L’ONG Fairtrade Lëtzebuerg et la commune de Larochette se sont associées pour monter une exposition permanente sur le thème du textile d’hier à aujourd’hui.
Pendant 640 ans, Larochette a été l’un des centres de la production textile du Luxembourg, jusqu’ à l’ouverture à la concurrence européenne qui a marqué la fermeture des dernières fabriques textiles de la commune dans les années 70 et 80. Aujourd’hui, seul un musée témoigne de ce passé industriel-là. Installé en 1984 dans l’annexe de l’ancienne gare ferroviaire, en plein centre-ville, ce musée ne se «visite» que de l’extérieur. C’est par les baies vitrées que l’on peut en effet admirer les anciens métiers à tisser et autres machines à coudre sauvegardées par Georges Ginter, le fils des propriétaires des Draperies de Larochette, fondées en 1856 et qui ont baissé le rideau en 1970.
Mais bientôt le musée va retrouver une deuxième jeunesse et plonger de plein pied dans la modernité : l’ONG Fairtrade Lëtzebuerg et la commune de Larochette ont en effet signé une convention qui vise à mettre en place une exposition permanente intitulée «D’Textilindustrie vu Gëschter a vun Haut», ou l’industrie textile d’hier à aujourd’hui.
Le projet, né dans le cadre de la campagne de sensibilisation aux enjeux du secteur textile «Rethink your clothes», devrait voir le jour au premier trimestre 2022 et prévoit le réaménagement du musée pour proposer des visites interactives et ludiques. Des ateliers de sensibilisation à l’industrie textile actuelle, de découverte d’alternatives pour une consommation plus responsable de la mode ou encore d’apprentissage de la couture à partir de coton équitable par exemple seront également organisés au sein du manoir de Roebé, qui héberge désormais l’administration communale.
«L’idée est de faire entrer les visiteurs à l’intérieur du musée. Nous allons donc le réaménager pour le rendre plus attractif et intégrer des éléments digitaux, comme des interviews de personnes qui ont connu l’époque des manufactures textiles afin qu’elles transmettent leur vécu», explique Jaylson Ribeiro, le project manager de la campagne «Rethink your clothes» pour Fairtrade Lëtzebuerg.
Patrimoine et sensibilisation
L’initiative vise en effet deux objectifs : mettre en valeur le patrimoine industriel du village tout en sensibilisant le public aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux de la filière textile actuelle.
«C’était important pour nous de refaire vivre le musée et aussi de montrer comment par le passé les gens ont pu vivre du textile, qui a apporté beaucoup de richesses à Larochette, alors qu’aujourd’hui les gens de cette industrie sont exploités», résume Natalie Silva, la bourgmestre de Larochette.
Une nouvelle vie pour le musée dont se réjouit le propriétaire des machines textiles Georges Ginter : «Je suis très content de ce projet, cela me donne de l’espoir quant à la survie du musée !». C’est grâce à sa ténacité que ce patrimoine a pu être sauvegardé et exposé au public. «Aux Draperies de Larochette, nous fabriquions entièrement le tissu, depuis la laine jusqu’à l’étoffe. Lorsque la fabrique a fermé, les bâtiments ont été reconvertis en appartements. Mais après une conférence sur la culture organisée à Larochette il y a une quarantaine d’années, on s’est rendu compte que d’ici 20 ans plus personne ne se souviendrait de ces métiers».
Georges Ginter refuse que se perde la mémoire de ce passé. Il obtient l’accord du bourgmestre d’alors d’installer des machines témoins de cette époque dans le hangar de la gare, à condition que cela ne coûte rien à la commune ! «Je me suis toujours occupé de la maintenance. Mais désormais, des professionnels vont revaloriser ce musée qui a bientôt 40 ans et j’en suis ravi.»
Tatiana Salvan
Une industrie qui donne du fil à retordre
Avec la campagne «Rethink your clothes» lancée en 2018, l’ONG Fairtrade Lëtzebuerg n’a de cesse de dénoncer les pratiques répréhensibles de la fast fashion (ou mode éphémère) et de l’industrie textile, un secteur créateur d’emploi – environ 60 millions de personnes travaillent pour fabriquer nos vêtements, dont 70% en Asie – mais avec des conditions de travail le plus souvent indignes. «De nombreux travailleurs du secteur de l’habillement gagnent un salaire inférieur au revenu vital, ce qui leur permettrait de se nourrir, de se loger et de se vêtir convenablement, ainsi que de pouvoir payer leurs soins de santé, leur éducation et leurs moyens de transport», rappelle Fairtrade.
Sans oublier l’impact particulièrement néfaste du secteur sur l’environnement : il est responsable de 2% des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial, cause près de 20% de la pollution des eaux du fait des produits chimiques et des microplastiques utilisés, et consomme des milliards de litres d’eau par an. Plus de 100 milliards de vêtements sont vendus chaque année dans le monde tandis que quatre milliards de tonnes de vêtements sont jetées chaque année, rien qu’en Europe.
Larochette, haut-lieu de l’industrie textile
Pendant plus de 640 ans, la commune de Larochette a été un haut-lieu de l’industrie textile au Luxembourg.
Depuis le Moyen-Âge la commune de Larochette est liée au secteur du textile. «Au Moyen-Âge déjà, des tisserands reçurent du roi Jean l’Aveugle le privilège d’utiliser quatre métiers à tisser au lieu d’un seul comme les autres localités», fait savoir l’office du tourisme de Larochette, qui indique par ailleurs qu’à l’origine, la laine utilisée provenait de l’Ösling ou de l’Eifel.
Petite anecdote qui n’est pas cousue de fil blanc relatée par l’OT de Larochette : après avoir été lavée, la laine était par le passé «bouillie dans des bassins appelés Bidden, ceci en y incorporant de l’ammoniaque collecté dans l’urine des villageois» ! Des bassines destinées à cette collecte étaient placées près du pont à l’entrée du village, ce qui a valu aux habitants leur surnom de «Biddesécher» ou «Biddestöpp».
Produites dans des petits ateliers familiaux, les étoffes étaient vendues sur les marchés régionaux ou à l’armée. Avec l’arrivée des machines textiles, les petites industries domestiques devinrent des usines qui s’installèrent tout au long de l’Ernz et de la Scheerbach pour profiter de la force motrice de l’eau. «L’apogée du tissage à Larochette a été de 1870 à 1895 car il existait un très grand pouvoir d’achat grâce au Zollverein allemand [NDLR : l’union douanière allemande», précise l’OT de Larochette.
Des uniformes pour l’armée
C’est en 1856 que les Draperies de Larochette, dont les machines sont exposées au musée du textile de la commune, ont été fondées, en bordure de l’Ernz Blanche. L’usine employait environ dix personnes à la fin du XIXe siècle. Elle est rachetée par la famille Ginter en 1906 et produisait essentiellement des uniformes pour l’armée et l’administration luxembourgeoise.
Mais les Draperies de Larochette, à l’instar des dernières manufactures encore debout après guerre, «périclite avec l’ouverture du pays à la concurrence étrangère dans le cadre de la CEE. La fin du service militaire en 1967 lui donne le coup de grâce», explique Simon Edelblutte, enseignant-chercheur en géographie à l’université de Lorraine et spécialiste du patrimoine de l’industrie. Les Draperies de Larochette fermeront définitivement leurs portes en 1970.
T.S