanences maintenues
À ce jour, Médecins du monde a maintenu quatre permanences :
› Esch : 5, rue d’Audun, jeudi, de 10 h à 12 h.
› Bonnevoie : 30, Dernier Sol, lundi de 10 h à 12 h, mercredi de 17 h à 19 h, vendredi de 10 h à 12 h.