La première librairie Ernster a ouvert en 1889. Véritable success story, l’enseigne, qui a su s’adapter aux évolutions sociales et technologiques, compte aujourd’hui neuf boutiques à travers le pays.
Il y a fort longtemps, dans le Grand-Duché de Luxembourg, au cœur de la vieille ville, un enseignant décide d’ouvrir une petite librairie… L’histoire a tout du conte de fées que l’on peut retrouver sur les étagères des librairies Ernster, avec ses péripéties et son aboutissement heureux.
Elle démarre en 1889, lorsque l’arrière-grand-père, Pierre, enseignant de métier, habitué à écrire des manuels scolaires et d’autres livres en français, devenu au fur et à mesure coauteur, puis éditeur, décide de passer de l’autre côté du miroir et d’ouvrir sa propre librairie généraliste, au centre-ville de la capitale, où se situe encore le magasin actuel.
L’enseigne résiste à la guerre
La guerre, tant la première que la deuxième, malgré quelques rebondissements, n’aura pas raison de l’affaire familiale – le clan a su se serrer les coudes quand certains membres ont eu maille à partir avec les Allemands.
« Le frère aîné de mon père avait 18 ans au moment où la Deuxième Guerre mondiale a éclaté. Il aurait dû être enrôlé de force, alors il a été caché. L’occupant a interrogé ma grand-mère, qui était déjà veuve à l’époque, à la Villa Pauly [NDLR : le bâtiment, situé boulevard de la Pétrusse à Luxembourg, a été le quartier général de la Gestapo d’août 1940 à septembre 1944]. Comme mon oncle était introuvable, en punition, ma grand-mère et mon père ont été déportés en Allemagne. C’est ma tante qui s’est occupée de la librairie pendant ce temps », raconte Fernand Ernster, arrière-petit-fils du fondateur de la librairie Ernster et aujourd’hui grand patron de l’entreprise.
Peu de détails filtreront de ces époques trop douloureuses pour être rapportées. Une missive retrouvée un peu par hasard indiquera que les ouvrages étaient déjà vendus dans plusieurs langues. « D’après la mémoire dont je dispose, nous avions des livres dans au moins deux langues, voire trois : l’anglais était certes moins représenté, mais ma grand-mère a envoyé une lettre aux autorités de l’occupant pour leur demander l’autorisation d’écouler son dernier stock d’Edgar Wallace. L’occupant interdisait alors toute vente de livres non allemands, même les ouvrages luxembourgeois, et surtout ceux en français et en anglais !»
Le virage numérique
À l’époque, et pour de nombreuses décennies, la librairie Ernster, aujourd’hui la plus importante du pays, ne sera qu’une librairie parmi tant d’autres. Mais Fernand Ernster, qui intègre la boutique en 1984, à l’âge de 24 ans, dispose de plusieurs atouts : il a la fibre commerciale et une véritable passion pour le digital. « Avant même qu’internet ne soit accessible au grand public, j’utilisais le réseau CompuServe pour chatter. Dès 1988, on a basculé sur un système de gestion informatisé, ce qui a d’ailleurs été très difficile pour mon père.»
Aujourd’hui, la librairie Ernster, qui a su prendre le virage numérique, dispose également d’un site de vente en ligne. Mais les magasins physiques n’en ont pas pour autant été délaissés et se sont même multipliés. L’enseigne compte désormais neuf points de vente, qui ont été adaptés aux nouvelles pratiques des consommateurs, en intégrant notamment des grands centres commerciaux.
La toute dernière boutique en date a d’ailleurs été inaugurée il y a un peu plus d’un mois dans le centre commercial Cloche d’Or, à Luxembourg. Le lieu, moderne et chaleureux, a vocation à également accueillir des conférences et des séances de dédicaces, et dispose d’un espace café. « Ce n’est pas une activité pour faire du chiffre », précise le patron, qui voit plus cet espace comme une « offre complémentaire », assurant une atmosphère particulière.
Plus de 80 employés
Fernand Ernster n’hésite pas à explorer de nouvelles pistes (il compte tester l’achat en libre-service) et à prendre des risques pour développer son affaire. Certains lui ont réussi, d’autres moins (il a dû fermer la librairie d’Esch; un contrat avec un promoteur à Belval n’a pas abouti). « Je dirais que je suis un entrepreneur, et les échecs font partie du succès. »
Mais il reste à l’écoute des clients et de ses collaborateurs, qui l’ont par exemple convaincu d’ouvrir une boutique à Ettelbruck.
Ce passionné de deux-roues n’a pas peur de foncer et est parvenu à propulser vers le succès sa firme. L’entreprise, qui vend aussi en gros, a dégagé en 2017 15 millions de chiffre d’affaires et emploie plus de 80 personnes.
Tatiana Salvan