Quand un frontalier assiste à son premier match au stade de la Frontière… il trouve que ça a de la gueule ! Le match «test» Jeunesse-Dudelange (1-2) s’est déroulé vendredi 4 mars. Récit d’un de nos journalistes fraîchement débarqué.
À quoi ressemble un match de BGL Ligue pour un étranger? Quand j’entre dans le stade de la Jeunesse d’Esch vendredi soir («stade de la Frontière», idéal pour un frontalier…), Dudelange mène 1-0. La deuxième mi-temps commence. Je suis surpris de voir que l’entrée est gratuite après 45 minutes : Jeunesse-Dudelange, le quatrième contre le premier, ça n’est pas rien! Dire qu’au FC Metz, je paye 20 euros pour des matches du même niveau…
À peine arrivé, je trouve l’infrastructure pleine d’âme. L’enceinte, debout depuis 1920, respire le foot. Avec ses deux tribunes jouxtant les maisons ouvrières du quartier Terres Rouges, on dirait un stade de Subbuteo, à l’anglaise, proche du terrain. Je me colle derrière la barrière avec une bière, près du portier eschois, Oberweis.
Voir des footballeurs jouer de si près, c’est une sensation qu’on ne connaît plus dans les stades modernes et aseptisés! Dudelange pousse, Oberweis multiplie les claquettes miraculeuses (notamment sur coup franc, quel spectacle!), je me régale. J’ai le sentiment d’assister à un moment typiquement luxembourgeois, et ça me plaît. Le public ne chante pas, mais vibre en connaisseur : tacles (très) appuyés, passes en profondeur qui fusent à ras de terre… autant de gestes salués.
Comme un gamin, pour profiter de l’instant à fond, je me rends à la cahute du supporter. Je veux un maillot à 60 euros, mais la caissière ne prend pas la carte. Tant pis, ça sera un fanion «Supporter club 80 Joer» à dix euros… Ce talisman fait effet directement : à peine suis-je revenu à la barrière, la Jeunesse égalise! Une tribune explose de joie, celle d’en face reste vide. Il n’y a que 1 000 spectateurs ce soir-là, sur 4 000 places, me dit-on. J’interroge deux jeunes sur les raisons de cette désaffection. Ils évoquent la pluie et changent de sujet. Ils m’expliquent qu’ils sont fans de l’AS Jeunesse (fondée en 1907) « depuis tout petit », qu’ils auraient pu choisir le Fola (1906), l’autre club eschois, mais qu’on se décide souvent pour « le club de papa ».
La séduction des clubs étrangers
Ils m’assurent que ce n’est plus une question de quartier ou de classe ouvrière, la Jeunesse étant le club historique des sidérurgistes et des immigrés italiens (d’où les couleurs de la Juve). « Ça, c’est fini .» Cette mise au point ne répond pas à ma question : -« Pourquoi, à part la pluie, le stade n’est pas plein? » -« Tu aurais dû venir il y a dix ans, il y avait plus de monde… Aujourd’hui, les Luxembourgeois sont attachés à leur club de l’étranger. » Comprendre, le club que chacun se choisit dans un autre championnat.
Bien souvent, Benfica ou Porto pour les Portugais, la Juve ou Milan pour les Italiens, les clubs allemands pour les Luxembourgeois «de souche». À mon grand désespoir, la France ne séduit pas, alors que nous sommes à la frontière… française! Mon interlocuteur, lui, est fan de Dortmund. « S’il y a un match du Borussia à la télé et un match luxembourgeois en vrai, je préfère la télé .» Un autre estime que « les joueurs de BGL Ligue sont trop mercenaires aujourd’hui, on s’attache moins .»
Malheureusement, c’est le cas partout… Je trouve ça dommage. J’ai l’impression de retrouver du vrai foot ici, mais autour de moi, le regard est teinté de nostalgie. La discussion est interrompue, la Jeunesse encaisse un second but. Le supporter dudelangeois d’à côté m’agrippe l’épaule : « Tu vois l’ami, c’est pour ça que je supporte le F91! » Je serre mon talisman dans la poche. La Jeunesse pousse, le match est superbe, lancé vers l’avant, avec une intensité rare. Ça fait un bail que je n’ai pas vu du foot pareil !
Le coup de sifflet final tombe trop vite, il faut déjà rentrer. J’ai envie d’appeler mon frère, pour lui raconter, mais j’attendrai de repasser sur le réseau français. En partant, je laisse passer un couple. Lui marche en s’appuyant sur une canne, malgré son manteau floqué «Jeunesse». Elle est emmitouflée dans un gilet rose. Je les trouve émouvants. Je me dis que ça doit faire 50 ans qu’elle le suit au stade, par amour, parce que cette équipe compte beaucoup pour lui. Et ça, c’est aussi le vrai football.
Hubert Gamelon