Les vignerons aimeraient pomper l’eau de la Moselle pour faire face aux sécheresses. L’État l’envisage.
Un des sujets sensibles de ce premier trimestre chez les vignerons est la gestion de l’eau lors des sécheresses de plus en plus fréquentes. Ils aimeraient se munir de nouveaux outils, notamment réglementaires, pour pomper l’eau de la Moselle. L’État s’y attelle.
Peut-on puiser de l’eau dans la Moselle ?
Sans autorisation en bonne et due forme, c’est un «non» catégorique! Les vignerons le savent et ils ne servent pas du cours d’eau pour arroser leurs vignes. Mais en 2020, alors que l’été était particulièrement sec, aucune autorisation n’a été demandée à l’administration de la Gestion de l’eau. Cela interpelle… d’autant que le 9 janvier dernier, dans ces colonnes, le président des vignerons indépendants déclarait : «Au pire de la sécheresse, lorsqu’il faut donner à boire aux jeunes vignes pour les empêcher de mourir, nous sommes obligés de prendre de l’eau potable, la même que dans la maison. Non seulement cela coûte cher – avec en plus la taxe pour les eaux usées – mais c’est aussi gâcher une ressource qui n’est pas faite pour ça.»
La Moselle étant un condominium, un prélèvement doit disposer d’une autorisation des autorités allemandes et luxembourgeoises
Qui délivre ces autorisations ?
Si les vignerons n’ont pas rempli ce dossier, c’est sans doute parce que les démarches sont très, très compliquées… Le 15 février dernier, dans sa réponse à une question parlementaire de Gusty Grass (député DP, président de la commission de l’Agriculture, de la Viticulture, du Développement rural et de la Protection du consommateur à la Chambre) faisant suite aux propos d’Ern Schumacher au Quotidien, la ministre de l’Environnement (dont dépend l’administration de la Gestion de l’eau), Carole Dieschbourg, expliquait : «La Moselle étant un condominium, un prélèvement […] doit disposer d’une autorisation des autorités allemandes et luxembourgeoises».
Selon le Larousse, un condominium est un «droit de souveraineté exercé en commun par plusieurs puissances sur un même pays». En clair, puisque la Moselle est partagée, il faut le blanc-seing des deux rives. Au Grand-Duché, c’est l’administration de la Gestion de l’eau qui s’en charge, mais en Allemagne, puisque la gestion de la Moselle est une compétence fédérale, cela dépend si vous vous trouvez en face de la Sarre ou de la Rhénanie-Palatinat. Entre Schengen et Remich, il faut l’aval du Landesamt für Umwelt-und Arbeitsschutz sarrois mais entre Remich et Wasserbillig, c’est la Struktur-und Genehmigungsdirektion Nord (SGD Nord) de Rhénanie-Palatinat qu’il faut contacter.
Cette règle est-elle respectée?
Côté luxembourgeois, puisqu’on ne prélève jamais l’eau de la Moselle, on peut dire que la règle est respectée. Mais il se trouve que les Allemands ne respectent pas vraiment la procédure. Le 9 janvier, Ern Schumacher au Quotidien : «Au Luxembourg, nous n’avons pas le droit de puiser l’eau de la Moselle, mais en Allemagne, juste en face, si!» On vient de le voir, ce n’est pas complètement exact, mais ses propos ne sont pas tout à fait injustifiés pour autant.
Dans sa réponse à Gusty Grass, Carole Dieschbourg reconnaît que le système dysfonctionne : «D’après les informations reçues, la SGD Nord n’a été saisie que de trois demandes (NDLR : en 2020) et a établi des autorisations limitées, cependant sans une consultation des autorités luxembourgeoises.» Elle ajoute : «Les autorisations établies jusqu’à présent par les autorités allemandes n’étaient pas prises en concertation avec les autorités luxembourgeoises.» Le sentiment d’injustice ressenti par les vignerons luxembourgeois vient de là. Le besoin de réformer les procédures aussi.
Comment simplifier tout cela ?
Les autorités luxembourgeoises et allemandes sont conscientes de la nécessité de simplifier les démarches… et de la marge dont elles disposent pour le faire. Carole Dieschbourg avance : «Depuis l’automne, des échanges entre l’administration de la Gestion de l’eau et la SGD Nord (NDLR : mais pas le Landesamt für Umwelt-und Arbeitsschutz sarrois) ont eu lieu afin de trouver une approche commune, simple et respectant un certain nombre de critères.»
Selon Carole Dieschbourg, «il serait envisageable qu’une seule demande d’autorisation soit établie par un demandeur au nom de tous les vignerons en début de saison et que les prélèvements individuels soient déclarés par la suite afin de permettre de facturer la taxe de prélèvement». La ministre rappelle que cette taxe n’est pas une condition négociable puisque tout prélèvement répond à une obligation de taxe en vertu de la législation nationale, mais aussi européenne. Le directeur adjoint de l’administration de la Gestion de l’eau, Luc Zwank, avait expliqué lors du Wäibaudag (journée de la Viticulture, le 3 février dernier à Wormeldange) que l’eau de la Moselle serait facturée 12 euros le m3. Soit le même tarif que l’eau pompée dans les nappes phréatiques.
Il sera donc nécessaire de déterminer la nature de ces demandeurs. Les vignerons de Rhénanie-Palatinat seraient en train de réfléchir à la création d’un syndicat dédié. Il faudrait également mener ce type de réflexion au Grand-Duché et en Sarre.
Une table ronde sur ce thème de l’eau («Waasserdësch») a réuni les acteurs luxembourgeois (gouvernement, secteur agricole, viticole et horticole) le 26 janvier dernier. Il en a résulté la création d’un groupe de travail réunissant le ministère de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, le ministère de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural et les acteurs du secteur agricole pour traiter de ce sujet. Néanmoins, la période n’est pas vraiment propice à la tenue de ces réunions mêlant des représentants venant de nombreux horizons. Celle qui devait suivre la table ronde a dû être annulée à cause du Covid.
Comment s’organiserait le pompage ?
Rien n’étant encore acté, il s’agit ici d’une hypothèse de travail, mais considérant qu’elle est inscrite dans une réponse à une question parlementaire, partons du principe qu’elle fait partie d’un champ des possibles très probable. Carole Dieschbourg propose que le projet se limite «aux prélèvements pour les besoins d’irrigation des jeunes vignes, par moyen de réservoirs mobiles et uniquement à partir d’un nombre d’emplacements spécifiques et limités». La nécessité de localiser précisément les lieux de pompages s’explique par le fait qu’il faille laisser l’accessibilité à tous les autres usages de la Moselle et de ses abords immédiats (pêche, navigation, cyclisme…)
Carole Dieschbourg, ministre de l’Environnement écologiste, prend bien soin de prévenir que l’eau de la Moselle ne sera pas à gaspiller : «Il s’agit de promouvoir des techniques peu consommatrices d’eau comme notamment l’irrigation par goutte et, en l’occurrence, la stricte limitation de l’irrigation aux jeunes vignes.» La deuxième partie de sa phrase ne posera de problème à personne puisque les racines de vignes âgées peuvent aller chercher l’eau dans le sous-sol. Seules les très jeunes vignes (moins de quatre ans) peuvent avoir besoin d’eau en cas de sécheresse sévère. Mais la première partie de la phrase entre en contradiction avec le propos d’une ingénieure agronome française spécialiste de l’irrigation, invitée lors du Wäibaudag, Apolline Garnier.
Les études de terrain ont en effet démontré que plutôt que d’apporter l’eau en un flux continu, il valait mieux imiter les pluies d’orage, c’est-à-dire irriguer moins souvent mais en plus grosses quantités. En procédant ainsi, on entraîne la résistance de la vigne à la sécheresse et la plante va se développer en fonction, notamment en faisant plonger ses racines dans le sens plutôt qu’en les laissant prospérer en surface. Il s’agit d’un détail, pas le fond du problème, mais il montre qu’il faut parfois se méfier des bonnes intentions et des pratiques trop vite considérées comme étant les meilleures.
La Moselle, rien que la Moselle ?
En ce qui concerne l’arrosage des vignes, oui. Seule la Moselle possède un débit suffisant pour que l’on puisse pomper de l’eau sans mettre en danger les écosystèmes. Pas question de tirer de l’eau de la Sûre ou des petits ruisseaux qui se jettent dans la rivière frontalière. «Les affluents ont un débit trop faible pour permettre des prélèvements en période d’étiage», prévient Carole Dieschbourg.
Erwan Nonet