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«La biodiversité est en déclin» au Luxembourg


La main de l'homme n'est bien sûr pas étrangère au déclin des populations animales. (illustration Isabella Finzi)

De nombreuses espèces sont menacées de disparition au Grand-Duché : des insectes aussi bien que des oiseaux, des mammifères ou des amphibiens. Sans surprise, l’homme est en cause.

«Beaucoup d’espèces sont menacées au Luxembourg. La biodiversité y est en déclin», alerte tout de go Elisabeth Kirsch, conseillère en protection de la nature au sein de natur&ëmwelt. «On parle d’espèce menacée quand celle-ci est face à un danger potentiel ou se trouve déjà proche de l’extinction», explique la jeune femme.

Pour qu’une espèce soit classifiée telle, différents critères sont pris en compte tels que la disparition de l’habitat, une population qui décline, une érosion génétique, une chasse excessive ou une surpêche.

Ainsi, plus de 60 espèces d’oiseaux nicheurs (c’est-à-dire qui nidifient au Luxembourg) sont aujourd’hui sur liste rouge. Elles étaient 42 en 1976. «C’est environ la moitié des espèces d’oiseaux nicheurs du pays !», constate avec dépit Elisabeth Kirsch. Sept sont en «danger critique», c’est-à-dire en voie d’extinction : la perdrix grise, le râle des genêts, le vanneau huppé, la pie-grièche grise, le traquet motteux, le phragmite des joncs et le pipit farlouse. Treize espèces ont quant à elles déjà complètement disparu des terres luxembourgeoises, notamment le tarier des prés, un passereau qui nichait autrefois dans tout le pays.

Mais les oiseaux ne sont pas les seules espèces touchées, la menace plane sur tous les groupes d’animaux (mammifères, reptiles, amphibiens…) et même sur certaines plantes. Logique, tout est «interconnecté et de fait interdépendant» et «peut donc produire des effets en cascade», comme le rappelle la conseillère en protection de la nature. «Si une espèce disparaît, elle peut entraîner la disparition de plusieurs autres avec elle. Voire menacer l’homme. C’est le cas avec les espèces pollinisatrices : si elles ne jouaient pas leur rôle, les trois quarts des cultures dont on se nourrit manqueraient. On envisage des drones pour remplacer les abeilles, quel non-sens ! Consacrer tant d’énergie à élaborer quelque chose pour imiter une fonction au lieu de protéger cette fonction… Il vaudrait mieux utiliser cet argent pour protéger ces espèces et leurs habitats !», s’insurge Elisabeth Kirsch.

Agriculture intensive et fragmentation

La cause de toutes ces menaces ? L’homme bien sûr. Parmi les grands facteurs responsables de ce péril, il y a tout d’abord l’agriculture intensive, avec ses pesticides et ses engrais chimiques qui déciment les insectes pollinisateurs et ceux dont se nourrissent les autres animaux. «L’agriculture peut soutenir l’existence de beaucoup d’espèces. Certaines sont d’ailleurs venues dans nos régions lorsque l’agriculture y a été introduite alors qu’avant il y avait beaucoup de forêts. C’est le cas de l’alouette des champs par exemple. Mais l’agriculture intensive est problématique. Car en plus des produits toxiques qu’elle emploie, elle engendre un manque de structure dans les paysages. Ceux-ci sont plus ouverts, avec de moins en moins de haies, d’arbres solitaires ou de rangées d’arbres, des lisières qui deviennent de plus en plus minces…»

Un deuxième aspect particulièrement problématique concerne également le paysage : c’est sa fragmentation. «Le Luxembourg possède le taux de fragmentation des paysages le plus élevé d’Europe», signale Elisabeth Kirsch. «Ainsi les routes qui, outre le fait de constituer un grand danger pour les animaux qui tentent de les traverser, agissent comme de véritables barrières : les différentes populations d’une même espèce restent isolées, ce qui empêche un mélange des gènes et peut avoir des conséquences extrêmement néfastes.»

L’urbanisation qui tolère de moins en moins la nature est également à mettre en cause. «Le fait qu’ici au Luxembourg il y ait beaucoup de constructions, moins d’arbres et moins de granges pour nicher a aussi un impact. Beaucoup d’espèces encore très communes il y a moins de 50 ans commencent à devenir de plus en plus rares, comme les moineaux. La manière de construire ne permet souvent pas aux oiseaux ou aux plantes de s’installer. Par exemple, les hirondelles ou les martinets trouvent de moins en moins de place pour nicher ou ne sont pas tolérés à cause de leurs déjections.»

Changer les mentalités

«Il faut aussi un changement de mentalité général. L’agriculture et la fragmentation des paysages sont des grands chantiers, mais chacun peut avoir un petit impact. En refusant par exemple cette mode des jardins en pierre… Si chacun avait des plantes à fleurs dans son jardin ou sur son balcon, ou permettait aux hirondelles de nidifier sous leur toit, ça ne changerait pas tout mais ce serait déjà ça…» La loi luxembourgeoise interdit d’ailleurs de détruire un nid.

Quant au changement climatique, il aggrave en fait une situation qui est déjà problématique selon la conseillère : «Il rend les conditions plus difficiles pour certaines espèces, mais si l’écosystème est intact les espèces sont plus résistantes face à ce changement.»

Un tableau noir mais diverses mesures sont toutefois mises en place au Grand-Duché pour inverser cette sombre tendance : zones Natura 2000, zones de protection nationale, monitoring, plan d’action pour les espèces et les habitats. Certaines espèces protégées, aux besoins très spécifiques en matière de qualité d’eau et d’habitat, servent d’ailleurs de «parapluie» aux autres. C’est le cas du triton crêté par exemple : ses exigences sont telles qu’en le protégeant, on permet la protection d’autres plantes et animaux.

«Il reste beaucoup à faire. Il faut rester positif sinon on ne fait plus rien, mais la situation est inquiétante», commente Elisabeth Kirsch.

Tatiana Salvan