Le passage à l’heure d’hiver dans la nuit de samedi à dimanche va perturber le sommeil des dormeurs. Le point avec le Dr Dirk Ulbricht, un neurologue qui exerce au laboratoire du sommeil du centre hospitalier Émile-Mayrisch.
Le changement d’heure au printemps et à l’automne fait l’objet d’un débat politique de longue date et devait être aboli depuis un certain temps. Il aura toutefois encore lieu cette année, sur la base d’une décision de l’Union européenne. Mais qu’en est-il de l’aspect médical et de son impact sur le sommeil des humains ? Éléments de réponses avec le médecin du CHEM.
Une consultation citoyenne avait montré qu’une majorité d’Européens voulait en finir avec le changement d’heure, mais il sera encore reconduit ce week-end.
Dr Dirk Ulbricht : Espérons que ce changement d’heure sera le dernier, car il ne sert à rien ! J’ai toujours trouvé très inutile le changement d’heure. Sur le plan de la consommation d’énergie, cela n’a jamais rien apporté, ou 0,2% d’économies tout au plus, il me semble. Alors, quel est l’intérêt de bouleverser des vies inutilement? C’est inutile.
Quel est votre avis sur l’impact psychologique du changement d’heure ?
On dit normalement qu’une heure de décalage horaire est supportée au bout d’une journée. Donc, techniquement, il n’y a probablement que très peu d’impact. Cela dit, l’impact subjectif peut s’avérer plus grand. En effet, on part le matin au travail et il fait sombre. Ensuite, lorsqu’on rentre chez soi, il fait de nouveau sombre. Le matin, il y a un peu plus de lumière, mais pour quelques semaines seulement : cela peut donc être un facteur psychologique en raison d’un changement de rythme. Par ailleurs, un être humain ne tolère pas cette interférence, par définition. Il y a plusieurs éléments qui entrent en compte. Les insomnies et les apnées du sommeil sont les maladies les plus fréquentes auprès des patients qui viennent me consulter. Certes, il y a d’autres maladies et troubles, mais ils sont beaucoup plus rares.
Vous êtes neurologue. Y a-t-il d’autres médecins spécialistes au sein du laboratoire du sommeil où vous exercez ?
Oui. Il y a également d’autres spécialistes et il y a des laboratoires du sommeil qui sont gérés par des pneumologues, car une grande partie d’entre eux traitent aussi bien les troubles de la respiration que ceux du sommeil. Il existe même des laboratoires du sommeil qui sont plutôt gérés par des psychiatres, parce que les dépressions et les angoisses jouent également un rôle très important. Exceptionnellement, il y a aussi des médecins ORL qui le font, également à cause de l’obstruction des voies respiratoires supérieures. En un mot : plusieurs disciplines médicales peuvent être impliquées. Tout dépend un peu de l’organisation de l’institution que l’on a.
Nous sommes débordés toute l’année
Avez-vous beaucoup de patients ?
Nous sommes débordés, et cela, toute l’année. Nous sommes en permanence en manque de places. Si l’on est au maximum de nos capacités de remplissage, en périodes de vacances se posent des problèmes de délais et cela nous empêche de réagir rapidement. Il s’agit d’un problème d’organisation qui existe partout, parce qu’un laboratoire du sommeil est coûteux en termes de matériel et surtout du point de vue du personnel.
Comment expliquer cet afflux de patients ? Est-ce dû au stress inhérent à une société trop exigeante qui nous demande d’aller toujours plus vite et d’être toujours plus performant ?
Il y a différents facteurs pour l’expliquer. Le stress évidemment fait beaucoup de mal. Beaucoup de personnes ne parviennent pas à déconnecter de leur journée de travail et se couchent en ayant leurs tâches professionnelles toujours en tête. Elles n’arrivent pas à bien se reposer. Bien que la recherche sur le sommeil ait avancé ces dernières décennies, le sommeil est quasiment inconnu, parce qu’on dort et que l’on a rarement quelqu’un qui reste éveillé à côté de soi. Par conséquent, on ne connaît pas beaucoup d’éléments sur le sommeil, finalement.
Mais des diagnostics et des troubles sont de plus en plus reconnus. Il faut d’abord poser un diagnostic afin de définir si l’on est en présence d’un trouble qui vaut la peine d’être traité ou bien d’une situation qui peut cesser de manière naturelle, voire s’il s’agit d’un sujet propre à des études médicamenteuses.
La recherche avance lentement, et j’estime que le besoin somnologique va plutôt augmenter à l’avenir. De plus, avec le vieillissement de la population, les probabilités de contracter des problèmes de santé augmente et cela interfère avec le sommeil. Des problèmes d’obésité peuvent par exemple apparaître. À un jeune âge, on est moins obèse, de manière générale, qu’à un âge avancé. Et l’obésité peut empêcher une respiration très profonde, par conséquent, on peut faire de petites hypopnées (NDLR : réduction de l’amplitude respiratoire qui provoque un manque d’oxygène dans le sang) dans le sommeil, qui peuvent se développer en apnées.
Les femmes de ménage au noir sont particulièrement touchées
Quels traitements et prescriptions sont adéquats ? Quels types de médicaments prescrivez-vous à vos patients ?
Cela dépend de la situation de troubles. Si celle-ci est très courte, on peut prescrire des somnifères classiques. Du point de vue de la dépendance, en cas d’insomnie chronique, on va plutôt s’orienter vers des antidépresseurs, des neuroleptiques, voire de la mélatonine. Mais ce qui important, c’est d’avoir une bonne hygiène de sommeil. Enfant, on s’est habitués à un rituel selon lequel le sommeil correspond grosso modo au tiers d’une journée. Il faut un rythme régulier concernant les levers et les couchers, tels les rituels qui calment et apaisent les enfants. Et même pour un adulte, je pense qu’il n’est pas honteux de dormir avec un petit ours en peluche. L’hygiène de vie est cruciale et peut impliquer l’aide d’un psychologue. Un humain ne peut pas fonctionner en se disant : « j’éteins l’ordinateur et je dors ».
Quelle est donc cette fameuse hygiène de vie à préconiser ?
Le tabac, l’alcool ou encore le café, soit tous les stimulants, sont fortement déconseillés à partir de l’après-midi et surtout après 16h. Le message à faire passer est que les gens atteints de troubles du sommeil doivent revoir leur style de vie, qui s’est parfois développé sur des décennies.
Avez-vous beaucoup de cas d’insomnie chronique aiguë parmi vos patients ?
Effectivement. Parfois, il n’existe pas de traitement dans ce genre de cas. Parfois cela intervient à la suite événements de la vie tels que le décès d’un proche. Si un père de famille décède d’un infarctus du myocarde et que la maman se retrouve seule avec deux enfants, par exemple, il y a un facteur objectif et on ne peut rien contre la vie, parfois. On peut prescrire des calmants et faire comprendre qu’il faut accepter de passer des nuits blanches en prévoyant que cela diminuera avec le temps. Fréquemment, il y a des tensions internes qui montent. Récemment, j’ai eu des patients en bonne santé et qui ont eu un passé normal, mais pour lesquels une tension interne existe dès le départ du fait de troubles psychotiques au sein de la famille. Ils ne connaissent pas une autre situation depuis leur naissance, donc, dans ces cas-là, il y a des difficultés. À ce moment-là, il faut consulter un psychologue qui puisse gérer des situations de stress chez des personnes déjà très susceptibles de stresser à la base.
Est-il humainement et médicalement possible de vivre sans jamais réussir à dormir ?
Non. Il n’y a pas de seuil défini par la médecine. Certaines personnes ont besoin de 10 à 12 heures de sommeil, d’autres moins. J’ai eu un patient qui était très performant professionnellement et qui avait un poste à haute responsabilité : il dormait trois heures par nuit ou passait des nuits blanches. Cela dit, il a toujours été performant au travail, et cela, jusqu’à ses 70 ans. Il y a donc une variation énorme entre les êtres humains face à cette question. Rien n’est bien défini. Des statistiques disent que les fameuses huit heures de sommeil seraient la norme idéale autour de 20 ans, avant que le nombre d’heures diminue avec l’âge. Est-ce une réflexion physiologique ou en relation avec une vie bien cadrée ? Cela dit, de manière générale, on dort moins depuis l’émergence de l’électricité et de moins en moins depuis les smartphones et autres écrans… Personne ne sait exactement quelles sont les conséquences de ce déficit de sommeil, sachant que des processus ont lieu au cours du sommeil au niveau de la mémoire, comme la préparation de la prochaine journée ou le nettoyage du cerveau. Il y a des dégâts probablement dans le sommeil profond.
Les victimes d’un burn-out sont-elles plus exposées aux insomnies ?
Si le patient est à bout et qu’il est tombé dans un burn-out, c’est déjà presque trop tard. Il faut agir avant, lorsque l’on remarque que ce que l’on s’imagine de la vie ne correspond plus à ce qu’on fait réellement. À ce moment-là, il faut changer de style de vie et de travail si possible. Il faut bien comprendre que souvent les patients les plus atteints sont ceux qui travaillent en bas de la société. Les femmes de ménage qui travaillent au noir, par exemple, et qui donc ne sont pas protégées socialement sont particulièrement touchées. Et tout le monde le sait. Elles ne peuvent être en arrêt maladie, car elles ne peuvent pas être arrêtées. Cela dit, toutes les couches de la société sont touchées.
Entretien avec Claude Damiani
Quelles sont les fonctions du laboratoire du sommeil ?
Le laboratoire du sommeil du CHEM a été créé «pour répondre aux traitements des anomalies du sommeil qu’on peut capter», explique le Dr Dirk Ulbricht. Le neurologue ajoute : «Nous regardons la structure du sommeil au niveau des courants du cerveau. On analyse évidemment des activités moteurs, donc musculaires, au niveau des jambes, entre autres. Il y a des maladies et des paramètres qui sont définis comme cela.» Par ailleurs, le laboratoire effectue des enregistrements de la respiration et réalise des électrocardiogrammes (ECG) afin de savoir si un patient fait des apnées du sommeil. Auquel cas il connaîtra au cours de la nuit des réveils de courte durée pour pouvoir reprendre sa respiration.