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Luxembourg : l’inquiétude des cafés et restos, malgré l’affluence


Les terrasses sont bien fréquentées, mais les inquiétudes demeurent sur le rattrapage de la crise (Photo d'illustration : AFP).

Les Luxembourgeois se sont rués sur les terrasses dès mercredi dernier pour le plus grand bonheur du secteur de l’Horeca sérieusement fragilisé par la crise du Covid-19.

«Il fait beau, ce serait bien si on pouvait avoir du monde sur notre terrasse!», lance une serveuse à son collègue occupé à agencer les tables le long d’un trottoir mardi en fin de matinée à Luxembourg. Les terrasses ont rouvert sous condition depuis mercredi et les restaurants depuis vendredi au Grand-Duché. Un soulagement pour tout un secteur qui craignait pour sa survie. «Les gens sont venus tout de suite», note le serveur d’un bar du centre-ville en essuyant une table. «C’était bon de retrouver les clients. On est revenus travailler avec le sourire.»
La fermeture des cafés et restaurants a été vécue pour beaucoup comme un long tunnel dont ils n’étaient pas tous certains de voir le bout. Beaucoup ne rouvriront pas. Ceux qui ont survécu au confinement s’appliquent à travailler au mieux pour rattraper le temps perdu. Mike Becker, patron du café Beim Lentz, place Clairefontaine, a cru ne jamais pouvoir ouvrir tout court : «Nous devions ouvrir le café le 17 mars, nous n’avons pas pu. Nous sommes donc doublement contents d’être ici depuis près d’une semaine. Cela se passe plutôt bien, même si certains clients ont tendance, après une certaine heure, à oublier de mettre leur masque quand ils quittent leur table ou de s’installer à plus de quatre à une même table. Nous nous chargeons de leur rappeler les règles.» Et si ce n’est pas le personnel des établissements, c’est la police. «Des patrouilles passent devant notre café tous les quarts d’heure», indique Mike Becker, ce qui l’oblige lui aussi à respecter les règles comme l’heure de fermeture. «Nous ne servons plus après minuit moins vingt et donnons la note aux clients pour qu’ils aient le temps de payer et d’être sortis pour minuit», explique-t-il.
Le secteur et les clients doivent s’habituer à de nouvelles règles et adapter leurs habitudes à la situation. «Nous allons devoir nous habituer à travailler avec un masque et à garder nos distances avec les clients, indique la serveuse d’une trattoria. Pour l’instant, c’est encore calme. Tout n’est pas rose. La reprise va prendre du temps. On est loin de l’affluence habituelle, mais les gens sont contents de pouvoir boire un café et retrouver un semblant de normalité dans leur quotidien.» Les cafés, comme les restaurants, sont des lieux de socialisation. Privés de contacts pendant des semaines, les Luxembourgeois compensent.

«Comme avant, mais différent»

La rue reprend vie. Un vieux tube de Bruce Springsteen fuse par la porte d’un café, une odeur de bonne cuisine s’échappe d’un restaurant, les couverts s’entrechoquent dans les assiettes et les percolateurs soufflent d’aise. Les passants se reconnaissent malgré les masques qui leur barrent le visage et s’interpellent ou se saluent. On se rencontre par hasard ou pas. On se retrouve en famille. Comme Jeannot venu avec sa fille Sara et sa petite-fille Carlotta déjeuner au Bazaar avant de se lancer dans un après-midi shopping. Ou comme Coline et Laure, deux copines, pour qui «c’est à la fois comme avant et pourtant totalement différent dès qu’on se lève de table!».

Chaque bout de trottoir est investi par des tables et des chaises de tailles différentes. Les établissements qui ne peuvent agrandir leurs terrasses vers l’avant ou les côtés, comme ceux donnant sur une place, rivalisent d’ingéniosité. Chaque centimètre est utilisé et certaines rues se colorent joyeusement à l’image de la rue du Nord où se trouve le restaurant Chiggeri qui a rouvert vendredi midi. «Nous sommes contents d’avoir pu recommencer à travailler. Ces deux derniers mois ont été très difficiles. Je dois payer un propriétaire privé, nous n’avons pas eu de cadeaux», indique Joao Ramos, le patron du restaurant. «Pour le moment, nous accueillons moins de monde qu’en temps normal. C’est dû au fait qu’une grande partie de notre clientèle est encore en télétravail. Les clients sont contents de retrouver notre établissement, la cuisine et l’ambiance.» Malgré la frilosité de la clientèle, tout le monde est sur le pont. «Toute l’équipe est présente. Nous nous adapterons au fur et à mesure en fonction des besoins réels au quotidien, poursuit Joao Ramos. Nous sommes en permanence en train de réfléchir, de penser aux gestes que nous faisons, de ne pas oublier de désinfecter une table avant l’arrivée de nouveaux clients, par exemple.»
La joie de la reprise et la météo plus que clémente mettent du baume au cœur de tout un secteur qui espère passer l’été, puis l’hiver et pouvoir se refaire une santé. Les espaces ont été divisés, raccourcis, mais restaurateurs et cafetiers peuvent compter sur les clients qui, en manque d’interactions sociales, ont répondu présents à l’appel de la terrasse.

Sophie Kieffer

«Nous travaillons mieux qu’avant»

Gabriel Boisanté, conseiller communal et professionnel de la restauration, fait le constat des effets du confinement sur l’Horeca et se réjouit – sans être dupe – du bon redémarrage du secteur.

Comment s’est passée la réouverture ?
Gabriel Boisanté :
Nous avons rouvert tous nos établissements mercredi matin. Durant toute la crise et même avant, mes associés et moi avons essayé de communiquer sur la fermeture, d’indiquer que nous ne ferions pas de livraisons, ni de service à emporter pour respecter au maximum les décisions liées à cette crise. Notre but était d’être dans les premiers à pouvoir rouvrir et malgré l’annonce tardive nous y sommes parvenus. Cela a été une course incroyablement motivante, inspirante et réussie parce que le temps a joué le jeu et parce que nous avons pu assez rapidement nous adapter aux directives qui nous sont imposées. Elles font sens, même si elles ne nous permettent pas de travailler au niveau d’affaires – comme l’ensemble de la profession – où nous nous trouvions avant le confinement. Mais nous travaillons. Nous retrouvons les gens qui nous ont manqué, les équipes, les clients. Je pense que nous travaillons mieux qu’avant le confinement.

gabriel boisantéQu’entendez-vous par « mieux » ?
Quand un être vous manque, tout est dépeuplé. Notre activité, notre travail qui est une passion, nous ont manqué, donc nous nous appliquons énormément en cuisine, au service, à être extrêmement performants, à être plus exigeants avec nous-mêmes. C’est facilité par des règles plus strictes qu’avant le confinement : des règles d’hygiène, de distance… Nous sommes plus disciplinés et donc nous nous permettons de travailler mieux.
Les clients aussi ont été disciplinés. L’ensemble du secteur avait des appréhensions pour ce premier week-end, notamment ceux qui ont des bars. Le volet boire debout, extrêmement social, mélangé, ne peut pas vivre pour le moment. Les clients l’ont compris, je pense que c’est pour cela qu’ils sont allés dans les parcs pour se retrouver à plusieurs.

N’est-ce pas trop difficile de devoir jouer au gendarme si les consignes ne sont pas respectées ?
Nous sommes un relais. Ce n’est pas à nous de faire la loi, mais nous devons la rappeler. C’est un des aspects de la reprise qui nous faisait peur. Heureusement, les gens ont bien compris l’importance de respecter les consignes. Je tiens à souligner le niveau de discipline de nos clients quant aux directives. Ils ont parfaitement compris et nous n’avons pas trop de pédagogie à faire.
Et puis, il y a des moments où il faut savoir dire « non » pour le bien de tous et pour le bien de la profession qui a beaucoup souffert du confinement financièrement et socialement. Nous devons montrer l’exemple pour qu’il n’y ait pas de deuxième vague et que la profession et la branche ne soient pas pointées du doigt comme un risque potentiel. Il faut que la discipline nous amène ensemble vers de prochaines étapes de déconfinement et d’assouplissement de la discipline.

Y a-t-il des établissements qui ne rouvriront pas leurs portes ?
Il y en aura, c’est très clair. J’ai été contacté pendant le confinement par des gens en très grande difficulté. Les établissements qui marchent bien en temps normal et qui arrivent à atteindre 60 ou 80 % de leur chiffre d’affaires habituel, peuvent rester rentables. Ils ne gagnent pas d’argent et ne récupèrent pas ce qu’ils ont perdu. Les charges ont continué à courir et n’ont pas été remboursées ni prises en charge intégralement par l’État. Donc, des gens qui avant la crise avaient des problèmes de trésorerie vont exploser en vol et ont souffert au point de devoir mettre la clé sous la porte incessamment sous peu.

La société prime sur le business

Est-ce que tout fermer était une bonne décision ?
On peut se poser la question, mais il est encore trop tôt pour y répondre. On pourra peut-être faire une analyse critique de la situation dans une génération. Ce qui est sûr, c’est que mes associés et moi étions tout à fait d’accord avec cette décision. Nous savions ce que nous pouvions perdre et nous étions prêts à le perdre pour le bien de la santé publique. La société prime sur le business. C’est une conviction profonde.
Je pense être un peu sorti du guet en demandant la réouverture et en disant que le secteur était prêt pour cela. Il y a un moment en tant que société où il ne faut pas tomber dans la peur et où, au vu des indicateurs, il faut essayer, quitte à rester plus longtemps dans un round d’observation avant d’assouplir les règles.

Y a-t-il eu des débordements ce week-end ?
J’étais assez dubitatif, mais cela c’est très bien passé d’une manière générale. De plus, nous savons que nous avons une responsabilité envers la profession. Nous ne voulons pas être le mouton noir qui jettera l’opprobre sur le reste des acteurs. Moi, je ne veux pas être responsable d’une mauvaise image qui sera donnée à l’ensemble de la profession. Je ne pense pas que nous soyons dans une dynamique où les cafés pourraient refermer, mais il faut penser que cela pourrait être le cas et rester ferme. Sans rigueur, il n’y a ni discipline ni respect.
Les règles sont plus faciles à faire respecter dans un établissement de restauration qu’à la Kinnekswiss ou sur le parvis des Trois Glands où les gens sont les uns sur les autres avec des dizaines de bouteilles de bière qu’ils laissent traîner derrière eux. C’est une catastrophe! Les Trois Glands sont le domaine de l’État, pas de la Ville. Pourtant, ils devraient se concerter pour envoyer la police. Nous respectons des règles du jeu qui dès qu’on sort des terrasses ne sont plus valables. C’est extraordinaire, ces différences de traitement entre l’espace public et les espaces commerciaux.

Entretien avec Sophie Kieffer