La nouvelle appellation «crémant millésimé», qui sort cette année, séduit les producteurs. Ils voient là une opportunité de développer l’image de marque de la région.
Après la création de l’appellation «crémant de Luxembourg» en 1991, puis de l’Appellation d’origine protégée (AOP) en 2014, la viticulture luxembourgeoise poursuit la réorganisation de ses systèmes de croisement avec une nouvelle mention légale, celle de «crémant millésimé», qui est mise en place cette année. Ces bouteilles devront rester 24 mois sur lattes.
Si la décision vient d’en haut, la nouveauté n’a pas de mal à passer en bas. Globalement, les trois familles de producteurs (négociants, coopérative et vignerons indépendants) approuvent la démarche. «Nous trouvons ça très bien, note Antoine Clasen, des Caves Bernard-Massard à Grevenmacher. Le fait qu’une base légale existe est important.» Il estime que l’appellation permettra de conforter l’image haut de gamme de ces bouteilles produites uniquement avec les vendanges d’une année. D’ailleurs, la vente de ces cols connaît une forte croissance. «L’an passé, nous en avons vendu 50 000, annonce-t-il. C’est plus qu’en 2014 et beaucoup plus qu’en 2013. Peut-être est-ce dû aussi à la nouvelle étiquette rouge qui plaît beaucoup!»
Les crémants millésimés de la maison ne sont produits qu’à partir des vignes familiales, chaque année. Si l’appellation impose un repos sur lattes de 24 mois avant leur distribution, chez Bernard-Massard, cette période approche davantage les trois ans. «À cause des petites récoltes 2012 et 2013, nous sommes tombés à 24 mois, faute de stock, précise Antoine Clasen. Mais nous sommes en train de remonter pour rattraper l’objectif des 36 mois.»
Chez Vinsmoselle, le concept de l’appellation est également complètement accepté : «Roby Ley nous a demandé notre avis et nous étions tous d’accord, rapporte le président Henri Streng. Une certification de qualité en plus, c’est très bien!» Si les bouteilles millésimées ne concernent que «10 à 15 %» de la production, les méthodes de production sont déjà en accord avec les nouvelles règles, «nous n’aurons aucun problème pour obtenir ce label».
«On aurait pu aller plus loin encore»
Marc Desom (Domaine Desom, à Remich), souligne que la production de crémants millésimés est une habitude de la maison : «Nous en sortons depuis 10 ans.» La restauration apprécie particulièrement le caractère gastronomique de ces vins «moins dosés et plus vineux». Au domaine, les bouteilles marquées de l’année des vendanges restent 36 mois sur lattes. S’il voit plutôt d’un bon œil la démarche de la nouvelle appellation, il soutient toutefois que «cela ne permettra pas de vendre davantage de bouteilles et que cela obligera à remplir des dossiers en plus».
Les vignerons indépendants sont sans doute les plus sceptiques, même s’ils reconnaissent que l’effort va dans le bon sens. Jean-Marc Schlink (Domaine Schlink, à Machtum) estime que la durée d’immobilisation sur lattes est une marche trop haute à passer en une seule fois. «La législation passe de 10 à 24 mois, c’est trop, regrette-t-il. Il aurait fallu aller plus progressivement.» De fait, sans stock, il va falloir attendre deux ans avant de pouvoir distribuer des bouteilles porteuses de l’appellation. C’est problématique lorsque, comme au domaine Schlink, la moitié des crémants produits sont millésimés. «Nous nous y adapterons, mais cela va prendre du temps…», soupire-t-il.
D’autres indépendants n’ont même pas l’intention d’utiliser la nouvelle appellation. C’est le cas du Domaine Cep d’or, à Hëttermillen. Et pour cause, Jean-Marie Vesque ne vend que des crémants âgés au minimum de 18 mois, y compris ses bruts sans année. Une de ses cuvées phare est son crémant «36» qui, comme son nom l’indique, reste 36 mois sur lies. «C’est le style de la maison, avance-t-il. Les crémants ont plus de caractère lorsqu’ils ont vieilli. Les vins qui ne sont restés que 9 mois sur lattes sont très agressifs, comme de la limonade. Il faut leur donner un temps de repos, y compris après le dégorgement.»
Il juge toutefois que l’initiative est positive : «On entend toujours que nous avons un problème d’image de marque, cette appellation est donc intéressante à mon avis… même si on aurait pu aller plus loin encore.» Il rappelle ainsi qu’en Alsace, depuis 3 mois, la durée minimale d’élevage sur lie pour les crémants standards augmente d’un mois tous les ans. Preuve qu’il y a, sur cette question, un véritable enjeu pour toutes les régions productrices.
Erwan Nonet