Dimanche, au Conservatoire de la Ville de Luxembourg, s’est déroulé le 159e congrès fédéral de l’UGDA. Son président, Gilbert Girsch, raconte son affliction et ses espoirs face à un virus qui fait tousser la vie associative culturelle.
Tout n’est pas si noir, mais tout ne va pas pour le mieux… Tel serait un résumé de la situation que traverse actuellement l’Union Grand-Duc Adolphe, fédération associative de la musique, du chant, du folklore et du théâtre au Luxembourg.
Un géant fort de ses 13 000 membres, mais qui, comme d’autres, sent les effets néfastes de la pandémie. Certes, en 2021, certains événements ont sauvé les meubles – fêtes du 1er mai et de la Musique, Concours pour jeunes solistes, Chrëschtdagssangen, Journée nationale de l’accordéon… –, mais ce semblant de normalité ne suffit plus.
En marge du 159e congrès de l’UGDA, qui s’est déroulé hier du côté du Conservatoire de la Ville de Luxembourg, Gilbert Girsch, son président depuis janvier 2019 (après le départ de sa prédécesseure, Martine Deprez) et jusqu’à début 2023, s’est confié sans retenue au Quotidien.
Cet ancien percussionniste à la Fanfare royale grand-ducale Luxembourg, 68 ans, raconte les derniers mois de disette, le bénévolat en berne et le ciment associatif qui s’effrite. Entretien.
Vous être membre de l’UGDA depuis une vingtaine d’années. Comment l’avez-vous vue évoluer ?
Gilbert Girsch : Elle a grandi comme n’importe quelle entreprise. Elle s’est étoffée, avec plus de sociétés, plus de membres inscrits. Ces dernières années, cette évolution, c’était pour ainsi dire le train-train quotidien. Une routine qui a été bouleversée par la pandémie.
À quel niveau ?
Malheureusement, certaines associations se voient obligées d’arrêter leur activité. Pas beaucoup, une dizaine depuis 2020, mais il y en a! C’est triste, mais que faire ? Ce virus fait du mal à beaucoup de monde…
Ces arrêts, qu’est-ce que cela vous fait ?
Ça m’attriste. On aimerait bien sûr que ça aille dans l’autre sens, mais ce n’est pas le cas. En tout cas pour l’instant ! Rien ne nous dit qu’un jour prochain, le gouvernement ne nous demandera pas de tomber les masques et ne suspendra pas les mesures sanitaires.
D’ici là, le constat est celui-ci : la pandémie fait de gros dégâts, surtout au sein de sociétés où la moyenne d’âge est élevée, où il y a beaucoup d’anciens.
C’est-à-dire ?
C’est une question de dynamique. Certains, bloqués, empêchés pendant une année, se disent : « ça a marché sans moi, je me sens bien comme ça, je n’y retourne plus ! » Ça se comprend, mais quand, par exemple, une chorale de 20 personnes se retrouve, du jour au lendemain, privée du tiers de son effectif, pas sûr qu’elle arrive à compenser.
N’est-ce pas un constat qui se tient aussi pour les plus jeunes ?
Selon moi, non. Les jeunes se battent ! Mais au final, oui, tout ça est compliqué pour tout le monde. Face à cette situation, mon cœur saigne, c’est certain, mais il garde espoir ! Il souhaite, comme beaucoup, la fin de la pandémie. Pour retrouver le plaisir du jeu, certes, mais surtout le plaisir d’être ensemble !
Boire un verre, par exemple, après une répétition ou un concert, c’est quelque chose d’essentiel. Je parle de ces moments où les amitiés se font, qui sont le socle de toute vie associative. Aujourd’hui, tout cela s’est délité, sans parler de la vaccination, du 2G+… On s’est tous éloignés les uns des autres.
Ça vous fait quoi de voir ces fanfares et orchestres muets, privés de jeu depuis deux ans ?
C’est malheureux et le pire, c’est que l’on se sent impuissant. Moi, en tant que président de la fédération, je ne peux rien faire, en dehors de me plier aux règles édictées par le gouvernement. Bien entendu, on les applique à 100 %.
Mais je me retrouve face à des sociétaires qui me disent : « si ça ne change pas vite, on va devoir arrêter, car on n’a plus d’argent pour vivre! ». Oui, c’est un fait, mais certaines associations n’arrivent plus à payer leur cotisation, que ce soit à la mutuelle de l’UGDA ou à la fédération elle-même. Dans leurs villages, elles ne peuvent plus organiser de bals, de marches…
C’est pourtant ce qui les fait vivre ! Et par prolongement, nous aussi. Bien sûr, on a une convention avec le ministère de la Culture, mais elle ne suffit pas au bon fonctionnement de la fédération. Tout cela est une chaîne, bien fragile aujourd’hui.
On arrive à la période des cavalcades qui, cette année encore, connaissent leur lot d’annulations. Vous dites-vous que 2022 va être encore très compliquée ?
C’est certain, surtout au vu des règles sanitaires en vigueur. Regardez : l’année dernière, on a organisé un concert avec 400 personnes. Actuellement, on est limité à 200.
Si on le maintient, il n’y aura aucun bénéfice, bien au contraire. Si l’on paye son entrée 3 euros, ça fait 600 au total. Comment fonctionne une association avec une telle somme si elle doit déjà payer, par exemple, un directeur musical? Ça n’a pas de sens.
Pensez-vous que la culture paie le prix fort de la pandémie ?
Un certain prix, oui, c’est certain ! Et c’est une réflexion qui va au-delà de la fédération. Il y a des artistes au pays, avec peu d’aides ou sans structure, qui essayent tant bien que mal de vivre de leur art. Aujourd’hui, il faut l’imaginer, ça ne doit pas être grand-chose…
Votre contrat dure jusqu’à fin janvier 2023, date de l’élection du conseil d’administration. Arrivez-vous à vous projeter positivement jusque-là ?
On a quand même la chance de pouvoir organiser des évènements, avec même un peu plus de monde si on présente un concept sanitaire valable. C’est déjà ça, même si on se demande parfois si ça en vaut bien la peine…
D’autres trouvent des solutions : il y a quelques jours, la Schierener Musek a fait un concert vite complet, du fait du nombre restreint de places. Du coup, elle va bientôt refaire le même, deux-trois villages plus loin. Les sociétés ont des idées, mais avouons-le : la pandémie est un frein.
Tout n’est donc pas si négatif…
Mais heureusement ! Dimanche (NDLR : hier), on va déjà montrer aux sociétaires les comptes de 2021. Ils ne sont pas si négatifs que cela, tout comme les prévisions pour 2022. Bon, on a toujours une légère perte, mais ça, ce n’est pas la fin du monde pour une fédération !
Et puis, on essaye d’avoir un bon état d’esprit : par exemple, on maintient au maximum les rendez-vous et on voit après si c’est possible ou non de les tenir. Il faut qu’on aille de l’avant ! C’est ce que je vais dire aux sociétaires : « gardez le cap et organisez tout ce que vous pouvez organiser ! ».
Vous êtes en poste depuis janvier 2019. Avec cette pandémie, vous n’avez pas eu le temps de souffler…
Vous ne pouvez pas vous imaginer ce que je peux parfois endurer : les mécontentements, les insultes, les reproches… Pourtant, le virus ne vient pas de nous, ni les règles sanitaires ! Certains disent que l’on ne fait pas assez auprès du ministère de la Culture pour alléger les mesures.
Soit, mais pourquoi personne ne se remonte les manches et ne vient, en tant que bénévole, aider la fédération ? On a eu trois assemblées régionales en décembre et, dès qu’on parle de postes à pourvoir, on entend les mouches voler…
Est-ce des cas minoritaires ?
Oui, évidemment, mais on est là pour tout le monde ! Mais s’il y a bien une généralité, c’est que le bénévolat se perd, d’année en année.
Si demain la pandémie est réglée, quel sera le message que vous allez faire passer ?
Si demain on ouvre les portes, je dirai aux sociétaires de faire ce qu’ils veulent et, dans la mesure des choses, on les soutiendra ! Il serait temps que ça s’arrange : dans un village, une société de musique, de chant, de danse ou de théâtre est essentielle. Sans elle, il n’y a plus de vie !
Idem quand on parle d’écoles de musique présentes sur 52 communes, avec quelque 5 000, 6 000 jeunes élèves pour qui les cours sont tenus malgré toutes les difficultés. Et puis, quelle joie ce serait de se retrouver à dix autour d’une table, un verre à la main et le bras sur l’épaule d’un ami, à fêter, tout simplement. La raison, on la trouvera. Et on dira merde à la pandémie !
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