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Luxembourg : confinement et addiction, pas forcément une fatalité


Depuis le début de la pandémie, les réunions se tiennent online. (illustration AFP)

Pour se défaire d’une addiction, intégrer un groupe d’entraide peut constituer une aide précieuse. Mais les réunions ayant été suspendues en raison de la crise du coronavirus, comment se débrouillent les dépendants ? Éléments de réponse entre le Luxembourg et le Portugal.

Au Portugal, lorsqu’elle était plus jeune, Natem* (55 ans) se droguait : « Héroïne, comprimés, alcool… tout ce qui me permettait de fuir la réalité », nous précise-t-elle, chez elle à Differdange. Clean depuis 25 ans, elle participe une fois par semaine à la Zithaklinik de la capitale à une réunion des Narcotics Anonymous Luxembourg, un groupe de parole et d’entraide pour les dépendants. « Sans ces réunions, reconnaît Natem, je n’y serais jamais arrivée : quand on consomme (de la drogue), on est dans la rue, on est seul, on n’arrive pas à s’intégrer… mais quand on décide d’assister à des réunions, on a enfin cette sensation d’appartenance. On bénéficie de la compréhension, de l’entraide et de l’amour des autres.»

Depuis le début de la crise sanitaire, les réunions ne peuvent plus se tenir en présence des uns des autres. Alors comme dans d’autres secteurs, elles se déroulent via messageries instantanées ou en visio. «Je préfère sans caméra, je parle plus profondément de moi, mais d’autres peuvent se sentir bloqués, avoir l’impression de parler seul à leur téléphone. C’est un grand débat…», sourit-elle. Natem n’a pas découvert cette façon virtuelle de procéder avec le coronavirus. Elle assurait déjà, chaque dimanche, sur Skype, le service d’une réunion qui se déroulait… à quelque 1 500 km de chez elle, dans son pays d’origine.

«Je n’ai suivi la réunion au Luxembourg que deux fois pendant le confinement», soupire-t-elle. En effet, mi-mars, elle reçoit un soir un appel à l’aide qui lui fait prendre conscience de la détresse dans laquelle se trouvent certains Portugais. Elle décide alors d’ouvrir un chat 24 h/24 : « Au Portugal, ceux qui me contactent ont perdu leur travail, n’ont plus rien à manger, ils doivent aller à la soupe populaire… » Des personnes qui avaient arrêté de se droguer ont à nouveau des envies irrépressibles de consommer.

Son chat remporte un grand succès, le besoin de soutien pour ne pas rechuter est immense : en quelques jours, les trois groupes de parole hebdomadaires passent à 21; quatre réunions quotidiennes sont organisées. « Ma vie a changé du tout au tout, à écouter les autres, à travailler jusqu’à 3 h du matin», constate Natem. « À un moment, j’étais débordée par tant d’appels, tant de sollicitations pour aider les gens.»

Le confinement, une chance ?

Quand on lui demande si le confinement n’a pas pu avoir des effets positifs, en poussant par exemple les dépendants à arrêter en raison des difficultés à se procurer de la drogue, Natem éclate de rire : « Un dépendant n’arrête jamais tant qu’il n’en éprouve pas lui-même l’envie. Il y avait plein d’options pour continuer à consommer même avec le confinement, entre le dealer qui dépose la dose dans la boîte aux lettres, le médecin qui prescrit des substituts et l’alcool toujours en vente libre.» Si aspect positif du confinement il y a eu, c’est parce qu’il a obligé les gens à fréquenter davantage les très nombreuses réunions en ligne : « Ils n’avaient rien à faire, ils pouvaient donc participer à plus de réunions. Et ça les a aidés à rester clean, ils se sont accrochés, surtout les nouveaux et les sceptiques», constate-t-elle encore.

À présent que les sessions du Portugal vont pouvoir s’espacer, déconfinement et reprise du travail obligent, Natem est pressée que les réunions physiques au Luxembourg reprennent : « Je n’arrive plus à écouter par internet, peut-être parce que je l’ai trop fait ces derniers temps. Si je vais dans une réunion physique, je serai plus posée. Et puis, j’ai besoin de contact, de voir vraiment mes interlocuteurs.»

Pour l’instant, ce n’est toujours pas possible de se réunir à la Zithaklinik, « mais on songe à se retrouver dans un parc ». Parce que cette heure et demie chaque samedi, «c’est la meilleure chose de ma semaine», assure Natem dans un grand sourire.

Isabelle Simon

* Le prénom a été modifié

Les narcotiques anonymes au Luxembourg : https://www.na-luxembourg.org