Il est LE fournisseur national de pommes de terre de La Provençale, avec lesquelles est fabriquée toute la gamme Lëtz. Il est aussi le premier producteur de patates du pays : portrait de Marc Nicolay.
Dans les champs couverts de brume du côté de Troisvierges, au nord du pays, les arracheuses de pommes de terre font des va-et-vient incessants. Nous sommes sur l’une des terres du plus grand producteur de pommes de terre du pays, Marc Nicolay, et il ne lui reste que quelques jours pour ramasser les derniers tubercules.
À bord de son tracteur ultramoderne équipé d’un ordinateur et de caméras, le cultivateur veille au grain. Il doit avoir les yeux partout : devant lui pour conduire l’engin, derrière pour s’assurer que l’arracheuse s’engouffre bien dans les sillons et sur l’écran de contrôle pour vérifier que les bénévoles parviennent à trier les tubercules au rythme de la machine qui les déroule sur un tapis avant que les pommes de terre n’atterrissent dans la benne prévue à cet effet.
Car Marc Nicolay tient à conserver une aide humaine pour récolter ses pommes de terre. Ils sont une douzaine à lui donner un coup de main, des retraités pour la plupart, qui apprécient de se sentir utiles et qui savourent l’ambiance, surtout au temps du repas de midi, en toute convivialité, dans la petite cabane qui jouxte le champ de Marc Nicolay.
«À l’étranger, il existe des automotrices et il n’y a plus personne sur la machine, excepté le conducteur. Je ne veux pas de cela : pour faire de la qualité et approvisionner le marché du frais, il faut de la main-d’œuvre. Parce que dans un sachet au supermarché, sur 15 pommes de terre, il peut y en avoir quatre qui sont tachées ou abîmées. Le consommateur est exigeant, à un moment donné, il n’achète plus si ça ne lui convient pas. Il faut que le produit soit bon sur le plan gustatif, mais son aspect extérieur compte aussi.»
L’année a été bonne, même si la récolte est un peu tardive, du fait de la pluie persistante cet été et du manque de soleil. Mais les pommes de terre, ici des Regina, ne contiennent pas trop d’eau et devraient donc bien se conserver.
«L’an passé, les récoltes étaient médiocres, car il a fait trop sec. Cette année, vu qu’on a eu assez de pluie, les rendements sont supérieurs à la moyenne : 20 % de plus environ», se réjouit le cultivateur. Il faut dire qu’en plus, à cet endroit, la terre est idéale pour planter des pommes de terre : c’est du schiste, une pierre qui absorbe énormément d’eau. «La terre est comme du gros sable : elle est humide, mais ne colle pas.»
Un partenariat avec La Provençale
Cela fait vingt ans que Marc Nicolay s’occupe de pommes de terre et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il en connaît un rayon. Bien que fils d’agriculteurs, il n’était pas nécessairement voué à s’engager dans la pomme de terre.
«À Fingig, nous avons une ferme classique luxembourgeoise, mixte, avec un cheptel de vaches laitières et de vaches allaitantes, des charolaises, pour faire de la viande. Mais quand on est jeune, on a envie de faire plus!»
La famille a toujours cultivé un ou deux ares de pommes de terre pour ses propres besoins et ceux de ses proches. Mais en 1998, les Nicolay se sont retrouvés avec un excédent de 200 kg. «J’ai proposé à quelques voisins d’en acheter, qui m’ont ensuite demandé d’en cultiver pour eux l’année suivante. C’est comme ça que l’idée est née!», se remémore Marc Nicolay.
Le bouche-à-oreille fait son effet et le colportage prend de l’ampleur. Aujourd’hui, pas moins de 25 hectares sont entièrement dédiés à cette clientèle privée. Il est loin le temps où il triait et mettait en sac, aidé de sa sœur, les quelques dizaines de kilos de pommes de terre en trop. «On distribue désormais 20 000 flyers dans les boîtes aux lettres au début de la saison !»
Surtout, entre-temps, La Provençale a eu vent de ce producteur toujours prêt à relever des défis. Marc Nicolay croise l’un des trois actionnaires de La Provençale, Georges Eischen, dans une foire en 2011. Le contact est bon, aussi le cultivateur accepte-t-il un partenariat avec le grossiste.
Il investit rapidement dans une station de lavage de pommes de terre pour pouvoir proposer plus de volume. «Comme je n’avais à ce moment que les 15 hectares de pommes de terre destinés à mon marché local, je ne lavais pas les pommes de terre, je les brossais seulement à la main avant de les mettre dans des sacs. Mais la majeure partie des pommes de terre que vend La Provençale sont déjà lavées. Je n’avais donc pas le choix : je devais investir si je voulais étendre le marché. D’un point de vue agronomique, c’est un non-sens. La terre protège la pomme de terre. Mais le client est roi ! Et si le client veut une pomme de terre propre et que je ne m’organise pas pour la lui offrir, il va ailleurs !»
Se démarquer des autres pays voisins
Dès lors, les volumes décollent. Et les idées fleurissent les unes après les autres pour proposer davantage de «Made in Luxembourg». La frite surgelée d’abord, que Marc Nicolay envisage un temps de fabriquer lui-même.
Une étape vite abandonnée face aux coûts induits pour le si petit marché qu’est le Luxembourg. C’est donc un fabricant belge qui assure la transformation de ses pommes de terre.
Lëtz frites est née! «La première année, nous avons produit une seule gamme : la frite de 10 mm. Au bout de 12 mois, elle avait une certaine renommée. On a alors ajouté un deuxième produit dès 2016 : la frite de 7 mm, l’allumette. La 10 mm est toujours la référence qui marche le mieux au Luxembourg, mais la 7 mm prend de plus en plus de volume : ce sont les générations qui connaissent la frite McDo !»
Suivront tour à tour : des wedges, de la purée surgelée, des pommes de terre crues déjà épluchées pour les collectivités et les restaurants, des frites fraîches crues, de la purée fraîche, sans oublier les Lëtz chips, au goût unique.
Tout ce qu’il touche se transforme donc en or ? «On ne réinvente pas la roue, commente modestement Marc Nicolay. On vend des produits équivalents, mais qui sont faits à base de pommes de terre luxembourgeoises. C’est un gain pour moi et un gain supplémentaire pour La Provençale, qui peut ainsi se démarquer de la concurrence française, belge ou néerlandaise, présente sur le marché, mais qui ne propose pas de produits luxembourgeois.»
Culture «raisonnée»
Aujourd’hui, Marc Nicolay, âgé de 45 ans, cultive 23 variétés différentes de pommes de terre. Il extrait environ 6 000 tonnes de pommes de terre par an, dont quelque 4 000 tonnes pour La Provençale. Les deux ares sont devenus 150 hectares, dont 100 pour la seule Provençale.
Il assure ne pas faire de culture intensive. «Je fais de la culture raisonnée. Le conflit entre la production bio et celle non bio est pervers. Beaucoup de consommateurs pensent que l’agriculteur bio ne traite pas, ce qui est faux. Je fais confiance aux scientifiques et aux produits modernes. J’utilise le minimum. Je ne veux pas polluer la nature, c’est mon capital.»
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Qu’envisage-t-il pour la suite ? Pour sûr, pas la vodka, distillée à base de pommes de terre! Il a «déjà essayé de produire de la goutte il y a quelques années, et ce n’était vraiment pas bon!». L’agriculteur confie par contre avoir commencé à cultiver des plants, qu’il vend au Grand-Duché ou à l’étranger (y compris aux Émirats!), et s’apprête à se lancer dans la culture de la betterave sucrière.
«Ma mère, qui n’adore que les vaches laitières, ne comprend pas d’où me vient ma passion pour les pommes de terre. Moi non plus d’ailleurs ! Mais c’est ça qui me plaît. Chacun doit trouver son chemin. Faire un métier qu’on nous a imposé, ça rend malade. J’ai aussi du stress, mais il est positif. Pendant la période d’arrachage, je ne dors que quatre à cinq heures par nuit, mais le matin, je sais pourquoi je me lève. Je vois le résultat, je gagne ma vie avec ça et je rencontre régulièrement des gens qui me disent : on a acheté tes frites, ça nous plaît. Ces mots positifs me poussent.»
À chair ferme ou farineuse?
Il existe des milliers de variétés de pommes de terre à travers le monde, cultivées ou sauvages. Mais on les distingue selon deux grandes catégories : à chair ferme ou à chair farineuse.
«La différence se situe au niveau de la teneur en amidon dans les tubercules», explique Marc Nicolay. «Une pomme de terre est constituée de 75 à 80 % d’eau, le reste, c’est essentiellement de l’amidon. Les pommes de terre à chair ferme, parfaites pour la cuisson à l’eau ou à la vapeur, doivent contenir maximum 22 % de matière sèche. Celles à chair farineuse, idéales en frites ou en purée, doivent en contenir entre 22 et 24 %. On peut faire une frite avec une pomme de terre à chair ferme, mais la frite ne restera pas dure.»
Les variétés idéales pour les pommes vapeur : Regina, Amandine, Charlotte, Annabelle, Nicola, Belle de Fontenay…
Les variétés parfaites pour faire des frites : Bintje, Victoria, Donata, Marabel, Red Fantaisy…
Tatiana Salvan
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