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Luxembourg : eis Stad défie la Ville


L'association eis Stad s'est constituée autour du projet résidentiel «Wunnquartier Stade» route d'Arlon. (Photo Julien Garroy)

L’association veut institutionnaliser la participation citoyenne pour éviter les projets jugés bancals et gagner du terrain face aux investisseurs étrangers, entre autres.

À qui appartient la ville de Luxembourg ? À ses habitants, aux promoteurs, à l’administration communale ou aux citoyens luxembourgeois en général ? Vaste débat qui amène la question de la participation citoyenne. L’association eis Stad a tenté d’y répondre mardi soir à l’occasion d’un débat public animé au Casino de Luxembourg. Une réunion qui, bien que publique, revêtait un aspect révolutionnaire et démontrait clairement une envie transgressive de bousculer l’ordre établi.

Il n’y avait pas assez de chaises pour accueillir le public, mais une cependant est restée vide, celle de la bourgmestre Lydie Polfer, pourtant annoncée comme invitée. Ce qui a eu pour effet d’irriter des citoyens déjà bien remontés. Alors que tous les partis politiques représentés au conseil communal de Luxembourg avaient été conviés à participer au débat, seuls trois partis d’opposition avaient répondu présent.

L’association eis Stad s’est constituée autour du projet résidentiel «Wunnquartier Stade» route d’Arlon, après un atelier de participation citoyenne organisé par déi gréng. Son but est d’encourager la participation citoyenne à la prise de décision au niveau communal. Si elle est consciente «qu’elle a raté le train du projet Wunnquartier Stade», elle espère donner une impulsion pour que l’administration communale de Luxembourg s’engage sur la voie de la participation citoyenne pour ses projets futurs.

On vend notre ville sous nos yeux

Luxembourg comptait 122 273 habitants au 31 décembre 2019. À peine 34 399 personnes étaient inscrites sur les listes électorales pour les élections communales en 2017 et 25 479 bulletins valides ont été déposés. CSV et DP – les grands gagnants dans la capitale – ont remporté à eux deux 55% des suffrages. Ils représentent donc moins de 14 000 personnes, soit moins d’un huitième de la population de la capitale. CQFD, crient les membres d’eis Stad qui démontrent par là à la fois un déficit démocratique et l’importance de la participation citoyenne. Sur le territoire de la ville de Luxembourg cohabitent 170 nationalités. Toutes n’ont pas le droit de vote. Certains habitants savent qu’ils ne resteront pas suffisamment longtemps au Luxembourg pour en demander la nationalité. Cela ne veut pas dire qu’il faille pour autant leur renier le droit de s’engager ou que leur voix vaut moins que celle d’un autre citoyen.

De là à dire que cette situation arrange les élus, il n’y a qu’un pas que personne n’osera franchir, même si les membres d’eis Stad étaient bien remontés. «On vend notre ville sous nos yeux et les citoyens sont mis sous tutelle», a déclaré Winfried Heidrich, de l’association. Le ton était donné.

La réunion de mardi soir a commencé par une critique détaillée des sept projets de construction retenus par l’administration communale de Luxembourg pour le Wunnquartier Stade ainsi que des critiques quant à la manière de la Ville de pratiquer la participation citoyenne. Les sept projets retenus sont exposés jusqu’à samedi midi au Bierger-Center. Les citoyens peuvent aller les consulter et laisser leur avis. Ces avis seront transmis aux auteurs des projets qui disposeront de temps pour y apporter des modifications.

L’association a regretté que ce processus ne soit pas disponible en ligne et a émis des doutes quant aux capacités du jury retenu par l’administration communale à choisir les meilleurs projets. Le fait que seuls sept projets soient présentés au lieu des 35 réalisés irrite également eis Stad. «Cela démontre un manque de transparence et la manière dont on cherche à nous isoler», regrette Winfried Heidrich. La confiance règne.

Je ne connais pas mes propres voisins

À une personne présente mardi soir qui demandait s’il ne fallait pas voir dans cette initiative de la Ville de Luxembourg un premier pas vers davantage de participation citoyenne, un membre d’eis Stad qui a suivi une formation en matière de participation citoyenne a répondu qu’elle n’était qu’au deuxième niveau. Il existerait cinq niveaux de participation citoyenne : l’information, la consultation, la participation, la coopération et la décision. C’est à ce dernier niveau que les membres de l’association aspirent.

Le membre formé préconise l’organisation de «trialogues» entre le collège échevinal, l’administration communale et des citoyens choisis au hasard. Ils se réuniraient autour d’une table et chercheraient des consensus. Le tout dans les limites d’un cadre donné qui obligerait les trois parties – et surtout le collège échevinal – à motiver leurs choix et décisions.

«Quand j’achète une marchandise sur Amazon, je peux retracer son parcours. Je sais où est mon paquet. Ce n’est pas le cas avec les projets de la Ville de Luxembourg. Il faut plus de traçabilité», estime Laura Zuccoli, la présidente de l’ASTI, qui estime qu’avant de lancer un processus de participation citoyenne, il faudrait commencer par faire se rencontrer les citoyens au sein de leurs propres quartiers. Son argument est appuyé par un jeune homme : «Je ne connais pas mes propres voisins. C’est le cas de beaucoup de monde. Alors comment faire pour m’identifier à mon quartier ?» Selon les chiffres d’eis Stad, Luxembourg aurait gagné 18 000 nouveaux habitants en 2019 et en aurait perdu 12 000. La population change et bouge énormément. Il faudrait également prendre en compte ces facteurs lors de la planification de projets d’urbanisme.

Le sol est devenu un bien commercial possédé par une minorité

On l’aura compris, les citoyens veulent davantage de transparence. Pour pouvoir définir leurs cadres de vie en fonction de leurs besoins, mais aussi pour barrer la route «aux investisseurs étrangers» que l’association représente sous les traits de cheiks arabes arrivés à dos de chameaux sur la place de l’Étoile. «La Ville de Luxembourg se mue toujours plus en mandataire d’intérêts privés et d’investisseurs qui ne savent même pas situer le Luxembourg sur une carte», dénonce Winfried Heidrich. «Elle l’est d’autant moins pour les gens qui y vivent et y travaillent. Le sol est devenu un bien commercial possédé par une minorité.»

La transmission de ce bien devient impossible. «Le développement de la ville met de plus en plus l’accent sur les valeurs financières. Une discussion politique sur les valeurs immatérielles, sur le vivre ensemble, sur la ville que nous souhaitons transmettre aux générations futures ainsi que sur notre empreinte écologique n’a pas encore été menée», poursuit Winfried Heidrich. Il est semble-t-il plus que temps !

Les membres de l’association et les habitants de la capitale appellent au respect de la part des classes dirigeantes et sont bien décidés à le gagner. Les points dégagés lors du débat – comme la création souhaitée d’un poste de délégué aux citoyens – seront transmis à Lydie Polfer et publiés sur le site internet de l’association «pour donner l’exemple de la transparence». «Nous devons faire comprendre à la Ville de Luxembourg que nous n’avons pas apprécié sa façon de faire et qu’elle doit en changer pour les autres projets à venir», indique Nico Meyrer, le président de l’association. Les électeurs auront le dernier mot, suggère une dame énervée qui est, semble-t-il, arrivée en retard.

Sophie Kieffer