Avec la fermeture des maisons closes en Allemagne à cause du coronavirus, plusieurs professionnelles du sexe ont passé la frontière pour proposer leurs services en tant qu’escorts. Un phénomène qui semble ravir des clients de plus en plus fidélisés qui suivent leurs escorts préférées sur les réseaux sociaux.
Le coronavirus a bouleversé les habitudes du monde de la nuit et plus particulièrement celles des travailleuses du sexe.
Charles*, cadre trentenaire, a attendu de longues semaines avant de reprendre un rendez-vous avec une travailleuse du sexe. «J’ai mes habitudes mais avec le confinement de mars à mai, les filles sont retournées chez elles pour attendre que cela se calme et puis je pense que plus personne ne voulait prendre de risques», explique Charles qui, en temps normal, fréquente les travailleuses du sexe entre une à deux fois par semaine pour un budget pouvant atteindre 500 euros par mois. Même chose pour Paul, qui y consacre un budget moyen de 200 euros. «C’était facile de ne pas aller chez les filles, surtout à la vue du risque avec le virus. On avait un peu perdu l’envie d’y aller», assure-t-il.
Les «filles», c’est des escorts, généralement des filles venant des pays de l’Est, comme l’Ukraine et la Moldavie, ou de plus loin encore, du Kazakhstan et de Russie. «Rien à voir avec les filles, souvent droguées, qui font le trottoir dans le quartier de la gare ou celles du côté de la frontière à Aubange. Auparavant, cela m’est arrivé de fréquenter une fille faisant le trottoir, mais c’est trop stressant et vraiment malsain. Les escorts sont plus raffinées dans un cadre plus beau, mais également plus chères. D’un côté, c’est même rassurant, cela veut aussi dire qu’elles ne reçoivent pas n’importe quel type de clientèle», assure Charles. Généralement, il prend contact avec elles par téléphone via l’application WhatsApp. «C’est assez simple. Elles postent des annonces sur des sites spécialisés. Il y a un numéro. Tu converses avec une « agence », une sorte de « tour opérateur ». Une fois que tu es d’accord avec les modalités, tu reçois une adresse et il suffit d’y aller et de payer en liquide», explique le trentenaire. Et d’insister : «Le seul problème, parfois, c’est le décalage entre la fille que tu as vue en photo sur l’annonce et la réalité. Mais là encore, le client peut toujours renoncer après avoir vu la fille en vrai.»
Une pratique pénalement répréhensible au Luxembourg
Jusque-là, rien de nouveau. Les escorts viennent au Luxembourg comme c’est le cas dans d’autres villes et d’autres pays. Elles louent une chambre d’hôtel ou un appart-hôtel et y reçoivent les clients pendant quelques jours avant de repartir pour une autre ville, un autre pays. «Avec le temps, elles fidélisent aussi leur clientèle et elles envoient un petit message quand elles arrivent au Luxembourg», souligne Charles, décomplexé de fréquenter des escorts.
«Elles sont gentilles et je les respecte. Cela peut paraître étrange et je sais que la plupart des gens trouvent cela répugnant. Mais je préféré fréquenter des « professionnelles » plutôt que des filles pommées et drogués qui font le trottoir. Et puis, c’est plus sécurisant de faire ça dans une chambre d’hôtel, souvent de très beaux hôtels, plutôt que de le faire rapidement dans une voiture sur un P+R où l’on peut se faire arrêter à tout moment par la police», explique-t-il. Car, rappelons-le tout de même, la prostitution reste une pratique pénalement répréhensible au Luxembourg.
Mais avec le coronavirus, les choses ont quelque peu changé et des filles travaillant habituellement en Allemagne commencent à proposer leurs services au Luxembourg. C’est le cas d’Anna, une jeune Moldave qui travaille habituellement dans les maisons closes allemandes à Trèves et à Francfort. «En Allemagne, les FKK (maisons closes) sont fermées depuis le 14 mars dernier. On a respecté le confinement pendant des mois, mais maintenant nous avons besoin de travailler pour vivre. Notre seule solution est de louer des chambres pour recevoir nos clients. En Allemagne, c’est un peu tendu et les clients sont parfois un peu bizarres. Une amie m’a dit qu’au Luxembourg, les clients étaient plus « sympas » et moins bizarres. Car c’est là le problème. La fermeture des maisons closes nous met en danger. Dans une maison close, nous sommes « protégées » en cas de problème. Là, je suis toute seule dans une chambre. Alors, évidemment, je reste en contact avec d’autres filles et un service d’agence, mais en cas de problème, ils ne pourront pas faire grand-chose dans l’immédiat et puis le service d’agence est payant, bien plus cher que les frais d’une maison close. On ne parle à personne, on ne voit pas d’autres filles. C’est difficile de travailler dans ces conditions. Et puis, il ne faut pas croire que l’on a des centaines de clients. En ce moment, beaucoup d’hommes travaillent à la maison et ne peuvent pas s’échapper aussi facilement pour venir nous voir car leur femme est aussi à la maison», explique Anna, 26 ans et professionnelle du sexe depuis maintenant quatre ans.
«On est presque toutes de retour au travail»
«J’ai remarqué que des filles de Trèves venaient au Luxembourg maintenant. Je trouve ça bien parce que ce sont souvent de belles filles avec un bon service», assure Paul. Même ce dernier n’a pas encore refranchi le pas depuis la crise sanitaire. «J’ai peur d’attraper le Covid. Si je vais voir une fille, c’est qu’elle en vaut vraiment le coup. En plus, la plupart des filles n’acceptent plus le french kiss et proposent juste des services « couvert »…» Charles, de son côté, a recommencé à rencontrer des escorts à partir du mois de juin. «On fait attention, on se douche et on utilise du gel hydroalcoolique. Il y en a même plusieurs qui prennent la température des clients», assure-t-il.
Anna quant à elle tente de prendre ses précautions comme elle le peut. «J’utilise du désinfectant régulièrement, je demande toujours au client de se laver et de prendre une douche. J’essaie aussi de savoir s’il a une bonne apparence et les prix élevés, je l’espère, dissuadent les hommes les moins propres.»
Le nombre de petites annonces d’escorts sur les sites spécialisés a largement augmenté, à en croire la perception des clients interrogés. Évidemment, cela reste uniquement une perception. Pour Anna, «cela ne fait aucun doute. La plupart des filles qui travaillent dans les FKK allemands sont aujourd’hui sans ressources. Les plus sérieuses ont un peu économisé et ont pu traverser le plus dur de la crise, le confinement. Mais depuis le mois de juin, on est presque toutes de retour au travail et le Luxembourg est un bon endroit. Le client est correct, il ne négocie pas les prix. Le plus difficile reste de trouver un logement. Les hôtels sont quand même méfiants. Le mieux, ce sont les appart-hôtels. J’en connais qui ont tenté la frontière belge vers Arlon et Aubange. Mais c’est très difficile de trouver un logement et c’est souvent déjà pris par les réseaux.» La jeune femme n’en dira pas plus.
«On les suit sur les réseaux comme on suit les influenceurs»
Direction donc la frontière belge pour savoir si le phénomène est le même avec l’arrivée sur le marché de travailleuses du sexe venant d’Allemagne. «Je n’ai pas constaté ce phénomène venant d’Allemagne. Après, ici, les filles viennent plus d’Espagne. Ce que je peux dire en lien avec la crise sanitaire, c’est que les filles se protègent beaucoup et que les clients ont peur. C’est pour cela que nous avons distribué des colis alimentaires pendant la crise pour les soutenir», explique Isabelle Buyssens, assistante sociale et thérapeute au sein de l’association Espace P, à Arlon, qui vient en aide aux travailleuses du sexe.
Autre pratique qui a émergé pendant cette crise sanitaire, le recours à la vidéo. «Oui sur les sites d’escorts, beaucoup se sont mises à proposer des prestations en vidéo pendant le confinement. Mais je ne trouve pas cela très intéressant», souligne Charles.
Ce dernier ne comprend d’ailleurs pas pourquoi les maisons closes allemandes ne sont pas autorisées à rouvrir : «Elles pourraient mettre en place des mesures sanitaires comme la prise de température. En attendant, on peut en profiter au Luxembourg car aller jusqu’en Allemagne, ce n’est pas toujours facile.»
Enfin, dernière pratique, les réseaux sociaux. Les escorts sont très facilement joignables sur WhatsApp et il est même possible de les suivre sur les réseaux sociaux avec Instagram et Snapshat. «C’est limite leur vitrine. Elles montrent leurs voyages, la piscine de l’hôtel, leur nouveau bikini ou leurs derniers achats de vêtements. On les suit sur les réseaux comme on suit les influenceurs», assure Charles.
Jeremy Zabatta
*Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des personnes interrogées.
Gisèle est une travailleuse du sexe, ou plutôt une escort, installée au Luxembourg depuis plusieurs années. Elle explique comment elle a vécu la crise sanitaire et ce qui a changé dans son travail.
«C’est assez simple, dans la mesure où je n’ai pas travaillé pendant le confinement. Je suis restée en famille. Donc pendant le confinement, je ne sais pas trop ce qui s’est passé pour les autres filles. Moi je suis restée à la maison et puis j’ai aussi d’autres occupations. Par contre, je sais qu’il y a des escorts qui ont continué à travailler normalement, comme si de rien n’était», assure Gisèle. Depuis quelques semaines, elle a repris ses activités mais en mettant en place plusieurs mesures sanitaires.
«J’ai des draps et des serviettes de rechange. Je porte un masque et j’oblige le client à en porter un également. Et puis je n’embrasse plus. La douche est obligatoire et j’ai un produit pour désinfecter. Je ne reçois pratiquement plus de nouveaux clients étant donné que je ne suis pas quelqu’un qui a besoin de nouveaux clients, dans la mesure où j’ai un carnet de clients, de bons clients, très rempli. Je ne peux pas faire plus et je ne peux pas demander un test Covid à mes clients. Ce n’est pas écrit sur leur visage s’ils sont contaminés, mais il y aussi une part de confiance que l’on doit avoir avec ses clients», explique Gisèle.
Et d’insister : «Il faut faire attention et ne pas faire croire que c’est à cause des travailleuses du sexe que le virus est toujours là. Nous mettons en place un grand nombre de mesures sanitaires et nous faisons attention. Je trouve que parfois, j’en fais plus à ce niveau-là que dans certains magasins.»