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Luxembourg : le Grund panse ses plaies


Il faudra encore un peu de temps pour enlever du Grund les stigmates des intempéries. (photo Fabrizio Pizzolante)

Trente-six heures après la crue historique qui a noyé le quartier, tout le monde était à pied d’œuvre vendredi matin pour redonner ses couleurs à ce lieu emblématique de la capitale.

D’ordinaire si paisible, c’est dans le marasme que se réveille le Grund ce vendredi matin, au son des camions-bennes, des pelles mécaniques et des engins de nettoyage qui vont et viennent rue Saint-Ulric et rue Münster.

FLORENCE, DOUBLEMENT SINISTRÉE

Emmitouflée dans un k-way trop grand, Florence déroule une rallonge électrique d’une maison à une autre : «Mon père, ma sœur et moi habitons tous cette rue et ma sœur est la seule à avoir de l’électricité donc je me branche chez elle», explique-t-elle, ses yeux bleus marqués par la fatigue et les larmes. Mercredi soir, elle avoue avoir été terrifiée : «Quand l’eau est entrée par les fenêtres, j’étais sidérée, je ne pouvais plus penser», confie cette artiste, doublement sinistrée puisque son domicile et son atelier de sculpture ont été touchés. «L’eau a submergé le sous-sol et est montée jusqu’à 80 cm au rez-de-chaussée, mais le pire, c’est toute cette boue», se désole celle qui habite le quartier depuis 37 ans.

Du mobilier mis à la benne à Neimënster. Photo : christelle brucker

LE SERVICE HYGIÈNE EN RENFORT

Alors que ses voisins entassent petit à petit leurs meubles et objets personnels irrécupérables sur le trottoir, des agents du service d’hygiène sont venus prêter main-forte : «C’est le chaos», constate l’un d’eux en soupirant. «On aide les gens comme on peut, on sort tout ce qui est foutu et on débarrasse», dit-il en saisissant une commode et en la balançant sous la presse de la benne à ordures.

Mehdad a perdu sa collection de documents d'art. Photo : christelle brucker

MEHDAD PLEURE SES SOUVENIRS

L’air un peu absent, Mehdad, qui n’était pas chez lui mercredi soir, descend dans sa cave et mesure les dégâts : l’eau a quasiment atteint le plafond voûté et tout a été charrié aux quatre coins de la pièce. Le cœur de ce juriste se brise lorsqu’il réalise qu’une collection d’archives familiales est perdue : «Mes parents étaient galeristes», raconte-t-il, en soulevant les pages détrempées d’imposants volumes. «Ce sont des catalogues des premières ventes impressionnistes à Paris dans les années 1920, des gravures, des tableaux, tout est fichu. Je tenais beaucoup à ces souvenirs», chuchote-t-il alors que l’entreprise de nettoyage à laquelle il a fait appel en urgence emporte tout.

Angèle appelle son fils depuis sa cuisine en partie nettoyée. Photo : christelle brucker

EN 50 ANS, ANGÈLE N’AVAIT JAMAIS VU ÇA

Figure incontournable de ce quartier qu’elle a contribué à façonner en s’engageant dans de nombreuses associations, Angèle n’en revient toujours pas : «L’eau est montée à une vitesse folle ! En 20 minutes, ma cuisine était noyée sous 50 cm. Je n’ai pas eu peur, mais je me suis sentie seule et impuissante», décrit-elle, alors que ses enfants, en vacances à l’étranger, rentreront plus vite que prévu. «Je suis au Grund depuis 1971 et je n’avais jamais vu ça», affirme la couturière qui a tenu pendant des années un petit atelier de retouches. Pour autant, elle ne se laisse pas abattre : «Hier, j’étais à bout, mais aujourd’hui je sens que j’ai le courage de surmonter ça.»

Emmanuel sonde le pont à l'aide d'une perche et d'une caméra. Photo : christelle brucker

UN INGÉNIEUR INSPECTE LE PONT

À l’aide d’une longue perche équipée d’une caméra, Emmanuel, ingénieur en ouvrage d’art, inspecte le pont qui enjambe l’Alzette à la demande de la Ville : «J’ai le retour image sur mon smartphone et je vérifie qu’il n’y a pas de fissures ou d’évolution par rapport aux défauts déjà observés lors de précédents contrôles», précise le professionnel, qui a observé la veille un phénomène d’aspiration appelé vortex qui peut provoquer de lourds dégâts. Bonne nouvelle, rien d’alarmant à ce stade, alors que la rivière, toujours agitée, n’atteint plus le niveau des arches.

Au Kamakura, l'eau est montée à plus de 1,20 m. Le Mosconi n’est pas épargné. Photo : christelle brucker

LES POMPIERS INSTALLENT DES POMPES

Le camion des pompiers barre le passage de la rue Münster. Sunarak, pompier volontaire mobilisé depuis mercredi, charge deux imposants tuyaux sur ses épaules pour une intervention au restaurant Mosconi. «Nous installons des pompes pour vider les caves maintenant que la décrue est amorcée. On essaye de sauvegarder le plus de biens, mais c’est difficile», reconnaît le jeune homme qui s’est retrouvé face à des habitants paniqués mercredi soir : «Ils étaient sous le choc. Certains nous ont même pris à partie estimant qu’on n’agissait pas assez vite, ce qui est une réaction normale face à la peur», note-t-il, en s’engouffrant dans la salle de restaurant.

En face, le Kamakura, dont la salle se trouve au même niveau que la rue, est totalement dévasté : l’eau et la boue ont envahi tout le restaurant à plus de 1,20 m de hauteur, jusqu’au milieu des fenêtres! Un coup très dur après des mois de crise sanitaire.

À Neimënster, le personnel lave et rince sans relâche. Photo : christelle brucker

À NEIMËNSTER, LE PIRE A ÉTÉ ÉVITÉ

Au fond de la rue Münster, le centre culturel Neimënster accuse le coup. Des dizaines de collaborateurs s’affairent pour balayer, laver, essuyer et aspirer. La directrice, Ainhoa Achutegui, a du mal à réaliser : «On n’a pas encore fait un point complet des dégâts, mais on a pu sauver beaucoup d’œuvres et le système électrique ainsi que l’informatique fonctionnent», annonce-t-elle, soulagée, alors que la cour du bâtiment s’est retrouvée immergée à hauteur de 60 cm, tout comme l’atelier. «On venait juste de sortir la plupart des œuvres entreposées ici en vue d’une prochaine exposition donc on a vraiment évité le pire», sourit-elle.

FOSSILES ET MINÉRAUX SUR LES PAVÉS

Non loin de la porte d’entrée de l’abbaye, des dizaines de caisses débordant de minéraux et de fossiles jonchent les pavés : les équipes du natur musée les sortent une à une d’un grand garage. «Le musée est un peu plus élevé par rapport à la rue, mais ici on a subi des dégâts. C’est là qu’on prépare les échantillons pour les expositions. Heureusement, peu de spécimens sont abîmés, c’est plutôt du matériel qu’on a perdu», explique Ben, conservateur de la paléontologie, qui dirige les opérations de nettoyage ce matin.

Le service voirie colmate les joints des pavés. Photo : christelle brucker

LE SERVICE VOIRIE DÉPLOYÉ SUR LE PONT

Sur le pont de la rue Münster, un gros camion déverse des graviers sur la chaussée tandis qu’une dizaine d’agents communaux armés de balais-brosses et de pelles les répartissent d’un bout à l’autre : «Les pavés ont été fragilisés par la crue. Il n’y a plus de joint donc on colmate les interstices pour tout stabiliser», détaille l’un d’eux.

Les prochaines semaines s’annoncent épuisantes pour tous ceux qui peuplent ce quartier à l’allure de petit village, mais pour surmonter cette épreuve, ils peuvent compter sur la solidarité et la générosité qui ont toujours habité ces ruelles.

Christelle Brucker