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Luxembourg, France, Allemagne : la Moselle vise l’Unesco !


Riche d’une histoire, d’une géologie et d’une biodiversité complexes, la singularité de la Moselle pourrait être un atout (Photo : Erwan Nonet / DR).

Et si la vallée de la Moselle, de sa source à Remiremont à sa jonction avec le Rhin à Coblence, était inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco ? Le processus, en tout cas, est lancé.

Le 25 octobre, plusieurs acteurs publics et privés luxembourgeois, allemands et français ont signé une déclaration d’intention de coopération dont le but sera d’élaborer la candidature qui pourra permettre, à terme, de classer les 544km de la Moselle au Patrimoine mondial de l’Unesco. Tous savent que le chemin sera long et semé d’embûches. Mais la récompense serait exceptionnelle !

Réunir une petite centaine de représentants locaux investis tout autant dans le développement de leurs territoires que dans le partage avec leurs voisins, quelles que soient leurs nationalités, est déjà un premier succès significatif. Le 25 octobre, dans la cave de Bernard Massard à Grevenmacher, on croisait quelques élus, des vignerons et des représentants des six GAL (groupes d’acteurs locaux, dont le but est la gestion d’un programme européen Leader sur son territoire) que compte la Moselle sur tout son parcours. Ils ont été réunis autour du GEIE (Groupement européen d’intérêt économique) Terroir Moselle, basé au Luxembourg, qui s’est fait une spécialité des relations transfrontalières le long du cours d’eau.

(Photo : @Yermat)

(Photo : @Yermat)

Cela fait une dizaine d’années maintenant que Terroir Moselle crée des ponts entre les vignerons luxembourgeois, allemands et français avec un succès tel que la structure a dû évoluer pour faire face à une demande croissante. « La coopération a été beaucoup plus importante que prévue, sourit Ségolène Charvet, sa gestionnaire. Le potentiel est bien plus grand que ce qui était estimé au départ. Si tout est parti d’une volonté des vignerons, aujourd’hui, nous traitons des objets qui vont bien au-delà du vin et de ses terroirs. » Il est donc logique que le projet d’une candidature de la vallée de la Moselle au Patrimoine mondial de l’Unesco, bien que née en Allemagne, atterrisse dans leur escarcelle.

L’initiative a pris corps en 2014, année de la création de l’association Welterbe Moseltal (Vallée de la Moselle patrimoine mondial). Manfred Schnur, son représentant, explique : « nous nous sommes dit que si la vallée du Haut-Rhin moyen était classée, pourquoi la Moselle ne le serait pas ? Elle le mérite tout autant ! » Avec ses paysages spectaculaires, ses vignes aux coteaux abrupts, celui de Calmont (Bremm, près de Cochem) détient le record mondial avec une pente de 65%, ses terroirs schisteux admirables pour le riesling ou ses multiples châteaux-forts perchés un peu partout, la Moselle allemande sait effectivement se distinguer. « Mais, dès le début, notre vocation était internationale et le premier membre étranger, le Luxembourgeois Marc Weyer, nous a rejoints en 2018 », affirme Manfred Schnur. Le président du GAL Leader Miselerland et du GEIE Terroir Moselle s’empressait de faire le lien avec des partenaires français vite enthousiastes.

« Être au rendez-vous du XXIe siècle »

Immédiatement, la complexité de la tâche apparaît à tous. L’inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco représente un énorme défi en soi tant les candidats sont nombreux. Claudia Schwarz, présidente de l’association Welterbestätten Deutschland qui réunit tous les sites allemands inscrits, illustrait la problématique : « En 1978, lors du classement de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle, premier élément sur la liste du Patrimoine mondial du pays, le dossier tenait sur deux pages. Pour la vallée du Haut-Rhin moyen, en 2002, il y en avait 1 200. » Produire un effort semblable en fédérant trois pays et trois langues serait une forme d’exploit. « Le défi est énorme, reconnaît Manfred Schnur. Pour convaincre, il faudra abolir les guerres de clochers, déterminer les bons axes et faire preuve d’engagement et de passion ». Mais la configuration de la Moselle sur trois pays chargés d’histoire peut aussi devenir un atout essentiel. Rolf Haxel (GAL Leader Miselerland et GEIE Terroir Moselle) abonde : « Mosel, Misel, Moselle… L’important n’est pas comment on le dit mais les acteurs qui y vivent. Pendant longtemps, je pense évidemment aux deux guerres mondiales, nos relations ont été très difficiles mais désormais, il ne fait plus aucun doute que la Moselle est notre fleuve à tous. Nous avons des amis de tous les côtés ».

Pour Dominique Potier, président du GAL Leader Terres de Lorraine et député à l’Assemblée nationale française, « la Moselle est une Europe miniature et ce que nous faisons a du sens, bien au-delà de notre vallée car il se raconte ici une histoire de l’Europe. Cette déclaration d’intention est une manière d’être au rendez-vous du XXIe siècle, d’incarner cette Europe des relations fraternelles qui œuvre pour le bien commun ». La volonté existe dans les trois pays, mais tout reste à faire. Jusque-là, l’idée est portée par des bénévoles mais cela ne pourra plus durer. « Il faut désormais structurer cet élan, déterminer un porteur de projet et un coordinateur », soutient Thomas Wallrich, gestionnaire du GAL Leader Miselerland. Ce qui convient à dire qu’il faut assurer un financement solide et pérenne, car la tâche s’annonce longue. Si le GEIE Terroir Moselle est sûrement la structure détenant les compétences les plus solides pour mener à bien les projets transfrontaliers, il ne possède pas aujourd’hui les ressources pour tenir ce rôle.

Erwan Nonet

L’Unesco, un enjeu de taille

Le temple d'Abou Simbel, en Egypte (Photo : AFP).

Le temple d’Abou Simbel, en Egypte (Photo : AFP).

Organisation des Nations Unies vouée à l’éducation, aux sciences et à la culture, l’Unesco a été créé dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, en novembre 1945. Pour Claudia Schwarz, présidente de l’association Welterbestätten Deutschland, « le Patrimoine mondial est l’un de ses programmes les plus réussis ».

L’idée est née en 1960, à la veille de la construction du barrage d’Assouan, en Égypte, qui menaçait le temple d’Abou Simbel. L’Unesco a lancé un appel à sa sauvegarde qui a permis de réunir les fonds pour le déplacer, pierre par pierre, et le sauver des eaux. La convention du Patrimoine mondial a été signée en 1972 et elle est à ce jour le traité ratifié par le plus de nations au monde (193). « Être reconnu au Patrimoine mondial garantit une reconnaissance mondiale et un très grand potentiel de développement », affirme-t-elle.

 

[Commentaire] Tous Mosellans !

Il était enthousiasmant de participer à la réunion du 25 octobre. Le projet d’une vallée de la Moselle reconnue au Patrimoine mondial de l’Unesco est beau, bien qu’incroyablement compliqué. Au premier abord, on ne niera pas que l’on s’est posé la question de l’artificialité de la démarche. Existe-t-il véritablement une identité mosellane commune que l’on vive à Cochem, Remich ou Toul ? Difficile à dire, on ne parierait pas dessus. Et alors, serait-ce un critère rédhibitoire ? Après tout, une identité ne tombe pas du ciel.

Elle est la volonté d’un groupe, le fruit d’une construction culturelle, sociale, économique… Le fait qu’une candidature de la vallée permette de nouer de nouveaux liens entre voisins mérite à lui seul que l’on s’attelle à la tâche : forcément que les Mosellans ont des choses à se dire, même s’il ne sera pas toujours évident de se faire comprendre ! Et il est très rafraîchissant de voir que ceux qui initient la démarche sont issus du socle de la société. Le 25 octobre, il n’y avait aucun ministre à Grevenmacher, les politiques présents étaient tous des élus locaux. Trop souvent, la Grande Région est une notion qui sonne creux. Et si l’Unesco lui offrait enfin la caisse de résonance qu’elle mériterait ?

Erwan Nonet