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Luxembourg : le chant du cygne des écoles de danse


Pas d’autre choix que d’enseigner via Zoom pour Renée Niro qui a vu l’effectif de son groupe «acrobatie» fondre de moitié.

Soumises à des mesures plus restrictives que les conservatoires, les écoles de danse privées implorent le gouvernement de réagir alors que des drames humains se jouent en coulisse.

Trente mètres carrés par élève. Voilà la condition imposée par le gouvernement aux écoles de danse privées pour pouvoir donner un cours en salle. Une exigence en forme de condamnation, puisque la taille d’un studio de danse dépasse rarement 150 m2, soit de quoi accueillir cinq élèves. Impossible, dans ces circonstances, de maintenir une activité économique viable pour ces entreprises indépendantes en lutte pour leur survie.

Sans compter que les cours donnés au Conservatoire ne sont pas soumis à ces restrictions : un espace de 10 m2 par élève est jugé suffisant. Un «deux poids, deux mesures» qui pousse aujourd’hui une dizaine d’écoles de danse – les plus vulnérables parmi les 21 du pays – à adresser une ultime requête au gouvernement.

«Nous demandons de pouvoir exercer dans les mêmes conditions que les conservatoires. Ni plus ni moins. On fait le même métier», s’agace Hélène Van den Kerchove, à la tête de l’école Helen’s Dance à Luxembourg. Pour elle, le critère des 30 m2 est incompréhensible. Pire, il instaure une concurrence déloyale, les parents d’élèves préférant inscrire leur enfant là où ils pourront suivre les cours en présentiel.

Un sentiment partagé par Li Marteling, la directrice de l’école de danse du même nom à Luxembourg: «C’est catastrophique. Nous sommes en train de perdre tous nos élèves», déplore-t-elle. «J’ai fondé mon école il y a plus de 40 ans et je suis spectatrice de son effondrement. Si on ne peut pas bénéficier des mêmes règles que les conservatoires pour rouvrir nos écoles, on n’existera plus en septembre», tranche-t-elle.

Sa collègue Renée Niro confirme : si cette professeure de danse, dont l’école est installée à Schouweiler, a pu s’en sortir jusqu’ici, c’est uniquement parce qu’elle a puisé dans ses économies personnelles. «La moitié des enfants sont partis. Les fonds investis pour les galas de 2020 puis 2021 sont perdus. J’ai des salaires à payer, des cotisations sociales, la TVA, les impôts, etc. J’ai obtenu une aide de 4 000 euros accordée aux indépendants l’an dernier, mais ça ne suffit pas.»

«Si on ne nous entend pas,
ce sera la fin»

Au cœur du problème : déterminer quelles restrictions sanitaires doivent s’appliquer aux écoles de danse privées. Les mêmes que dans les établissements scolaires, édictées par le ministère de l’Éducation nationale? Celles des entreprises indépendantes, délivrées par le ministère des Classes moyennes? Ou encore celles en vigueur dans les clubs de football, fixées par le ministère des Sports? Il semble que le gouvernement peine sur cette question : «Au mois de septembre, on a repris nos cours en respectant des mesures très strictes : cinq à dix élèves maximum, masque obligatoire, distanciation de deux mètres, désinfection et aération des locaux, vestiaires fermés, etc. On a eu l’espoir de pouvoir poursuivre comme ça», explique Marie-Laure Neiseler, présidente de la Confédération de danse du Luxembourg et directrice de l’école Danse Elancé à Schifflange.

Et puis, fin novembre, le couperet tombe : «De nouvelles mesures, encore plus drastiques, nous ont été imposées, dont la fameuse règle des 30 m2 par élève. On a multiplié les demandes, les recours détaillant notre façon de fonctionner, les précautions qu’on prenait. Sans résultat.» Le gouvernement considère que les écoles de danse relèvent de «l’activité» physique, donc du ministère des Sports, et non de «l’éducation» physique, comme les conservatoires, qui dépendent, eux, du ministère de l’Éducation nationale. Une subtilité aux conséquences dramatiques pour les professionnels du secteur.

«Aujourd’hui, on propose un concept global avec toute une série de garanties, dont l’utilisation de tests rapides pour les professeurs : nous en avons acheté 2 500. Si le gouvernement ne nous entend pas cette fois, ce sera la fin pour de nombreuses écoles.» 

Christelle Brucker

«Elle s’est effondrée, après un an de lutte»

Quand on a contacté son école de danse, ce n’est pas elle, la directrice, qui a répondu, mais Jessica. «Pardon, mais la gérante est en convalescence. Pour épuisement. Je suis sa meilleure amie, j’ai pris le relais.»

Jessica raconte combien ces derniers mois ont été angoissants pour son amie d’enfance, passionnée de danse depuis toujours, à la tête de sa propre école depuis 15 ans. Les problèmes financiers, les restrictions sanitaires toujours plus dures et les projets abandonnés ont eu raison des forces de cette jeune femme «d’une nature forte et combative», souligne Jessica. «Aujourd’hui, elle est à bout.»

Avec la peur au ventre de devoir fermer, elle s’est conformée à toutes les règles, a réorganisé tous ses cours, investi dans du matériel pour continuer sur Zoom, mis tout en œuvre pour sauver son école.

Cela n’a pas empêché la perte de plus d’un tiers de ses élèves. «Les rentrées d’argent ont chuté. L’avenir incertain lui cause beaucoup d’anxiété, tout comme le fait de ne pas être logée à la même enseigne que les conservatoires. Elle ressent une grande injustice.» Signataire de l’appel lancé au gouvernement, tout ce qu’elle attend, c’est un feu vert. «Ce serait un soulagement», conclut Jessica.