René Closter explique comment Luxembourg Air Rescue (LAR) répond présent pour faire face à la crise sanitaire. Le président et CEO de LAR évoque aussi certains projets.
Depuis près d’un an, Luxembourg Air Rescue est en première ligne pour faire face à la crise sanitaire liée au Covid-19. L’organisme a transporté des dizaines des malades de France vers le Luxembourg ou vers l’Allemagne, et d’autres patients d’autres pays. LAR a d’ailleurs reçu en fin d’année le prix De Gaulle – Adenauer pour son aide dans la prise en charge des patients français : «une fierté» pour René Closter. Le président et CEO parle de cette crise sanitaire et de l’avenir de LAR.
Dimanche 14 février, un médecin urgentiste de Luxembourg Air Rescue est parti au Portugal. Quelle est sa mission ?
Elle est simple : soutenir et aider les équipes médicales au Portugal qui sont débordées en ce moment. Nous avons contacté le ministère de la Santé et le ministère d’État pour leur dire que nous étions prêts à participer à une telle mission pour aider les Portugais qui sont submergés par le Covid-19 actuellement. Après que le gouvernement portugais a accepté l’offre d’aide du gouvernement luxembourgeois, nous avons envoyé un médecin urgentiste spécialisé en anesthésie et réanimation au Portugal, ceci en collaboration avec le Haut-Commissariat à la protection nationale (HCPN), le ministère d’État et le ministère des Affaires étrangères et européennes, ainsi que le ministère de la Santé.
Comment vous êtes-vous organisés au moment de l’apparition de la crise sanitaire liée au Covid-19, il y a maintenant un an ?
Cette crise est inattendue et inhabituelle. Personne n’est vraiment préparé à faire face à ce genre de crise. Il a fallu réagir. Le grand avantage de notre organisation est que nous sommes habitués à travailler dans des circonstances exceptionnelles. Nous savons nous adapter dans un laps de temps très court. Car chaque mission que nous faisons est différente. On a directement créer une cellule de crise interne qui se réunissait au début une fois par jour. En plus des pilotes, la maintenance a également continué de fonctionner par équipe. C’était nécessaire puisque sans maintenance, les hélicoptères ne volent pas. Heureusement, nous avions déjà une très grande expérience dans le domaine de transport de patients hautement infectieux que nous avons acquis lors de la crise d’Ebola à partir de 2015. Je rappelle que lors de cette crise d’Ebola, il n’y avait que deux avions dans le monde entier capable de transporter des patients touchés par le virus Ebola. Il y a un avion américain et un de chez nous. Avec nos équipes, nous avons utilisé les cellules isolantes que nous avions développées ensemble avec une société anglaise spécialisée pendant la crise d’Ebola. L’air entrant est filtré, l’air sortant est filtré. Tout l’équipage – médecin, infirmier et pilote – sont protégés. Donc nous étions prêts pour faire face à la crise sanitaire liée au Covid-19. Le gouvernement nous a contacté pour transporter au Grand-Duché des patients de l’Est de la France. Sept ou huit au début. Ensuite, les Français ont commencé à nous contacter pour faire des transports de patients Covid-19 à l’intérieur du pays ou alors vers Berlin ou Dresde en Allemagne.
Pour une fois, il y a eu des rapatriements qui se sont faits avec le sourire et une grande satisfaction
Au fil de la crise sanitaire, vous avez adapté votre matériel…
Oui, on a acheté un « EpiShuttle » brancard-bloc isolant dans lequel on peut installer des patients hautement infectieux pour les transporter sans risques par un l’hélicoptère. Il faut savoir qu’au début, chaque fois, que nous transportions un patient Covid-19 cela nous prenait trois ou quatre heures pour désinfecter complètement l’hélicoptère. En plus, nos pilotes, médecins et infirmiers devaient tout le temps travailler en tenue isolante, ce qui n’est pas évident.
Et quand certains patients sont guéris vous retournez les chercher ?
Oui. C’est quelque chose qui n’arrive normalement jamais. On a transporté des patients gravement atteints du Covid-19 pour qu’ils soient soignés ailleurs. Et un mois, six semaines ou deux mois après, on est retourné chercher ceux dont l’état de santé s’était amélioré. Normalement, on transporte un patient à l’hôpital et puis on a n’a plus de nouvelles. Et là, c’est différent. On les a rencontrés sur le chemin de la guérison et on les a ramenés auprès de leurs familles. Pour nous, c’était quelque chose d’extraordinaire. Leurs remerciements, normalement nous ne les avons pas. C’était génial. Pour une fois, il y a eu des rapatriements qui se sont faits avec le sourire et une grande satisfaction.
Luxembourg Air Rescue a également reçu le prix De Gaulle – Adenauer 2020 pour son aide dans la prise en charge de patients français lors de la première vague de Covid-19. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle ?
C’est une très belle récompense qui nous rend fier. C’est une reconnaissance. La grande France et la grande Allemagne qui décernent un prix à une petite organisation de sauvetage comme la LAR, c’était une belle surprise… Je ne me rappelle pas qu’on ait déjà eu une reconnaissance de ce type de la part de l’État luxembourgeois. Et j’ai une bonne mémoire.
L’un de vos hangars sera prochainement un centre de vaccination contre le Covid-19 ?
C’est normal. Pendant une pandémie mondiale comme le monde n’en a jamais connue, pour moi, tout le monde devrait aider avec ses capacités pour combattre et vaincre ce virus. C’est pour ça que je me suis adressé au ministère de la Santé pour leur proposer notre capacité, notre logistique et nos compétences. Aujourd’hui, le centre de vaccination est totalement équipé et fonctionnel. Mais je ne connais pas encore la date d’ouverture. C’est le Haut-Commissariat à la protection nationale qui décide.
Nous ? Personne ne nous a contacté pour être vaccinés alors que nous sommes aussi en première ligne quotidiennement
Votre activité de ces douze derniers mois n’a pas uniquement tourné autour du Covid-19 ?
Même dans une situation de crise comme le Covid-19, on n’a jamais arrêté nos autres missions. Nous répondons présents pour toutes les missions, Covid-19 et les autres. Ce qui a changé c’est qu’on fait moins de rapatriement puisque les gens ne partent pas en vacances, on n’a pas besoin de les rapatrier. Pour le reste, tout est comme avant. On intervient quotidiennement sur les urgences graves dans le pays ainsi qu’en Sarre et en Rhénanie-Palatinat. Nous continuons, comme nous le faisons depuis 12 ans, d’assurer le transport d’organes en France. Cette nuit encore (NDLR : dans la nuit de mercredi à jeudi), on a transporté un foie, la nuit précédente un cœur… La semaine passée nous étions au Rwanda et au Bénin pour des rapatriements de patients gravement malades. Aujourd’hui à cause du Covid-19, on sort et on intervient avec la plus grande prudence. Chaque patient peut avoir le Covid-19, il faut donc se protéger pour chaque mission.
Vos équipes ont-elles été touchées par le coronavirus ?
Non. Mais permettez-moi de dire une chose sur ce point. Tous les personnels soignants des hôpitaux du pays ont été vaccinés. Nous ? Personne ne nous a contacté pour être vaccinés alors que nous sommes aussi en première ligne quotidiennement. On est déçus que personne ne s’occupe de nous.
De manière générale, le crise sanitaire et ses conséquences ont-elles des répercussions sur votre travail de transport de patients ?
Les problèmes que nous avons rencontrés cette dernière année et que nous rencontrons encore aujourd’hui concernent essentiellement le transport de patients sur une longue distance. Il y a un an pour rapatrier quelqu’un du continent africain, il nous fallait trois ou quatre heures de préparation pour le vol entre les autorisations de vols, de survols, d’atterrissage, l’hôtellerie sur place… Aujourd’hui, il nous faut trois à quatre jours pour aller en Afrique ou en Asie. Si vous allez en Russie, il faut une semaine. Pourquoi ? Nos avions ne font que 4 500 kilomètres donc ils doivent se ravitailler en chemin à l’aller ou au retour. Si vous avez un patient Covid-19 à bord, cela devient difficile, voire impossible de faire le ravitaillement. Pour l’Afrique, notre point de ravitaillement était soit la Turquie, soit l’Algérie. Aujourd’hui, aucun de ces deux pays nous donne l’autorisation pour faire le ravitaillement avec un patient Covid à bord. Deuxième problème, beaucoup d’aéroports sont fermés. Troisième problème, vous allez en Afrique ou en Asie, nos pilotes doivent dormir sur place parce qu’ils ont des temps de repos et nous n’avons plus d’hôtel ouvert.
On n’avait pas d’argent, pas d’hélicoptère, pas d’équipage. Et surtout on n’avait pas d’amis à perdre parce qu’on n’en avait pas
Avez-vous trouvé une solution pour faire face à ces problèmes ?
Comme Churchill l’a dit «Never let a good crisis go to waste» («Ne laissez jamais une bonne crise se perdre»). Nous avons pris la décision de vendre deux de nos avions Learjet 45XR (NDLR : LAR six avions en tout et six hélicoptères) et d’acheter un plus grand avion, un Challenger, avec lequel nous allons pouvoir aller par exemple en Afrique et aux États-Unis en une seule fois et qui sera équipé d’une «chambre à coucher», c’est-à-dire un espace où un deuxième équipage pourra dormir. Donc on ira sur place, on prendra le patient à bord et on reviendra. Cela va prendre cinq à six mois pour équiper le nouvel avion selon nos exigences et que nos pilotes, nos mécaniciens, nos ingénieurs soient formés. C’est un grand investissement pour nous. Avec cet avion, nous aurons la possibilité de transporter jusqu’à trois patients. Comme il s’agit d’un avion plus grand, on pourra aussi rapatrier la famille des patients.
Avez-vous d’autres projets ?
Nous allons ouvrir d’ici un mois un troisième hangar sur le site. Cela va nous faciliter la vie pour faire notre maintenance nous-mêmes. Il y aura un hangar maintenance hélicoptères et un hangar maintenance avions.
Et si nous revenons un peu plus de 32 ans en arrière…
On n’avait rien. On n’avait pas d’argent, pas d’hélicoptère, pas d’équipage. Et surtout on n’avait pas d’amis à perdre parce qu’on n’en avait pas. Tout le monde était contre cette idée et contre nous. Pour pouvoir louer un hélicoptère en Allemagne, j’ai dû prendre une hypothèque sur ma maison. Je me rappelle : un dimanche, on se promenait et à un moment l’hélicoptère passe au-dessus de nous et mon épouse me dit : «tu sais que c’est notre maison qui vole là-haut». On a pris des risques énormes. Et il y a eu des moments où il n’y avait que ma tête têtue pour ne pas tout laisser tomber.
Aujourd’hui, Luxembourg Air Rescue est connu et reconnu pour son savoir-faire, compte des dizaines de milliers de membres…
On a 183 000 membres, on a fait plus de 50 000 missions, on emploie 180 personnes. On peut aimer ou détester Air Rescue. On peut aimer ou détester René Closter. Mais il y a une chose que personne peut nous prendre c’est que sur les plus de 50 000 missions, je suis persuadé qu’il y a des centaines, voire des milliers, de gens qui vivent encore aujourd’hui, qui sont avec leur famille, grâce à ce que nous avons fait et ce que nous faisons tous les jours. Quand je dis nous, c’est nous, toutes les personnes qui travaillent pour Air Rescue. Je le dis toujours : «our people make the difference» («nos personnes font la différence»). Pour travailler ici, il faut du cœur. On est une équipe soudée et composée de gens formidables.
Entretien avec Guillaume Chassaing