Les terrasses poussent entre les chantiers sur la place Guillaume-II. La plupart devraient ouvrir cette fin de semaine pour profiter d’une accalmie de travaux prévue jusqu’en septembre.
Il est 12h15. Si des mesures sanitaires n’étaient pas en vigueur, on se bousculerait presque pour décrocher une place en terrasse dans le centre-ville de Luxembourg. Trente minutes plus tôt, il y avait encore l’embarras du choix place d’Armes, rue du Marché-aux-herbes ou place Guillaume-II. Employés de bureau, retraités, hommes d’affaires et anciens ministres sont attablés au soleil, lunettes noires sur le nez, et savourent leur pause de midi.
Une bouffée d’oxygène possible depuis le mercredi 7 avril pour les citoyens et les restaurateurs ou cafetiers pouvant se permettre une ouverture à cette date. Nombreux étaient alors ceux qui préféraient garder porte close ou attendre des températures plus clémentes pour ne pas exposer leur clientèle à la pluie ou à la neige. Et puis, il y avait les restaurateurs de la place Guillaume-II qui ne pouvaient pas ouvrir en raison des travaux de rénovation du Knuedler qui empiétaient sur leur espace de terrasse.
Montrer que nous sommes encore là malgré tout
La Brasserie Guillaume et Kaempff-Kohler avaient sorti des tables et des chaises dès samedi dernier au milieu des stigmates de chantier pour le plus grand plaisir des citadins qui ne se sont pas fait prier pour s’y installer. Les autres établissements du Knuedler ont annoncé leur ouverture pour demain et après-demain, alors que s’achèvera la phase de travaux préliminaires. Des travaux qui devraient reprendre à la fin du mois d’août. En attendant, qui veut prendre un café en terrasse face à l’hôtel de ville devra emporter un porte-voix ou des boules Quies.
«Notre terrasse n’ouvre officiellement que vendredi étant donné les travaux, mais actuellement nous vendons des boissons et des fruits de mer, annonce Marjorie, responsable de la Brasserie Guillaume. Nous servirons toute notre carte à ce moment-là. Actuellement, nous voulons montrer que nous sommes encore là malgré tout.» En dépit du bruit, les clients sont au rendez-vous. «Ils nous restent fidèles et n’ont pas hésité à nous soutenir après la fermeture d’un an et demi due à l’incendie qui a touché la brasserie, poursuit-elle. Nous avons énormément de réservations et nous sommes contents de retravailler. Le temps devenait long et cela fait du bien de retrouver un peu de normalité.»
De l’autre côté du passage couvert, chez Kaempff-Kohler, la terrasse est sortie, mais contrairement à samedi, on n’y sert rien. «Nous avons décidé de ne pas ouvrir la terrasse lundi et mardi après avoir consulté les prévisions météorologiques. Il faut croire qu’elles n’étaient pas fiables, lance Guill Kaempff, pince-sans-rire. Mais jeudi, nous ouvrons la terrasse qu’il pleuve ou qu’il vente. Il a fait très froid ces dernières semaines. Ce n’était pas un temps à traîner en terrasse.» Le traiteur compte bien profiter du retour du beau temps et de la mesure du gouvernement. «Il faut montrer aux clients que nous sommes présents et que nous pouvons les accueillir. Le télétravail a éloigné une partie des visiteurs du centre-ville. Nous attendons un revirement de la situation, un retour progressif à la normale», note le président de l’Union commerciale de la Ville de Luxembourg (UCVL). Il faut aussi espérer que les touristes reviendront en ville cet été. Cela prendra sans doute plus de temps que pour reconquérir nos clients habituels. Le week-end dernier, plus des deux tiers des clients étaient issus de la Grande Région.» Le mois prochain, l’UCVL va lancer une campagne et des animations sur les réseaux sociaux pour attirer les visiteurs luxembourgeois et étrangers dans la capitale.
Le commerce, l’ADN du centre-ville
L’attractivité et les qualités de Luxembourg, ville où il fait encore bon vivre et se promener, doivent être mises en avant pour attirer touristes, voisins de la Grande Région et Luxembourgeois eux-mêmes dans les commerces de son centre-ville. Une attractivité qu’il convient de protéger à tout prix et qui est en partie due aux commerces, selon Gabriel Boisante, commerçant et conseiller communal socialiste. «Le commerce est l’ADN du centre-ville», affirme-t-il. Un acteur qui saute crée un appel d’air, une impression de vide nocive à l’attractivité.» Actuellement, 20% des commerces du centre-ville sont vides, 35% dans le quartier Gare. La pandémie, un accès difficile et les chantiers l’affaiblissent.
«J’ai les marteaux-piqueurs à trois mètres de ma terrasse de 10h à 15h30 avec 20 minutes de pause à midi», note le fondateur et directeur du restaurant Bazaar. Un bruit continu qui a un impact sur la fréquentation de la terrasse ouverte depuis le 7 avril. «Nous avons conscience de la nécessité des travaux réalisés actuellement. La commune a établi un planning pour nous permettre de profiter un maximum des terrasses pendant la belle saison, mais pour éviter les temps de latence, ils doivent travailler autour.» Donc, tout cet été, il y aura du bruit dans cette zone du centre-ville.
Gabriel Boisante tempère : «Il y a du bruit depuis au moins six ans. Nous ressentons les vibrations des travaux dans la salle du Bazaar depuis deux ans. Certaines personnes le supportent et d’autres n’ont pas envie de venir à cause de ça. Nous avons eu de nombreuses réservations depuis l’ouverture. On a beaucoup manqué aux gens.» Il se montre cependant reconnaissant que les terrasses n’aient pas été supprimées par la Ville pendant la période commerciale de mai à septembre comme elle aurait pu le faire en cas de travaux d’infrastructures profitant à la communauté et qu’elle ait renoncé à sa taxe terrasses pour la deuxième année consécutive.
Les commerçants sont prêts à encaisser à condition que cela aille vite
Les commerçants vont devoir serrer les dents pendant quelque temps. Le chantier doit encore durer trois ans. Les commerçants de la place regrettent sa durée et rêvent de rapidité d’exécution. «Comment font les commerçants pour survivre quand les chantiers rendent impossible le déchargement d’une camionnette de livraison ? Il y a eu des incohérences en matière de gestion des travaux sur à peu près toutes les grandes places de la ville», témoigne Gabriel Boisante. Les camions de livraison qui font la file pour se garer sur le chantier devant notre terrasse. On doit leur demander de ne pas laisser le moteur tourner et déverser les gaz d’échappement sur les gens. Les commerçants sont prêts à encaisser à condition que cela aille vite.»
L’UCVL devrait, selon lui, être armée davantage pour devenir un organe de soutien et de protection du commerce, plus qu’un organe de communication. «Elle devrait être intégrée dans la planification des grands travaux pour éviter les dommages collatéraux, estime-t-il. «On ne sauvera pas la ville en faisant des pop-up et des zones mixtes.»
En attendant, de grandes et belles terrasses et du personnel motivé par ce retour au travail attendent les clients sur la place Guillaume-II en espérant que l’envie d’être ensemble et de se retrouver éclipsera les éventuels désagréments sonores ou météorologiques.
Sophie Kieffer