La migration des amphibiens s’amorce doucement. Sans l’aide des citoyens, ils risquent de finir leur vie sous les roues des voitures. L’ANF et natur&ëmwelt cherchent des sauveteurs bénévoles.
La période de migration des crapauds a commencé. Les femelles portent leurs princes charmants sur leur dos jusqu’à leur lieu de reproduction, parfois au péril de leur vie. Ainsi chargées, elles peuvent parcourir jusqu’à trois kilomètres pour aller se reproduire sur les berges du plan d’eau où elles-mêmes ont vu le jour. L’histoire pourrait être attendrissante si chaque année des milliers de couples ne terminaient pas leur périple sous les roues de voitures. La densification du réseau routier complique chaque année un peu plus la tâche aux différentes espèces d’amphibiens, dont la plupart sont menacées de disparition.
L’administration de la Nature et des Forêts (ANF) et l’ASBL natur&ëmwelt veulent rendre les routes plus sûres pour les amphibiens en repérant les lieux de migration pour préparer des opérations de sauvetage, construire des infrastructures comme des crapauducs et des clôtures ou fermer certaines routes au moment de la migration qui peut s’étendre de mi-février à mi-avril en fonction des conditions météorologiques. L’administration de la Nature et des Forêts et natur&ëmwelt cherchent des bénévoles pour participer à des opérations de sauvetage et demandent qu’on leur signale les zones de passage à risque. Des formulaires sont disponibles à cet effet sur le site internet de l’ASBL, de même qu’un lien vers une carte répertoriant tous les passages à risque identifiés jusqu’à présent et où la présence de sauveteurs est souhaitée.
Vingt minutes pour traverser
Les quatre espèces de crapaud présentes au Luxembourg, dont le crapaud commun, la plus répandue, sont menacées. Si l’action concerne essentiellement les crapauds, d’autres amphibiens comme les grenouilles et les tritons migrent et traversent également les routes. «Les crapauds sont les plus touchés par les accidents, même si les routes traversées le sont aussi par d’autres amphibiens. Ils sont les plus lents. Ils ne sont pas adaptés à l’action de traverser les routes, leur milieu de vie étant les forêts, explique Lieke Mevis, conseillère à natur&ëmwelt. Du coup, l’action profite aussi aux autres espèces.» Un couple peut prendre jusqu’à une vingtaine de minutes pour traverser une route de campagne.
Les crapauds n’ont besoin d’eau que pour se reproduire. C’est pourquoi ils regagnent la terre une fois la ponte réalisée. «Ils ont besoin de sols humides pour ne pas s’assécher, mais ne passent pas leur vie dans l’eau, poursuit la jeune femme. Certaines espèces d’amphibiens ont un besoin plus important de vivre au contact de l’eau que les crapauds. Ces derniers naissent dans l’eau en tant que têtards. Ils respirent grâce à des branchies qui se transforment en poumons à l’âge adulte. Ils ne leur permettent plus de respirer sous l’eau.» Certains ont trouvé l’âme sœur avant de se mettre en route, d’autres la rencontrent en cours de route ou la chipent à un autre crapaud pas assez attaché. L’idylle est de courte durée, puisque dès que la ponte a eu lieu, les crapauds repartent d’où ils viennent.
Les amphibiens font partie des espèces menacées au Luxembourg et, donc, à ce titre, sont protégés. «C’est la raison pour laquelle nous faisons tous ces efforts. On a l’impression qu’il y en a beaucoup car ils traversent tous les routes au même moment. S’ils se font écraser, c’est une partie importante de la population qui disparaît.» Si les crapauds sont en danger lors de ces épisodes annuels, l’activité de l’Homme est leur principale menace. «Les écosystèmes sont de plus en plus morcelés par les routes», note la conseillère, qui pointe aussi notre manière de cultiver la terre : «La disparition des zones humides au profit de l’agriculture a causé beaucoup de tort aux amphibiens. La densification des zones urbaines leur laisse peu de place, comme à d’autres animaux, pour s’installer.» Outre le danger que constitue l’Homme, les crapauds comptent pour prédateurs les orvets, les petits carnivores, les échassiers. «Les amphibiens sont des acteurs importants de l’écosystème, car ils constituent une partie de l’alimentation de nombreuses autres espèces, indique Lieke Mevis. Une femelle peut pondre jusqu’à sept mille œufs, mais très peu de têtards survivent jusqu’à l’âge adulte.»
Tunnels, seaux… les moyens en place
Pour permettre aux plus chanceux d’entre eux de survivre à une migration, des crapauducs sont mis en place aux tronçons les plus passants. Il s’agit de tunnels sous les routes. Il en existe plus d’une douzaine. Mais leur installation onéreuse dépend du bon vouloir des autorités communales. Les crapauds sont guidés jusqu’à leurs entrées par des barrières disposées le long des routes. «Aux endroits où il n’y a pas de tunnel, les crapauds sont pris dans des seaux que des bénévoles déposent de l’autre côté de la route pour leur permettre de migrer en toute sécurité, explique Lieke Mevis. Les points verts sur la carte de Géoportail correspondent aux endroits où de l’aide est la bienvenue.»
La migration est fortement liée à la météo. Les crapauds voyagent de nuit et sous certaines conditions : la température doit dépasser les 5 °C et l’humidité de l’air doit être suffisante pour que leur peau ne s’assèche pas. «Chaque année, elle commence aux alentours du 20 février, précise la conseillère. Nous avons besoin que des gens gardent un œil sur les secteurs de migration ou qu’ils aident à transporter les crapauds. Les gardes forestiers n’ont pas les ressources suffisantes pour se charger de cette surveillance.» Certaines communes mettent en place des signalisations sur les tronçons concernés pour prévenir les automobilistes. L’administration des Ponts et Chaussées est chargée des infrastructures fixes.
L’association demande également aux citoyens de répertorier les endroits où des migrations ont été constatées sur la carte Géoportail afin d’avoir une vue d’ensemble la plus complète possible des migrations. «Nous ne savons pas exactement où ces migrations ont lieu, reconnaît la conseillère. Chaque nouvelle route peut être potentiellement traversée par des amphibiens s’il y a un point d’eau à proximité.» Construire des tunnels en même temps que de nouvelles routes pourrait s’avérer bénéfique pour les amphibiens. Mais l’entreprise a un prix. «Encore faut-il avoir conscience du problème, indique Lieke Mevis. Nous essayons d’attirer l’attention des communes. Au final, les installations fixes coûtent moins cher que les installations provisoires, qui doivent être remplacées plus souvent.»
Dans les prochaines semaines, il conviendra d’ouvrir les yeux pour repérer à temps les petits amphibiens.
Sophie Kieffer