Leur métier risque de disparaître si la pandémie perdure. 2020 aura été une année sans aucun revenu. Jérôme Zellweger, vice-président de la Fédération nationale des commerçants forains, dresse un état des lieux cauchemardesque pour ce métier, qui d’ordinaire, vend du rêve.
Les forains ont été privés de kermesses, de Schueberfouer et de marché de Noël. Ils n’ont pas travaillé de l’année. Comment se portent-ils ?
Jérôme Zellweger : Les forains ne vont pas bien. Certains ont des difficultés à rembourser les prêts engagés pour acheter leurs métiers (attractions, stands ou restaurants) ou ont rénové ceux qu’ils possédaient déjà l’hiver passé. Ce sont des frais que les forains ont l’habitude d’engager. Mais s’ils ne travaillent pas, les échéances ne s’arrêtent pas et leur matériel reste immobilisé dans un hall ou sur un terrain vague. Cet argent jeté par la fenêtre leur aurait permis de passer l’hiver. C’est la saison où nous travaillons le moins, alors nous en profitons pour visiter des salons et dénicher des nouveautés à proposer pour la saison suivante.
Y a-t-il des familles qui souffrent plus que d’autres ? Quid des forains qui ont des petits métiers comme une pêche aux canards ?
Ces forains souffrent davantage que les forains qui proposent de la restauration et qui ont de l’argent de côté. Je me bats pour les petits forains, les trois quarts d’entre nous, ceux qui ont des pêches aux canards, des stands de tir, de petits carrousels… Ils attendent de l’aide en vain et doivent se débrouiller avec des démarches administratives compliquées. J’ai l’impression que le gouvernement aide plus les grosses entreprises que les petites ou les indépendants. S’ils n’obtiennent pas l’aide nécessaire, ils ne se relèveront pas de la crise.
Des communes me contactent pour me proposer d’accueillir des forains. Le problème est que les stands et les attractions ne sont pas équipés pour être utilisés l’hiver. Prenez une pêche aux canards ouverte au vent : l’eau risque de geler. Idem pour les systèmes hydrauliques des manèges. Nous sommes dans l’incertitude totale, nous ne savons pas quand nous allons pouvoir retravailler.
De quelles solutions disposent les forains pour passer l’hiver ?
J’ai imaginé pouvoir placer des forains dans les galeries marchandes de supermarchés. Encore faut-il que les portes soient suffisamment grandes pour leur permettre d’entrer. Les possibilités existent, comme se regrouper dans une halle, mais tant que la pandémie sera présente, tant que le public aura peur, personne ne s’y rendra.
Comme cet été, les forains engageraient des coûts pour leur marchandise et leur personnel, pour au final perdre de l’argent.
Tout à fait ! Les restaurateurs qui emploient de nombreux salariés s’en sortent grâce au fonds de relance. Un indépendant qui n’a pas de salarié ou qui emploie des étudiants lors de périodes restreintes n’y a pas droit. J’en parlerai au ministre des Classes moyennes, Lex Delles, quand nous le rencontrerons. J’ai eu une discussion avec la Chambre de commerce. Je leur ai dit ce que j’avais sur le cœur. Il faut trouver des moyens d’aider les forains qui en ont besoin. On ne cesse de m’appeler pour me demander quoi faire. Surtout les jeunes. Si la situation se poursuit l’année prochaine et que tout est annulé, il n’y aura plus de forains en 2022.
On aurait pu faire un marché de Noël
L’initiative de la Ville de Luxembourg pour vous venir en aide en remplacement de la Schueberfouer a-t-elle été efficace ?
Les forains ont été payés, mais ce n’est pas comparable à ce qu’ils peuvent gagner lors d’une Schueberfouer. C’est pour cela que nous comptions sur le marché de Noël, qui a finalement été annulé. Trop tard. Les forains avaient déjà commandé leurs marchandises et engagés des frais. On aurait pu faire un marché de Noël en laissant de côté les stands d’alimentation et de boissons. Les marchés continuent bien. Nous ne voulions plus reproduire la formule de cet été. Plus personne ne voulait participer. Certains ne sont pas rentrés dans leurs frais. Sans compter le risque qu’une telle manifestation représente. J’étais le premier à refuser. On sait d’expérience ce qui se serait passé, cela aurait été une catastrophe les week-ends. On m’avait proposé une terrasse, mais il n’y aurait pas eu assez de places assises et on ne pouvait pas faire de vente à emporter. La Ville a refusé.
Noël va être triste cette année.
Oui. J’ai déjà eu un pincement au cœur cet été quand la plaque en l’honneur de Jean L’Aveugle a été restaurée au Glacis. Mes parents, mes grands-parents… je suis la sixième génération de forains. Nous avons besoin d’aide. On nous fait remplir des papiers et des papiers que nous ne comprenons pas et nous ne trouvons pas de conseil. Les procédures administratives sont compliquées et inadaptées à notre mode de travail. Par exemple, je travaille avec des saisonniers. Ils s’inscrivent au chômage du 31 décembre au mois d’avril. Personne ne nous a dit au printemps que nous avions droit au chômage partiel. En attendant, mes employés n’ont plus droit à rien et je ne peux pas les réemployer pour leur faire profiter du chômage partiel. Certains forains auraient également pu en profiter. Ils auraient au moins eu une petite rentrée d’argent pour payer les loyers des halls de rangement, les prêts pour leurs métiers, les assurances.
Est-ce possible pour ces familles de remonter la pente dans les années à venir ?
Ce sera difficile. Ce sont des métiers où il faut beaucoup travailler pour s’en sortir, mais dans lesquels tout peut très vite s’écrouler. Les familles plus anciennes, comme la mienne, doivent aider les plus jeunes et les plus petits. Cela commence par obtenir de bons emplacements lors des kermesses. Il faudra privilégier ces forains lors des kermesses ou de la Schueberfouer aux forains étrangers qui ont peut-être des attractions plus spectaculaires. Ils ont plein de grosses foires, nous n’avons qu’une Schueberfouer. La Ville de Luxembourg est prête à nous soutenir en ce sens.
Comment les citoyens peuvent-ils vous soutenir ?
Ils peuvent privilégier les petits commerçants plutôt que les grandes chaînes. Les forains sont au bord des routes un peu partout dans le pays en ce moment. Ils peuvent s’arrêter et acheter leur marchandise. J’essaye aussi d’encourager les forains à prendre des initiatives et à relever la tête. C’est un chemin personnel. Il n’y a pas que de l’argent en jeu. Nous sommes forains au plus profond de nos êtres et nous espérons ne pas être oubliés.
Entretien avec Sophie Kieffer