Le long de l’Our, dans le sable accumulé au fil du temps dans le moulin à grains, des ouvriers ont trouvé en 1910 nombre d’objets appartenant au bailli en chef du comté de Vianden, Haug van Wilpurch. En 1566, celui-ci les a cachés lorsqu’il a dû quitter précipitamment sa circonscription pour aller se réfugier aux Pays-Bas.
C’est un évènement politique de première importance à l’échelle européenne qui a causé la constitution du trésor de Vianden. Alors que le très catholique Philippe II, roi d’Espagne, compte imposer sa vision du monde à toutes ses possessions, Guillaume d’Orange, prince de Nassau, gouverneur des provinces de Hollande, Zélande, Utrecht et Bourgogne, comte de Vianden, pourtant jusque-là son fidèle allié, s’oppose et choisit de l’affronter.
Guillaume se pose ainsi en défenseur des libertés héritées des ducs de Brabant et Bourgogne, une position forte qui en fera l’homme à l’origine de l’indépendance des Provinces-Unies (les Pays-Bas du Nord). Père de la patrie néerlandaise, c’est en son honneur qu’a été écrit dès 1574 Het Wilhelmus, l’hymne actuel des Pays-Bas qui est également l’hymne de la Maison grand-ducale luxembourgeoise.
Cette crise prend une tournure irréversible en 1566, lorsque Guillaume, pourtant de confession catholique, refuse catégoriquement de suivre les ordres du fils de Charles Quint qui veut lancer une répression massive contre les protestants, nombreux dans les Pays-Bas. Cette année-là, Guillaume – qui n’est pas encore appelé le Taciturne – prend la tête de l’insurrection contre l’occupant espagnol. Dès lors, il est logiquement déclaré hors la loi par Philippe II. Ses biens sont confisqués et il est accusé de crime de haute trahison. La Guerre de 80 ans entre les Pays-Bas et l’Espagne (également appelée la révolte des Gueux), débutera deux ans plus tard. Lorsqu’elle s’achèvera, en 1648, la république des Provinces-Unies – incluant la Hollande, la Zélande, Utrecht, la Gueldre, Overijssel, la Frise, et Groningue – sera reconnue comme un État indépendant.
Des pièces en argent et des bagues en or
Que vient faire le trésor de Vianden dans ce rééquilibrage géopolitique européen ? Eh bien, il n’est rien de moins qu’un témoin central du début des hostilités ! Il est très rare que le propriétaire d’un trésor soit aussi facile à identifier. En effet, dans les sables accumulés au fond du moulin à grains (aujourd’hui disparu) du château de Vianden, sur les bords de l’Our, c’est un peu sa carte d’identité que Haug van Wilpurch a cachée.
En décembre 1910, lorsque M. Nossbuch décide de remplacer la roue en bois du moulin par une turbine produisant de l’électricité, il ne se doute pas que cet élan de modernité va le ramener dans le passé, trois siècles et demi plus tôt. En travaillant, les ouvriers tombent en effet sur une grande quantité d’objets anciens. Dans le sable, ils mettent la main sur des monnaies en argent (en nombre aujourd’hui inconnu), une bague à cacheter en or et cristal de roche, trois autres bagues en or dont une est sertie d’une turquoise, un cachet en argent, une cuillère en or… La découverte de restes de planches et de charnières et appliques en fer forgé à proximité immédiate semble indiquer que l’ensemble devait être regroupé dans des caisses en bois.
Le petit miracle est d’avoir retrouvé les deux cachets car ceux-ci portent les armes et le nom de leur propriétaire : Haug van Wilpurch. Ces objets permettaient à celui qui était alors le bailli en chef de Vianden d’authentifier les documents qu’il signait. Le bailli était un homme important, c’était lui qui était chargé de représenter le souverain dans sa circonscription. Il exerçait le pouvoir administratif et militaire par délégation et disposait également des attributions judiciaires.
Biens cachés mais jamais récupérés
De par sa fonction, le bailli est nécessairement très lié à son souverain, c’est un fidèle. Et lorsque celui-ci est voué aux gémonies par le roi lui-même, comme cela a été le cas entre Guillaume de Nassau et Philippe II, sa situation se complique très sérieusement. Sa vie est assurément menacée. C’est donc dans une précipitation née de l’opposition entre le roi d’Espagne et le prince de Nassau, que Haug van Wilpurch est allé cacher toutes les possessions qui signaient son identité (la cuillère en or portait également ses armes) dans le moulin à grains. Mais devant l’envenimement de la situation et le début de la Guerre de 80 ans, celui-ci n’a jamais été en mesure d’aller récupérer ses biens… On sait toutefois que Haug van Wilpurch n’a pas été oublié par Guillaume d’Orange. Loyal, le prince de Nassau a ordonné à ses conseillers de Breda de lui payer une pension le 1er mars 1567.
À Vianden, les cartes sont alors redistribuées. La rébellion de Guillaume de Nassau profite au comte Pierre-Ernest de Mansfeld, fidèle à la couronne espagnole. Il se voit attribuer le domaine de Vianden, mais aussi ceux de Dasbourg, Saint-Vith et Butgenbach. Le nom du nouveau bailli en chef apparaît en 1570 lorsque Jacques de Raville s’installera sur le fauteuil de Haug van Wilpurch.
Selon Raymond Weiller (La Circulation monétaire et les trouvailles numismatiques du Moyen-Âge aux temps modernes au pays de Luxembourg), les ouvriers ont vendu les cachets et plusieurs bagues aux receveurs des contributions de Vianden, Norbert Bach. Une bague a été gardée par M. Nossbuch, mais elle lui a été dérobée. Les pièces d’argent, elles, ont été remises en grande partie à l’instituteur de la cité, M. Probst. On ne sait pas ce qu’elles sont devenues.
Aujourd’hui, on peut toujours admirer les très belles bagues, des objets très rares dans la région, et le cachet au Cabinet des Médailles du musée national d’Histoire et d’Art. Lorsque l’on connaît le roman de ce trésor qui se lit comme un livre ouvert, on les regarde forcément différemment.
Erwan Nonet
Intéressant !