L’ADN de Terroir Moselle porte les chromosomes des trois frontières. Avec le projet Via Mosel’, le GEIE va ainsi permettre, sous l’angle de l’architecture viticole, de visualiser toute la rivière en un coup d’œil.
À l’automne 2019, Le Quotidien revenait sur une autre grande idée portée par le Groupement d’intérêt économique européen (GEIE) Terroir Moselle, qui réunit les trois pays baignés par le cours d’eau et qui est basé à Grevenmacher : porter la candidature de l’espace géographique et culturel complexe autour de la rivière, de sa source à Remiremont jusqu’à sa rencontre avec le Rhin, au Patrimoine mondial de l’Unesco. Les travaux préparatoires étant tout sauf simples, on comprenait que le but était d’abord le chemin, soit l’idée de travailler ensemble entre Allemands, Luxembourgeois et Français.
L’Allemand Rolf Haxel (membre du Groupe d’action local Leader Miselerland et de Terroir Moselle) expliquait lors de la présentation du projet : « Mosel, Musel, Moselle… L’important n’est pas comment on le dit, mais les acteurs qui y vivent. Pendant longtemps, je pense évidemment aux deux guerres mondiales, nos relations ont été très difficiles mais désormais, il ne fait plus aucun doute que la Moselle est notre fleuve à tous. Nous avons des amis de tous les côtés ». Cette déclaration du 25 octobre 2019 aurait pu être reprise in extenso jeudi dernier, à la présentation du nouveau projet.
La grande idée de Via Mosel’ est de créer une offre touristique cohérente qui unifie les trois pays, tout au long du cours d’eau. Dès l’énoncé, on se rend compte de l’enjeu tant les différentes rives ne partent pas au même niveau. Le tourisme est développé depuis très longtemps en Allemagne où Bernkastel-Kues, Traben-Trarbarch ou Cochem sont des sites reconnus et très visités. Bien plus populaires que toutes les localités de la Moselle luxembourgeoise, qui le sont elles davantage que les françaises.
Déjà une centaine de sites répertoriés
Pour donner de la cohérence à cette proposition, Via Mosel’ a décidé de travailler sur le thème de l’architecture, mise en relief par l’activité viticole. « Le vin est le trait d’union entre les trois pays et l’architecture qui lui est dédiée a beaucoup de choses à offrir aux visiteurs », insiste le président luxembourgeois de Terroir Moselle, le viticulteur Marc Weyer.
L’architecture est ici considérée au sens large, comme le précise la gérante de Terroir Moselle, Ségolène Charvet : « Les domaines viticoles installés dans d’anciennes bâtisses au cœur des villages comme les caves modernes implantées dans les vignes ces dernières années peuvent adhérer à Via Mosel’. Des villages entiers nous ont également rejoints ». Au total, une soixantaine de domaines et une quarantaine de villages sont passés sous les fourches Caudines d’un jury d’experts composé de spécialistes des trois pays. « La liste n’est pas close et toute nouvelle candidature est la bienvenue », souligne-t-elle.
Concrètement, Via Mosel’ sera visible très bientôt grâce à une carte sur papier disponible un peu partout et un site web (ainsi qu’une app) en cours de finalisation qui comprendra une carte interactive reprenant l’ensemble des sites à visiter, des informations pratiques et un agenda de toutes les manifestations. Un compte Instagram et une page Facebook seront également prochainement activés. « Notre cible, ce sont les voyageurs individuels qui veulent se débrouiller eux-mêmes pour organiser leur périple et choisir les endroits qu’ils veulent découvrir », reprend Ségolène Charvet.
Enfin, des guides touristiques seront spécialement formés aux questions portées par la thématique. Environ 25 l’ont été lors d’une première session, et l’audience s’élargira progressivement. Bien entendu, ces guides sont allemands, luxembourgeois et français. À l’heure où la question des frontières de la Grande Région (et les autres) redevient sensible, cette initiative qui prône l’ouverture et la découverte entre voisins est particulièrement réjouissante.
De notre collaborateur Erwan Nonet
De multiples visages
Des Vosges au Rhin, la Moselle court sur 545 kilomètres et traverse trois pays. Elle est viticole entre Toul (à la latitude de Nancy) et Coblence, où elle se jette dans le Rhin. Si cette viticulture, héritée de l’Antiquité romaine, est un point commun qui relie ses riverains sur les trois pays, la Moselle offre une grande diversité de paysages. Eve Maurice, vigneronne du domaine Les Bélier à Ancy-sur-Moselle (près de Metz), rappelait jeudi que « les sols calcaires étaient plus jeunes en France qu’en Allemagne et au Luxembourg ». L’histoire plus récente du vignoble est également fondamentalement différente. Longtemps très travaillée, la vigne lorraine a perdu toute sa main-d’œuvre lors de la révolution industrielle, alors qu’un grand nombre de bras étaient requis dans les mines et la sidérurgie. Aujourd’hui, le paysage qui a perdu ses coteaux s’est largement reboisé. Rien à voir avec les vignes plantées sur tous les terrains, même et surtout les plus en pente comme celui de Calmont (à Bremm, en Allemagne), qui porte les vignes les plus abruptes du monde (65°).
Schiste au nord, calcaire au sud : cette distinction se retrouve dans les vins mais aussi dans l’architecture. On ne construit pas de la même façon avec la roche métamorphique sombre reine en Allemagne ou avec la roche sédimentaire claire caractéristique au Grand-Duché et en France. Sans compter que le rendu est totalement différent !
Néanmoins, la conception du bâti est sous-tendue par des contraintes semblables tout au long de la rivière. Ainsi, les villages sont ramassés et les maisons étroites et collées les unes aux autres pour que l’aire urbanisée soit la plus petite possible afin de laisser la place aux terres cultivables. L’agriculture est alors extensive et il faut de la place pour produire ce qui permettra de nourrir la population. Seules les localités qui sont depuis longtemps de grands centres commerciaux échappent à ce théorème. À Traben-Trabach, par exemple, on gagne davantage à vendre qu’à produire et cela se retrouve dans le plan de la ville. Voilà, par exemple, ce que l’on pourra apprendre en suivant les pas proposés par Via Mosel’.
Le tourisme, les douanes aussi…
La situation, à cheval sur trois frontières, est une formidable richesse pour qui veut s’en accommoder. Mais il faut bien reconnaître qu’elle peut être aussi une source d’infinis tracas. Les vignerons le savent bien. La notion de frontière est loin d’être anecdotique lorsque l’on produit et que l’on vend son vin. En effet, l’alcool ne peut passer librement d’un pays à un autre. Soumise à des accises, dont les taux sont différents entre les États, chaque bouteille qu’un vigneron envoie par-delà les frontières doit être renseignée à la douane compétente, les formalités étant différentes selon le pays de destination. Même si le flacon ne fait que traverser la rivière pour être débouché sur l’autre rive.
Déminer cette situation kafkaïenne est l’autre volet de Via Mosel’. « Il est impossible d’avoir l’ambition de réaliser une offre œnotouristique transfrontalière sans penser à la façon dont le client va pouvoir se procurer les bouteilles de ses vignerons préférés, notamment sur leurs boutiques en ligne, une fois rentré chez lui », avance Ségolène Charvet, gérante du Groupement européen d’intérêt économique (GEIE) Terroir Moselle, créateur de Via Mosel’. Un groupe de travail réunissant les douanes belges, françaises, allemandes et luxembourgeoises a été constitué pour étudier ce point, finalement assez fondamental.
Il en est sorti la publication d’un guide de 30 pages regroupant la marche à suivre pour tout faire dans les règles. Les procédures sont donc désormais explicites, mais toujours peu engageantes… L’idéal serait de parvenir à ce que toutes les parties se mettent d’accord pour simplifier les démarches sur un territoire transfrontalier qui resterait à définir. Mais là, la balle n’est plus dans le camp de Terroir Moselle.