La famille Emering s’est tournée vers le bio il y a une vingtaine d’années. L’exploitation laitière est devenue un élevage de poulets et une fabrique de pâtes et la vente directe un modèle économique.
Les températures vont encore flirter avec les 35 °C ce jour-là. Les poulets de l’exploitation Dudel-Magie préfèrent rester à l’ombre dans leur hangar. Quelques-uns franchissent le seuil pour aller faire un tour dans la prairie, mais les sorties sont rares. «Ils sortent surtout quand il pleut, mais quand il fait chaud, ils préfèrent rester à l’intérieur», indique Luc Emering.
Le jeune agriculteur de 23 ans observe son cheptel qui évolue dans le calme et à la fraîche sur les copeaux de bois qui servent de litière. L’agriculture bio, il n’a connu que ça. Il avait à peine 3 ans quand son père a transformé son exploitation laitière conventionnelle en tout bio.
À Sprinkange, quand on tourne en voiture pour trouver le 1, rue de la Croix, si le nom Emering ne dit rien au passant que l’on interroge en cherchant son chemin, il suffit d’ajouter «la ferme bio» et là tout s’éclaire.
Ici, on se trouve à des années-lumière des batteries de poulets industriels. Deux grands hangars abritent les 8 000 poulets que la famille élève pour les vendre directement au consommateur. «On garde les poulets pendant 80 jours, et on renouvelle l’opération quatre fois par an. Nous produisons donc 36 000 poulets par an», calcule le jeune exploitant agricole.
Des poulets pas stressés
Ce n’est pas tout. La ferme produit aussi des pâtes artisanales labellisées bios. «Nous cultivons principalement l’épeautre qui sert à la fabrication des pâtes et nous achetons des œufs issus d’élevages bios qui sont trop petits ou trop grands pour être vendus dans le commerce», explique-t-il.
Pas une once de stress chez ces poulets qui vivent en liberté et sont nourris avec une alimentation bio produite à 50 % par la famille Emering qui envisage maintenant de cultiver également du soja bio en collaboration avec l’institut pour une agriculture biologique (IBLA).
Les avantages d’un parcours extérieur ? «Le système immunitaire des poulets est renforcé», indique Luc Emering. Il sait d’expérience que tous les cas de peste aviaire ont été déclarés dans des étables fermées alors que les volailles en extérieur n’ont pas été touchées.
Ici, tous les poulets ont le même âge, 6 semaines, ce qui les préserve de virus pouvant atteindre des poulets adultes. Un autre grand avantage ? L’élevage est mixte, mâles et femelles cohabitent sans avoir besoin de couper les becs, les petits pouvant fuir pour éviter les attaques.
Le revers de la médaille, ce sont les pertes. «Quand on a des poulets en extérieur, il faut craindre les prédateurs comme les renards, les chats, les fouines mais aussi et surtout les corbeaux, ce que les gens savent moins», informe-t-il. Les corbeaux ? Oui, ils viennent en bande, coincent un poulet, lui crèvent les yeux et le dévorent. Mais les pertes s’évaluent à 1 ou 2 %.
Le bio, le parent pauvre
Le chauffage des installations et le séchage des pâtes se font par des copeaux de bois issus de la propre exploitation forestière de la famille et les panneaux photovoltaïques sur le toit font le reste. Quand les poussins Sasso arrivent de Belgique, où sont les couvoirs (pas de couvoirs bios au Grand-Duché), ils doivent atterrir sur un sol à 38 °C.
La digitalisation aide beaucoup, même si elle ne concerne que la consommation d’eau et la température des installations. «Ce sont les deux paramètres les plus importants», précise le jeune agriculteur.
La députée européenne de déi gréng, Tilly Metz, qui effectue une tournée dans différentes exploitations agricoles, bios ou conventionnelles, est ravie de ce qu’elle voit. «Ce qui manque, c’est justement le contact direct que les gens ont avec la nourriture qu’ils ont sur la table. Ici, on voit tout», se réjouit-elle. L’exploitation est soumise à 3 ou 4 contrôles annuels, classiques et biologiques.
D’une manière générale, l’avantage de l’agriculture bio vue sous un autre angle consiste à avoir moins de paperasse à remplir. «Vu que l’on n’utilise pas de pesticides ni d’engrais chimiques, on a moins de documents à remplir», indique Luc Emering.
Le jeune exploitant regrette l’absence d’une vraie filière bio dans le pays. «Il y a très peu de semences bios produites au Luxembourg, je dois les acheter en Belgique ou en Allemagne et c’est pareil pour l’abattage, il n’y a pas de chaîne d’abattage bio pour les bovins par exemple», illustre-t-il.
Détenteur d’un bachelor en sciences agricoles, il est bien placé pour dire que le bio n’est pas assez enseigné. Même si certaines matières ont évolué, il y a eu peu de changements ces 30 dernières années, selon lui. L’agriculture bio ne représente que 4 % de la production au Grand-Duché.
Geneviève Montaigu
Il n’y a plus de terres pour les paysans. Ce constat ronge les exploitants agricoles. «On est arrivé à un point où louer toute son exploitation rapporte plus que le fruit de notre travail», observe amèrement Luc Emering. Le prix de l’hectare loué varie entre 150 et 700 euros par an. Si le paysan loue 100 hectares, le calcul est vite fait à la fin de l’année.
«Une moisson de céréales coûte environ 1 000 euros par hectare. La moitié sert à payer les pesticides, l’engrais et les heures de travail. Si l’on ajoute 300 euros de prime, cela ramène le tout à 800 euros mais il reste encore la location du terrain qui peut atteindre facilement 600 euros. «Le résultat est simple, il nous reste moins que le salaire social minimum pour vivre», explique Luc Emering.
Le travail n’est malheureusement pas valorisé et ça ne va pas changer avec la réforme de la politique agricole commune (PAC). Les primes continueront à être distribuées selon le nombre d’hectares et l’agriculteur conventionnel peut recevoir autant de primes qu’un agriculteur bio s’il participe à des programmes de sauvegarde de l’environnement (lire l’interview de Tilly Metz).
G. M.