Mémoire vivante de la culture et du monde forains, l’historien Steve Kayser aspire à créer un musée des Arts forains, à dimension européenne, dont le siège serait basé au Luxembourg.
Comment vous est venu cet engouement pour la culture et le monde forains ?
Steve Kayser : Je suis fasciné, depuis ma petite enfance, par l’ambiance des fêtes foraines. J’ai toujours aimé observer les convois de forains, lorsqu’ils arrivaient, en amont d’une fête, lors de la phase de montage de leurs attractions. Le tout premier dessin que j’ai fait à l’école, étant gamin, représentait d’ailleurs un train fantôme, puis ce fut une grande roue. Ce sont deux des métiers forains qui m’ont toujours fasciné et cela jusqu’à aujourd’hui. Je tiens à souligner que lorsqu’on évoque le monde forain, on ne peut pas ne pas parler des constructeurs, ni de tous les artisans qui gravitent autour de cet univers. Il y a eu en effet des professions rares qui se sont développées en parallèle de ce monde : des tailleurs, des sculpteurs, des peintres ou encore les premiers électriciens. Cet ensemble de choses fait partie intégrante d’un patrimoine aussi bien culturel qu’industriel. En ce sens, parler des foires, c’est également parler d’industrialisation et de mécanisation de la société. Par ailleurs, très tôt, j’ai commencé à construire, chez moi, des modèles réduits de manèges et à reconstituer des petites fêtes foraines pour m’amuser. Il y avait donc également toute une fascination pour ce qui relève de la logistique, de même que cette volonté de vouloir savoir ce qu’il se passait derrière « les coulisses ».
Cette fascination ne s’est donc jamais amenuisée au fil des années ?
Au contraire ! Au cours de mon adolescence, j’ai commencé à prendre des clichés lors des phases de montage des attractions et à immortaliser les différentes fêtes foraines où je me rendais. Au fur et à mesure se sont tissés des liens étroits avec les forains, jusqu’à me retrouver un jour à la table de familles de forains : c’est quelque-chose de particulièrement touchant, car je considère cela comme une sorte d’adoption dans le milieu et comme une façon alternative de voir le milieu forain. Par extension, je dirais que c’est une autre façon de concevoir la vie, pour laquelle j’ai un très profond respect.
Par ailleurs, ma passion pour l’histoire, les études universitaires en histoire que j’ai suivies, et mes fonctions de professeur d’histoire dans différents lycées, ont fait que mon intérêt et que le respect pour ce monde s’est inévitablement amplifié. Car je porte un regard qui va au-delà de la simple vision « matérielle » des attractions foraines. À l’époque, les manèges étaient en bois; puis sont arrivées les technologies et dans une fête foraine, on peut lire toutes ces évolutions qui ont marqué la société.
Je passe 75 % de mon temps avec des forains
Cette passion a donc également eu un impact certain sur votre façon de vivre ?
Absolument. Je passe 75 % de mon temps avec des forains et ce, durant toute l’année, et dans différentes fêtes foraines à travers toute l’Europe. Je travaille comme historien à mon propre compte en faisant des recherches sur la Schueberfouer, les fêtes foraines et le monde forain en général. Au fil du temps, j’ai noué des contacts avec des chercheurs en Allemagne, en France, en Belgique, aux Pays-Bas… Nous nous retrouvons régulièrement au sein de groupes de travail, et je suis consultant pour l’Union foraine européenne (UFE/ESU), qui existe depuis 1954 et qui a son siège à Luxembourg. Je conseille l’ESU pour ce qui relève des questions culturelles et surtout des questions relatives à la notion de patrimoine. L’ESU est très investie dans la volonté de faire protéger le patrimoine vivant des fêtes foraines et des forains, des cultures et traditions foraines, ainsi que dans les procédures de classification par l’Unesco. J’évoque ici un patrimoine essentiel qui fait partie, selon moi, des arts populaires.
Venons-en à votre projet de création d’un musée des Arts forains. Comment cette idée a-t-elle germé dans votre esprit ?
Quand je parle de patrimoine à protéger et à mettre en valeur, je parle non seulement de la Schueberfouer, mais également de toutes les fêtes, manifestations et kermesses foraines. Selon moi, le forain est un acteur culturel. Très vite, à côté des ouvrages que j’ai écrits ou de certaines idées que j’ai pu avoir – telles que la nouvelle mascotte de la Fouer baptisée Lämmy ou encore l’idée d’une exposition sur la Schueberfouer, voire celle d’un documentaire – s’est dessinée l’envie de créer un centre de documentation et d’interprétation sur les fêtes, les arts et la culture forains avec une dimension européenne. Cela étant, il ne s’agirait pas de monter, par exemple, une pâle copie du musée des Arts forains de Paris-Bercy, qui à mes yeux est LE musée des arts forains et des arts du spectacle populaire par excellence. Il mériterait l’appellation « européen ». Par ailleurs, j’aimerais largement impliquer le musée parisien dans le travail […]
Entretien avec Claude Damiani