Le grand rhinolophe, qui a trouvé le long de la Moselle une terre de prédilection, est une espèce devenue très rare en Europe. Mais attention, l’équilibre est fragile.
Les chauves-souris sont utiles et ne dérangent personne, mais leurs effectifs sombrent depuis 50 ans, puisque l’homme s’entête à éradiquer plus ou moins sciemment leurs habitats. Heureusement, quelques passionnés (dont Jacques Pir) travaillent à leur sauvegarde.
Le grand rhinolophe tient son nom de la forme de son nez, en fer à cheval. Il s’agit de l’espèce de chauve-souris la plus grande qui existe au Luxembourg. Mais si son envergure peut atteindre les 35 centimètres, elle ne pèse pas plus de 35 ou 40 grammes.
«Depuis une cinquantaine d’années, c’est une espèce dont la population est en chute libre. Il n’y en a plus aux Pays-Bas, quelques dizaines seulement en Allemagne, en Autriche ou en Suisse. Le Grand-Duché, lui, peut se targuer de disposer de la colonie située la plus au nord-ouest de l’Europe», explique Jacques Pir, fin connaisseur du grand rhinolophe.
Le hic, c’est qu’il n’y a qu’un seul gite dans tout le pays… Mais avec 160 femelles et une centaines de jeunes, il abrite plus d’individus que l’ensemble des pays cités plus haut.
Si cette colonie est en pleine santé et que ses effectifs ont triplé depuis 1993, ce n’est pas le fait du hasard. Pendant des décennies, Pierre et Annie Gudendorf-Geimer (les propriétaires de la maison où crèchent les chauves-souris) ont été aux petits soins. Aujourd’hui, le couple vit dans une maison de retraite et c’est l’État qui a acheté la bâtisse. Les grands rhinolophes et les murins à oreilles échancrées qui y cohabitent peuvent dormir tranquilles!
La question du gîte d’été est réglée, mais elle ne fait pas tout. Elle ne résout qu’un tiers du problème. Car les chauves-souris ont également besoin d’un gîte d’hiver et d’un territoire de chasse. L’endroit où elles hibernent n’est pas précisément connu. «Elles doivent passer l’hiver dans des carrières, des mines de gypse ou peut-être même dans un fort de la ligne Maginot», avance le professeur de biologie.
Ce lieu n’est de toute façon pas très éloigné, parce que les grands rhinolophes ne sont pas très voyageurs. «En général, la distance entre le gîte d’été et le gîte d’hiver ne dépasse pas 20 kilomètres», précise Jacques Pir.
Reste donc le territoire de chasse. Et là, autour de leur grange, c’est le rêve. Juste derrière la Moselle, elles trouvent tout ce dont elles ont besoin : des pâturages, des vergers, des vignes, des bosquets… Bref, un paysage riche de structures variées où elles peuvent dénicher les insectes qui composent leurs repas.
Ce biotope est malheureusement devenu rare et il faut le préserver (voire l’élargir) pour que la colonie en pleine croissance puisse y puiser assez de nourriture. «Nous incitons les agriculteurs à signer des contrats de biodiversité sur leurs prairies. Contre des subventions, ils s’engagent ici à planter des vergers et à y faire paître du bétail», avance-t-il.
Ces deux éléments combinés sont parfaits. «Les grands rhinolophes chassent à l’affût, ce qui n’est pas courant chez les chauves-souris. Elles se suspendent aux branches basses des arbres et, avec leurs ultrasons qui sont efficaces jusqu’à sept mètres, elles localisent leurs proies avant de fondre sur elles», éclaire Jacques Pir. Voilà pourquoi la présence d’arbres dans un environnement relativement dégagé est intéressante.
Mais pourquoi la présence du bétail est-elle importante? «Pour deux raisons, répond le collaborateur scientifique du musée national d’Histoire naturelle. Tout d’abord, l’herbe rase permet aux chauves-souris de mieux voir les insectes qui se déplacent. Et puis, il y a quelques choses d’essentiel : les bouses de vaches. Elles attirent de gros coléoptères qui s’y nourrissent et ces insectes sont un mets de choix pour les chauves-souris.»
Apparaît ici un problème annexe : les vaches sont désormais vermifugées par des produits qui, de fait, ne laissent plus beaucoup de nutriments aux coléoptères…
La colonie luxembourgeoise, installée de longue date dans un environnement préservé, est donc précieuse. À tel point que, bien qu’aucun exemple de création de colonie n’ait jamais été observé, les Allemands comptent sur elle pour repeupler outre-Moselle! La préserver est donc une priorité, mais pour Jacques Pir «la protection du grand rhinolophe ne sera acquise que lorsque toute la population locale sera impliquée». Sous-entendu, ce n’est pas complètement le cas… «C’est vrai, il faut parfois discuter longuement pour se faire comprendre…, reconnaît-il. Mais nous savons de quoi ont besoin les chauves-souris, donc, apporter les solutions est uniquement un choix politique.»
Heureusement, et la bonne santé de la colonie est là pour le démontrer, les mentalités sont en train d’évoluer dans le bon sens. Mais l’équilibre reste très précaire et tout retour en arrière serait catastrophique. Les experts estiment que depuis les années 1950, 90 % des chauves-souris d’Europe ont disparu. Il est donc plus que temps d’œuvrer pour elles.
Erwan Nonet
Lire aussi : [Les succès de l’écologie] Dure, la vie de chouette