Le droit de vote des étrangers et des jeunes n’est pas un dossier enterré. Les discussions se poursuivent, souvent en coulisses, et les députés pourraient finalement y être majoritairement favorables. Mais…
Le traumatisme du 80/20 est encore présent dans tous les esprits, mais l’ASTI continue la lutte. Le pouvoir a raté le coche en 2015 avec son référendum désastreux concernant la question du droit de vote des étrangers sous certaines conditions et de celui des jeunes dès l’âge de 16 ans. Mais le débat n’est pas clos, comme en témoigne la conférence organisée mercredi au Cercle Cité en ville dans le cadre du 40e anniversaire de l’Association de soutien aux travailleurs immigrés.
«Aucune personne raisonnable ne peut être pour le droit de vote des étrangers», déclarait Viviane Reding (CSV) en septembre 1987. Aujourd’hui, sous l’impulsion du président Frank Engel, son parti mène des discussions en interne après avoir fait campagne pour le «non» il y a cinq ans. Comme le rappelle l’historien Michel Pauly, «la solution du CSV avec la double nationalité ne tient pas à cause du solde migratoire et la minorité de votants le sera encore davantage parce que les chiffres ne mentent pas».
Même si le programme gouvernemental ne pipe mot sur le droit de vote des étrangers et des jeunes, la question que l’on croyait enterrée pour deux décennies au moins taraude toujours les politiques. Le député écolo François Benoy pense sincèrement que 60% des élus sont plutôt en faveur du droit de vote des étrangers, ce qui rejoint les résultats du sondage réalisé par l’ASTI sur un panel de Luxembourgeois et d’étrangers. Il faut préciser que ce chiffre tombe à 40% quand il s’agit des seuls électeurs luxembourgeois.
Et à y regarder d’encore plus près, comme l’a fait hier Tommy Klein membre de la direction de TNS Ilres, il s’avère que seuls 23% des Luxembourgeois se disent «tout à fait d’accord» à l’octroi du droit de vote des étrangers au bout d’une certaine durée de résidence. Ce qui reflète le résultat du référendum. Dans ce type de scrutin, il faut répondre par oui ou par non et les «plutôt d’accord» ont un choix difficile à faire.
«Aller de l’avant»
Ancien responsable de TNS Ilres, Charel Margue, autre député écolo à intervenir parmi le public lors de cette conférence, se souvient qu’en décembre 2014, sur la question du droit de vote des jeunes, une majorité était pour, tout comme une majorité de jeunes était favorable au droit de vote des étrangers. «Il y avait moins de peur, moins de bombardement de la campagne trois fois « non ». Ensuite, tout s’est emballé. La peur s’en est mêlée au point que les jeunes, pas si politisés qu’on veut nous le faire croire, ont vu leur opinion évoluer. Ils ont été pris par le doute et ont abandonné leur approche généreuse basée sur le vivre ensemble dans les classes, dans les bus, dans les associations. Ils ont finalement voté à deux tiers contre le droit de vote des étrangers», rappelle-t-il.
Charel Margue a le sentiment aussi que les députés sont prêts aujourd’hui à franchir le Rubicon. Ce qui intrigue et réjouit à la fois Michel Pauly. «D’où tenez-vous cette impression qu’actuellement à la Chambre une majorité de députés sont favorables au droit de vote des étrangers ?», interroge l’historien. «Des bruits de couloir», lui répond François Benoy. «Je trouve ça très intéressant que les représentants du pays aient une autre opinion que le pays lui-même. Je me demande si tel n’était pas le cas en 1919 lorsque le pays a accordé le droit de vote aux femmes», dit-il encore. Et de douter fortement qu’un référendum à cette époque l’aurait accordé.
«Je pense que les responsables politiques doivent parfois prendre des décisions au-dessus de la tête de leurs électeurs et de montrer, en allant de l’avant, que les effets ne sont pas ce que certains craignent», ajoute l’historien. Car c’est bel et bien la peur qui s’est installée au cours des dernières semaines d’une campagne timide et maladroite.
Cette peur, Ana Barreiro dit la comprendre. D’origine capverdienne, elle œuvre pour la promotion des inscriptions des étrangers sur les listes électorales et a longtemps résidé dans le nord du pays. «Les Luxembourgeois défendent leur identité et leur langue et j’ai appris tout de suite le luxembourgeois, car c’est important de pouvoir communiquer pour s’intégrer et je n’ai jamais connu de phénomène de racisme», témoigne-t-elle.
Un jeune homme dans la salle redoute de voir une partie de l’électorat tomber dans les bras de l’extrême droite si le gouvernement décidait de passer outre les résultats du référendum. «Nous savons que le déficit démocratique va s’accentuer et nous avons déjà une minorité d’électeurs dans le Centre. Mais tous les partis sont traumatisés par le 80/20. Ce référendum va continuer à nous bloquer pendant un certain temps. Il y a toujours un résultat dans l’air et une réalité qui nous dépasse», conclut Charel Margue.
Geneviève Montaigu
Inscription d’office
Laura Zuccoli, la présidente de l’ASTI, propose des pistes pour réduire le déficit démocratique du pays : «Nous avons posé la question de l’inscription d’office pour les étrangers sur les listes électorales parce que cela pourrait être une solution. Mais elle n’est pas possible à cause du vote obligatoire. On ne peut pas obliger les étrangers à s’inscrire car ils seraient automatiquement tenus d’aller voter. En revanche, l’ASTI est en train d’analyser la possibilité au niveau juridique européen d’une inscription d’office tout en offrant aux gens le choix de la refuser. C’est une question de droit international, mais ce serait une chouette solution. Il ne faut pas oublier que les étrangers peuvent se désinscrire d’une liste mais pas les Luxembourgeois.»
Communication politique
Natalie Silva, la bourgmestre CSV de Larochette d’origine capverdienne née au Luxembourg, est venue témoigner de son parcours. Elle se dit mitigée sur l’octroi du droit de vote aux étrangers. En revanche, elle conçoit très bien la difficulté pour les non-luxembourgophones de suivre la politique. Elle déploie des efforts pour assurer une traduction lors des réunions dans sa commune mais pense que cela devrait être plus largement répandu. Charel Margue a lui aussi une remarque à ce sujet : «Je n’ai jamais autant parlé luxembourgeois que depuis octobre 2018. Pendant 30 ans de vie professionnelle, j’ai parlé toutes les langues. Le monde politique au niveau de la Chambre des députés est un monde à part», admet-il.
La haine des jeunes
La conférence de mercredi était organisée en partenariat avec la Conférence générale de la jeunesse du Luxembourg (CGJL) et son directeur, Mike de Waha, a eu l’occasion de répéter que les jeunes savent très bien de quoi ils parlent en politique. La CGJL avait milité en faveur du droit de vote dès l’âge de 16 ans. Dans la foulée de la discussion sur les peurs en rapport avec le droit de vote des étrangers, Mike de Waha a tenu à rappeler qu’il existait aussi une haine envers les jeunes. «Quand on voit des chefs d’État avoir peur d’une jeune Suédoise de 16 ans…», remarque-t-il ironiquement. Il estime que les jeunes formulent des idées, mais que les adultes ne leur accordent aucun crédit.