La surface des mares au Grand-Duché a diminué de plus de 80 %. Un projet mené par natur&ëmwelt vise à redensifier le réseau de cet habitat indispensable pour de nombreuses espèces.
Il y a quelques semaines, juste avant les premières pluies, deux plans d’eau ont été creusés dans la zone humide du Dumontshaff, dans la vallée de l’Alzette. Deux mares d’une faible profondeur destinées à offrir un pied-à-terre aux oiseaux migrateurs qui peuvent désormais s’y arrêter pour se désaltérer et se nourrir, mais aussi à procurer un nouvel habitat aux insectes et batraciens menacés de disparition au sein de cette zone qui fait partie du réseau Natura 2 000.
Une quinzaine de plans d’eau de ce type ont vu le jour grâce à natur&ëmwelt Fondation Hëllef fir d’Natur depuis le lancement en 2018 du projet de création de 50 mares en cinq ans, dans le cadre du plan national concernant la protection de la nature défini par le ministère du Développement durable.
Forte urbanisation
Le Luxembourg a en effet perdu en quelques décennies plus de 80 % de la surface de ses mares. Comme bien souvent, l’homme est le principal responsable de ces modifications du paysage grand-ducal. «Jusqu’au début du XXe siècle, les eaux stagnantes étaient très fréquentes dans le milieu agricole où elles servaient par exemple d’abreuvoir pour le bétail ou de réservoir d’eau en cas d’incendie. Avec l’installation de réseaux de distribution d’eau, l’eau des mares n’était plus utilisée et à défaut de leur entretien, elles ont progressivement disparu par succession naturelle ou ont été supprimées par remblayage, pour urbaniser ou mieux cultiver un terrain», explique Alexandra Arendt, biologiste spécialisée en milieux aquatiques en charge du projet de création de mares.
Le problème, c’est que la disparition de ces mares risque d’entraîner avec elle celle de nombreuses espèces qui dépendent de cet habitat. Notamment les batraciens, qui éprouvent en outre de plus en plus de difficultés à se mélanger les uns aux autres en raison de la construction des routes. «Rares sont les espèces comme la reinette arboricole qui peuvent migrer jusqu’à cinq kilomètres. Le plus souvent, les batraciens ont besoin d’un réseau de mares relativement dense», signale Alexandra Arendt. «L’idéal est une distance maximale de 500 mètres entre les mares.»
Différents types de mares
Cependant, créer une mare n’est pas chose aisée : entre l’analyse topographique, celle du biotope et les démarches administratives, il ne s’agit pas de simplement creuser un trou, loin de là.
«J’essaie de créer un maximum de mares possédant différents aspects, tant au niveau de la taille et de la profondeur que du caractère : une avec du roseau sur les berges, une autre au bord d’une forêt, une autre encore en verger…», explique la responsable du projet de création.
La pente et l’exposition sont autant de facteurs qui vont définir quelles espèces vont venir s’y installer. «Je vise généralement les terrains qui se trouvent en plaine alluviale : la nappe phréatique y est relativement proche. Je fais alors de la prospection de terrain : je vais sur le site et je regarde le type de biotope qu’il y a», détaille Alexandra Arendt. Elle consulte ensuite le site Geoportail.lu pour voir s’il existe déjà d’autres biotopes au même endroit : «Il faut éviter de remplacer l’un par l’autre! J’essaie d’être complémentaire.»
Dernières vérifications : lorsque le site est choisi, la biologiste s’y rend une nouvelle fois en hiver, lorsqu’il a plu, afin de constater le niveau d’eau, ainsi qu’en été, quand il fait sec, pour voir comment ce niveau évolue pendant la saison chaude. «À partir de la localisation du site et de la végétation qui y pousse, je peux conclure si l’eau va rester ou non», explique-t-elle.
La biologiste présente ensuite le projet au ministère du Développement durable et à un comité scientifique. Si l’accord est donné, il faut alors obtenir les autorisations administratives, au nombre de quatre pour une mare. «Je dois aussi prendre contact avec les locataires et bailleurs de nos terrains. Certains sont d’accord, d’autres non, et dans ce cas il faut négocier. On est un acteur dans un milieu où il y a beaucoup d’acteurs et il faut les accords de tous.»
Natur&ëmwelt prospecte au maximum sur ses propres terrains, souvent issus des donations de particuliers, qui représentent environ 1 500 ha. Lorsque des personnes privées proposent de créer une mare sur leur terrain, une convention est signée avec les propriétaires pour qu’ils conservent ce biotope financé par l’État pour au moins trente ans.
Environ 2 500 mares au Luxembourg
En fonction de la météo, les mares sont creusées entre juin et octobre. La plupart mesurent entre 20 et 30 mètres ou entre 30 et 40 mètres. «J’en ai aménagé une qui fait presque un demi hectare, mais cela reste une exception», fait savoir Alexandra Arendt, ajoutant «généralement, plus c’est grand, mieux c’est».
Un facteur surprenant mais limitatif entre en jeu concernant la taille de la mare : le coût du remblai. «Le Luxembourg possède peu de décharges, et cela coûte très cher. Si les paysans acceptent la terre pour leur champ agricole, cela fait moins de frais de transport.»
Quant aux profondeurs, elles sont toujours variables. Mais Alexandra Arendt essaie autant que faire se peut d’aménager des pentes douces afin de connecter le plan d’eau ouvert avec le milieu ambiant, de sorte qu’il y ait une forme de progression entre les zones sèches et les zones humides, et donc une progression au niveau des plantes qui s’y installent.
Car c’est ensuite à la nature de reprendre ses droits. Natur&ëmwelt gèrera seulement parfois le fauchage ou le déboisage pour assurer que le plan d’eau reste bien ouvert, plus d’ombrage pouvant signifier moins d’espèces dans la mare à terme. Parfois, lorsque la mare créée se trouve dans un pré au milieu d’un cheptel important, celle-ci sera aussi clôturée, afin d’éviter que les berges ne soient piétinées par le bétail ou que des excréments se retrouvent dans l’eau.
Natur&ëmwelt gère actuellement environ 120 mares sur les 2 500 que compte le Luxembourg. L’objectif du projet national concernant la protection de la nature était d’augmenter les plans d’eau de 1 000 mares. «50 c’est peu, mais c’est déjà ça», concède Alexandra Arendt. «Quand on prospecte les mares créées, on constate rapidement la présence d’espèces. Le crapaud commun et la grenouille rousse sont les deux espèces qui reviennent généralement assez vite, et on peut voir des libellules voler au-dessus. C’est déjà un petit succès, car même si ces espèces sont moins rares, cela peut présager que les autres vont suivre.»
Tatiana Salvan
Les mares sont des eaux stagnantes de surface relativement réduite, de moins de 10 ares, et d’une profondeur ne dépassant généralement pas un mètre, explique natur&ëmwelt. Comparées à leur volume d’eau réduit, elles sont souvent très riches en espèces, mais il n’y a généralement pas de poissons car l’une des caractéristiques des mares est que celles-ci peuvent tomber à sec en été, contrairement à un étang, où l’eau est présente toute l’année. Les mares sont en effet alimentées uniquement via l’eau de pluie ou une nappe phréatique, et ne sont jamais connectées directement à un cours d’eau.