Trois des quatre partis d’opposition de la capitale demandent la résiliation immédiate de la convention signée avec une entreprise de gardiennage. Elle est jugée illégale et inutile.
«Poudre de perlimpinpin», «poudre aux yeux», «populisme»… l’opposition au conseil communal de Luxembourg est remontée contre la décision du collège échevinal de louer les services d’une entreprise de gardiennage privée pour renforcer le sentiment de sécurité des habitants du quartier Gare. Lundi, lors d’une conférence de presse commune, déi gréng, le LSAP et déi Lénk ont une nouvelle fois dénoncé l’illégalité de la démarche et présenté une motion «pour une réaffirmation du monopole des autorités publiques en matière de police administrative et une approche intégrale face au problème de la toxicomanie et de ses effets», qu’ils ont déposée l’après-midi même lors d’une séance du conseil communal.
Cette entreprise est chargée, selon les termes du premier contrat signé entre la Ville et l’entreprise, «d’assurer une prévention active et lisible sur la voie publique», note Guy Foetz, conseiller de la Gauche. «Les entreprises de gardiennage n’ont pas dans leurs attributions habituelles la surveillance des voies publiques à caractère préventif. Cette mission est uniquement dévolue par le législateur à la force publique», donc à la police, explique le conseiller communal, avant de rappeler le règlement de la police pour étayer son propos. Pour les trois partis, il s’agit d’une «attaque de la base de l’État de droit». «La présence de deux forces de l’ordre ou de sécurité, l’une publique et l’autre privée, entraîne un mélange de coopération et de concurrence qui mine le monopole d’État sur la force publique et la confiance du public envers la police», constate Guy Foetz après lecture des rapports des agents de gardiennage. Une confusion des rôles à l’origine d’une «grande incertitude en ce qui concerne les responsabilités en cas d’accident».
Le collège échevinal répandrait l’illusion qu’il est facile de lutter contre les problèmes présents dans le quartier Gare et de renforcer le sentiment de sécurité des riverains. «La Ville de Luxembourg exploite ce besoin des gens», accuse le conseiller, persuadé avec le reste de l’opposition qu’il s’agit «d’une action de propagande de la part du collège échevinal». Ce dernier, selon Guy Foetz, n’avait pas le droit de prendre cette décision sans en référer au conseil communal qui, selon les articles 17 et 18 de la loi communale, décide des questions de sécurité et de salubrité. «La Ville de Luxembourg n’est pas un État dans l’État, poursuit-il. La Ville de Luxembourg doit se conformer à la Constitution et à la loi. Cette convention doit être immédiatement résiliée.»
La fin ne justifie pas les moyens
La société de gardiennage ne serait pas la solution idéale au problème. La trouver n’est pas simple, selon les trois conseillers présents lundi. «La fin ne justifie pas les moyens, indique Tom Krieps, conseiller socialiste. Ce n’est pas parce que des vigiles se promènent dans les rues avec un chien et que les commerçants se sentent plus en sécurité que la procédure est légale en Ville ou ailleurs dans le pays.» La sécurité ne peut pas être privatisée, au risque de glisser dans une société à deux vitesses où les riches peuvent se le permettre.
Les trois partis ont trouvé l’approbation auprès des ministres de la Sécurité intérieure, de la Justice et de l’Intérieur. «Les sociétés de gardiennage n’ont pas dans leurs attributions la sécurité des lieux publics, répète Tom Krieps. Taina Bofferding nous a confirmé que cette mission ne peut être déléguée à une entreprise privée ou à un corps communal dans l’état actuel de la législation. (…) La police grand-ducale a le monopole de la force, personne d’autre.»
Dans le quartier Gare, les agents poursuivent leur mission quotidienne. Les termes du contrat qui les lie à la Ville de Luxembourg ont été revus après une intervention de la ministre de l’Intérieur. Les hommes seraient désormais affectés à la protection des parcs et des lieux publics. Une modification qui confine à l’absurde. «La Ville peut-elle faire ce qu’elle veut? Non!», répondent les représentants des trois partis, alertant des conséquences et du fait qu’«en pratique, cela ne change pas grand-chose». Si ce n’est du point de vue de la cote de popularité des responsables politiques. La police est au service de chaque citoyen et les conseillers aimeraient que ce principe démocratique subsiste.
Une approche intégrée
Le quartier Gare a besoin de bien plus que d’une entreprise de gardiennage pour régler ses problèmes. L’opposition a donc ajouté des propositions à sa motion. «Il faut une approche intégrée. Les mesures simplistes ne suffiront pas à le régler», prévient Christa Brömmel, de déi gréng. Pourtant, personne ne s’y est attelé. La police se sentirait démunie, malgré les renforts, à force d’arrêter encore et encore les mêmes personnes, relâchées faute d’adresse.
«Il faudrait remplacer l’État de droit, parce qu’il ne nous convient pas, par une entreprise privée! Vous vous rendez compte de ce que cela signifie?», s’emporte Tom Krieps. Que la Ville de Luxembourg est dépassée par l’ampleur de la tâche? «Elle est dépassée par les problèmes liés à la consommation de drogues, comme nous le sommes tous», estime Guy Foetz. «Comment réagir? Pas de manière répressive ou en tentant de maîtriser la situation par une répression privée. Il est important de faire d’autres choses aussi, comme c’est déjà le cas dans la capitale. Il faut le reconnaître.» Le torchon brûle, mais l’extincteur n’est pas loin.
Sophie Kieffer